Lula, cas emblématique de lawfare
Ils lui auront tout fait. Président de 2003 à 2011, l’ancien ouvrier Luiz Inacio Lula da Silva a mené une politique sociale d’envergure : le programme social emblématique Bolsa Familia, « bourse familiale » destinée à lutter contre la pauvreté tout en favorisant la scolarité, l’augmentation du salaire minimum et l’augmentation de la valeur réelle du plancher des pensions de retraites (résultat collatéral de la politique de croissance du salaire minimum). Le bilan des deux mandats présidentiels du fondateur du Parti des Travailleurs (PT) a fait l’objet d’un quasi-consensus au sein de la population brésilienne et au-delà : considéré comme un véritable « héros », d’ouvrier métallurgiste à président le plus populaire de l’histoire du Brésil, Lula a contribué à réduire la pauvreté dans le pays, à développer la classe moyenne et à confirmer le statut de puissance régionale du Brésil.
Pas étonnant, alors, que le peuple brésilien ait été secoué par son inculpation pour corruption en 2017. Accusé à tort d’avoir accepté des pots-de-vin et blanchi de l’argent, « l’affaire Lula » est devenue un cas emblématique de lawfare, pratique qui sous des apparences démocratiques, convoque la loi et les médias pour empêcher les dirigeants de gauche d’avoir une chance d’être réélus. Lula était le grand favori des sondages à l’approche des présidentielles de 2018. Son incarcération représente la plus grande fraude juridique de l’histoire du Brésil. Un complot politique qui a permis à Jair Bolsonaro d’être élu. En prison pendant 580 jours, Lula n’a cessé de clamer son innocence et a bénéficié du soutien d’une grande partie de la population : un groupe de femmes et d’hommes criait chaque matin devant la prison de Curitiba où il était enfermé « bonjour Lula ! » et le soir, « bonsoir Lula ! ».
En juin 2019, le journal d’investigation The Intercept a accusé le juge Sergio Moro et les enquêteurs chargés de l’enquête anticorruption Lava Jato d’avoir comploté entre eux pour empêcher Lula de se présenter à l’élection présidentielle de 2018. Enfin le 8 mars 2021, un juge de la Cour suprême brésilienne a levé toutes les accusations portées à l’encontre de Lula, à nouveau libre, et éligible. Donné vainqueur à l’élection présidentielle dans tous les sondages, il entre en campagne en août 2022 afin d’évincer Jair Bolsonaro, le président sortant d’extrême droite qui en quatre ans a eu le temps de détruire l’Amazonie et de saccager le pays.
Le bilan désastreux de Jair Bolsonaro
Celui que Donald Trump surnomme le « Trump des Tropiques » a perdu dimanche 30 octobre 2022 l’élection présidentielle face à Lula, à qui il laisse une société polarisée, un pays fracturé où les inégalités et la faim ont explosé. Durant quatre années, il aura gouverné le Brésil avec les même méthodes que l’ancien président américain : politiques racistes, misogynes et homophobes, climato-scepticisme et attaques contre les institutions démocratiques. Expert en outrances verbales, il aura notamment appelé « ses compatriotes à ne pas former « un pays de tapettes« , une manière pour lui d’inciter les Brésiliens à ne pas se plaindre des décès causés par le Covid-19. « Nous allons tous mourir un jour », avait-il justifié, alors que sa gestion de la pandémie se révélait particulièrement catastrophique : scènes d’hôpitaux surchargés, images de tombes récemment creusées et 680 000 morts officiels du Covid. « C’est simple, il n’a rien fait et laissé les gens sur le carreau », avait résumé Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine. Une gestion calamiteuse de la pandémie qui aura propulsé des millions de gens dans la pauvreté : 33,1 millions de personnes souffrent de la faim au Brésil (source : Réseau brésilien de recherche sur la sécurité alimentaire), soit 15% de la population ! Il s’agit d’une augmentation de plus de 73% par rapport à 2020.
« Au Brésil la faim est partout, et l’Etat nulle part ».
Elu sur un programme économique ultralibéral, Jair Bolsonaro s’est attelé à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie : néolibéralisme, privatisations et réduction des dépenses de l’Etat, notamment concernant la santé. En 2019, le président a également mené une réforme du système des retraites avec pour objectif 800 milliards de réais (environ 176 milliards d’euros) d’économie sur dix ans. Le vocabulaire emprunté à ce moment fut le même que partout ailleurs où les politique néolibérales sont menées : « Eviter l’explosion du déficit budgétaire », « restaurer la crédibilité financière du pays », « mesure-clé que les entreprises étrangères attendaient pour revenir investir » etc.
