L’Amérique Latine, voisine des États-Unis, est un laboratoire d’essais. Les gouvernements de gauche qui se sont succédés depuis la fin du XXe siècle dans la région et dans les Caraïbes ont appliqué des politiques contraires au modèle néolibéral et à l’orthodoxie financière défendue par le FMI : investissements massifs dans les services publics, nationalisations et refus du paiement des pans illégitimes de la dette. De quoi menacer les intérêts américains dans la région. Cette vague de gouvernements de gauche qui a caractérisé l’Amérique Latine a formé une nouvelle carte géopolitique contraire à la domination Etats-Unienne.
Afin de changer les rapports de force, une nouvelle pratique est entrée en scène : le lawfare, mécanisme qui sous des apparences démocratiques, convoque la loi et les médias pour empêcher les dirigeants de gauche d’avoir une chance d’être réélus.
Trois ex-présidents, l’ex-chef d’Etat brésilien Lula (en prison pendant plus d’un an et demi), l’ex-président équatorien Rafael Correa (exilé en Belgique) et l’Argentine Cristina Kirchner (ciblée par de nombreux procès) ont été la cible de campagnes judiciaires et médiatiques agressives : on les accuse de détournement de fonds ou de complicité dans des affaires de corruption.
Qui, « on » ?
Ce sont les mêmes acteurs que l’on retrouve systématiquement derrière ces mises en accusation : des figures du pouvoir judiciaire (on pense à Sergio Moro au Brésil, l’un des juges responsables de l’emprisonnement de Lula et qui a été nommé par la suite ministre de la justice par Bolsonaro), appuyées et accompagnées par les médias nationaux, détenus comme chez nous, par les représentants de pouvoirs économiques locaux ou internationaux.
Ces trois ex-présidents ont dénoncé les premiers l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire à des fins politiques. Ces procès ont permis à leurs successeurs d’opérer des virages libéraux agressifs tout en privant les oppositions de leurs représentants les plus populaires : la loi est au service des élites économiques et à l’idéologie du tout marché.
Par des combinaisons de coups judiciaires, médiatiques et économiques, en apparence démocratiques et sous protection juridique, le droit exerce aujourd’hui la même fonction que les coups d’états classiques des décennies précédentes : empêcher la gauche d’accéder à nouveau au pouvoir. On assiste à la démolition de l’Etat de droit, au nom du droit.
Arantxa Tirado Sanchez, qui a déjà écrit sur le Venezuela, « Au-delà des mensonges et des mythes » (sorti en 2019), met en garde : « Une fois l’efficacité de ce nouvel outil-système confirmée, qu’est-ce qui l’empêche d’être appliqué dans d’autres pays ? Il y a des indications très proches qui vont dans ce sens. » Nous pensons évidemment à Jean-Luc Mélenchon en France et à Pablo Iglesias en Espagne.