Les noces entre l’islamisme extrémiste et l’extrême-droite sont festives. Chacun utilise l’autre, s’appuie sur l’autre, sert le dessein de l’autre, pouvant même, par le truchement de l’antisémitisme, pactiser ponctuellement et fréquenter les mêmes espaces, les mêmes réseaux, les mêmes personnes.
Pour le premier, l’extrême-droite est l’allié objectif qui, si elle arrivait au pouvoir – le cas échéant sous les coups de boutoir des violences terroristes fanatiques sur-médiatisées -, systématiserait la fracture de l’unité de la communauté nationale et attaquerait plus spécifiquement sa composante musulmane (environ 6 millions de personnes, 8 % de la population totale en France) dont toutes les études de terrain confirment, de génération en génération, le rapprochement des valeurs et des modes de vie avec ceux de l’ensemble de la population. Car, au grand dam des rigoristes et des extrémistes de tout poil, il n’existe pas – et n’a jamais existé dans une quelconque société – « d’étanchéité des formations humaines, cultuelles et culturelles. L’histoire de l’humanité est comme un soleil noir, c’est le récit des échanges de tous ordres entre les êtres humains » ( Ignacio Ramonet, Civilisations en guerre ?, juin 1995, Le Monde diplomatique).
ll n’existe pas d’identité pure, qu’elle soit culturelle, religieuse, sociale ou ethnique, qui soit, de surcroît, étanche à son contexte et au frottement aux autres. L’islamisme extrémiste et l’extrême droite ne peuvent accepter ces réalités immuables des sociétés qui anéantissent leurs desseins et leurs visions essentialisées et transfigurées du monde, des sociétés et de la condition humaine.
En réaction, ces alliés de circonstances se font la courte-échelle. L’islamisme extrémiste compte sur l’extrême-droite identitaire et nationaliste – qu’elle soit politique, sociale, intellectuelle et médiatique – pour violenter, avec son aide, les musulmans, les radicaliser et les renvoyer vers eux. Dans ce contexte, le rôle des médias, notamment des chaînes d’information en continue qui distillent à longueur de journée le venin haineux, fascisant et anti-musulman sous couvert de « débat » a rarement été aussi central dans la détérioration de l’esprit public.
De son côté, l’extrême-droite, falsifiant les questions de l’immigration, des évolutions démographiques mondiales et du terrorisme extrémiste en les fusionnant et en les réduisant à celle de l’islam – comme de nombreux médias -, encaisse les dividendes politiques immédiats de la stratégie violente de ses partenaires de circonstance pour avancer dans sa marche vers le pouvoir. Et le pouvoir actuel lui court après…
Pendant ce temps, le reste de la société est prisonnière et victime de ces dynamiques funestes et de cette alliance de fait entre les extrémismes identitaires paranoïaques. Cette dernière accélère la division d’un peuple déjà largement entamée par des décennies de néolibéralisme économique et idéologique qui prône et organise la chacun pour soi, le tous contre tous.
Qui sommes-nous ? C’est la question que posait dans son ouvrage de 2004 le théoricien américain du « choc des civilisations » Samuel Huntington. Sa réponse est que nous sommes ici des occidentaux, là des latino-américains, là encore des africains, ici des islamiques, là des chinois, là des hindous, la des orthodoxes et ici des bouddhistes ou des japonais.
Ce qui nous sépare serait des « lignes de fractures culturelles ». Nous y voilà. Ici des « dégénérés », là des « fanatiques » et tout le monde se meut en ennemi irrémédiable.
Hélas, pour le moment, force est d’admettre que le vent de la dislocation et de la division souffle plus fort que tout autre.
Préserver coûte que coûte l’unité de la population, dans son quotidien, auprès des siens, dans son voisinage, dans ses engagements et ses actions, ne peut être que la seule réponse de toutes celles et de tous ceux qui ne se résignent pas à ce nouvel âge des extrêmes.
Qui sommes nous ? Celles et ceux qui n’abandonneront pas, malgré tout, comme ils peuvent, là où ils peuvent. Car n’oublions pas que la fonction politique de l’extrémisme est de déchirer la paix civile et de renverser la démocratie (politique et sociale) lorsque cette dernière lui a laissé remplir le vide laissé par son affaissement, son retrait et, in fine, son absence.