« Il ne s’agit pas de lancer un soupçon généralisé sur les musulmans mais de démasquer dans les arrière-cours des idéologies remettant en cause les valeurs de la démocratie libérale », a assuré Susanne Raab, ministre autrichienne de l’intégration, membre du Parti populaire autrichien (ÖVP), d’orientation chrétien-démocrate et libéral-conservateur. Elle a bon dos « la démocratie », utilisée dès qu’un responsable politique défend quelque chose de difficilement défendable. C’est dans l’air du temps, cette façon de dévoyer les mots, comme quand on nous explique que « c’est pour notre santé » qu’on ferme des lits d’hôpitaux ou que « c’est pour notre sécurité » qu’on nous interdit de manifester. Eh bien en Autriche, « c’est pour protéger la démocratie » qu’on fait des listes, avec noms et adresses, en l’occurrence ici de musulmans, qui ont dénoncé, suite à l’annonce de la ministre, « une stigmatisation exposant massivement à l’insécurité ».
Cette carte interactive est le fruit d’une collaboration entre l’Université de Vienne et le Centre de documentation sur l’Islam politique, un organisme créé l’année dernière par la coalition entre les conservateurs et les Verts. Ces-derniers ont toutefois pris leurs distances avec ce projet, comme l’a indiqué Faika El-Nagashi, députée au parlement de Vienne et membre du conseil municipal de Vienne :
Le projet « Carte de l’islam » est un projet existant auquel le Centre de documentation sur l’extrémisme politique à motivation religieuse a rejoint. Les membres verts du gouvernement ou les députés n’ont été ni impliqués ni informés à l’avance. Ce projet est à l’opposé de ce à quoi la politique d’intégration et le dialogue devraient ressembler sur un pied d’égalité. Les institutions musulmanes sont mélangées à l’avance avec les institutions islamistes, et des centaines d’organisations figurant sur les listes de surveillance de l’État sont mentionnées dans les médias. Il est évident que la liste des associations ne se fait pas avec une intention neutre. La stigmatisation des communautés musulmanes par cette liste est massive et ne convient pas pour contribuer à une meilleure coexistence.
Depuis l’attentat djihadiste de Vienne du 2 novembre 2020, où quatre personnes ont perdu la vie suite à une fusillade, le nombre d’actes islamophobes a augmenté de 33% en Autriche. Il s’agit principalement d’attaques verbales ciblant des musulmans sur internet, dans la république alpine où cette minorité religieuse représente 8% de la population et où les électeurs plébiscitent régulièrement l’extrême droite, qui avait intégré l’exécutif aux côtés des conservateurs en décembre 2017 et qui stigmatise les musulmans depuis des années : le parti nationaliste FPÖ avait placé les musulmans au cœur de sa campagne pour les dernières élections européennes. Le candidat Harald Vilimsky n’avait de cesse de dénoncer « les avancées de l’islam politique » dont il entendait « protéger les Autrichiens ».
En 2019, un rapport de l’ONG SOS Mitmensch détaillait de manière très précise la façon dont l’extrême droite attisait le ressentiment envers cette partie de la population et avait dénombré pas moins d’une vingtaine de prises de parole émanant de ministres pouvant être considérées comme racistes. Le FPÖ avait par exemple réclamé que les musulmans soient exclus des logements sociaux et avait déploré la naturalisation.
La carte interactive est une étape de plus dans l’escalade de la violence raciste. Échaudé, le ministre turc des affaires étrangères a publié un communiqué le 28 mai, dans lequel il qualifie ce site internet « d’inadmissible ». Ankara a appelé l’Autriche à renoncer à ficher les musulmans et à adopter une « politique responsable ».