La méthode est connue : les injonctions à « rembourser la dette abyssale du pays » justifient le principe de privatiser tout ce qu’il est possible de privatiser afin de satisfaire les marchés. Entouré de chicago boys (Paulo Guedes est ministre de l’économie depuis 2019, économiste passé par l’Université de Chicago, connu pour son orientation ultralibérale et son climatoscepticisme), Bolsonaro a drastiquement réduit les organismes publics et opéré de nombreuses privatisations, comme celle du géant de l’électricité Eletrobras. Tout cela a eu un impact désastreux sur les brésiliens : aujourd’hui 1% de la population du pays détient plus de la moitié de la richesse.
Une politique libérale agressive qui va de pair avec le développement de l’agro-industrie et de l’agro-business, dont Bolsonaro a largement nourri les appétits : arrivé au pouvoir en 2019 avec le soutien du lobby agroalimentaire, le président a démantelé les institutions chargées de la protection de l’environnement en affaiblissant leurs budgets (en septembre 2020, il avait qualifié les ONG de « cancers » qu’il « n’arrive pas à tuer »).
Il a toujours encouragé la déforestation en défendant l’exploitation de la forêt. Entre 2019 et 2020, la déforestation a augmenté de 50 %. Chaque jour, 1,5 million d’arbres sont abattus, soit près de 4000 terrains de football. Aujourd’hui, la surface déforestée est plus vaste que l’étendue de la Belgique. La situation est telle que le « poumon vert de la planète » rejette désormais plus de CO2 qu’il n’en capte et que les incendies se multiplient. Une politique violente qui a des conséquences dramatiques sur la vie des peuples Autochtones. En janvier 2021, les Chefs autochtones Raoni et Almir ont décidé d’attaquer le président brésilien Bolsonaro en justice pour crime contre l’Humanité.
Le bilan de Bolsonaro, c’est quatre ans de violence. Violence dans les mots, violence dans les gestes et violences politiques : Le Brésil est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les activistes; en 2020, au moins 20 militants pour la défense de l’environnement ont été tués (source : ONG Global Witness). Bolsonaro a réduit la transparence des organisations publiques et du gouvernement, il a remis en question le système électoral quand les sondages étaient mauvais et a menacé de ne pas respecter les résultats des élections. Il ne s’est d’ailleurs toujours pas exprimé, depuis sa défaite électorale dimanche 30 octobre 2022.
Le Brésil est de retour
Lula est arrivé en tête avec 50,9 % des voix à l’issue du second tour, ce dimanche 30 octobre 2022. Après l’annonce des résultats, il a prononcé un discours à Sao Paulo : « Aujourd’hui, nous disons au monde que le Brésil est de retour, que le Brésil est trop grand pour être relégué à ce triste rôle de paria du monde. » Les scènes de liesse populaire dans le pays sont incroyables. Lula est désormais à la tête de la dixième puissance du monde. Adversaire du traité de libre-échange avec le Mercorsur, adversaire de la déforestation et de l’exploitation minière illégale. À son arrivée au pouvoir, lors de son premier mandat en 2003, la déforestation affichait un taux record. En 2011, à l’issue de ses deux mandats, il était parvenu à la faire chuter d’environ 70%. Même si l’écologie a été traitée en marge de la campagne, Lula a promis de créer un ministère de la Pêche et des Peuples indigènes.
Lula promet une rupture totale avec la politique de Bolsonaro. Sa priorité sera la lutte contre la faim : « Ce n’est pas normal que dans ce pays, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants n’aient rien à manger. Nous sommes le troisième producteur mondial d’aliments. Nous avons le devoir de veiller à ce que chaque Brésilien puisse prendre son petit-déjeuner, déjeuner et dîner tous les jours ». Comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon : « La victoire de Lula, c’est la victoire du peuple. »
Le Brésil parle au monde
La victoire de Lula au Brésil est également un message envoyé aux peuples du monde entier qui luttent contre la montée du fascisme, la catastrophe climatique, sociale et démocratique. Spécialement en Europe, à l’heure où les gouvernements d’extrême droite se multiplient : en Italie, l’extrême droite gouverne depuis le 22 octobre 2022. Ailleurs dans l’Union européenne, ce courant politique est aussi à la tête des gouvernements hongrois et polonais, il participe aux exécutifs slovaque et letton et apporte son soutien sans participation à celui de la Suède. En France, 89 députés du Rassemblement National sont à l’Assemblée et votent main dans la main avec le gouvernement de Macron contre des mesures sociales d’intérêt général.
L’élection de Lula à la tête du Brésil intervient dans une période où l’Amérique latine connait une vague de gauche populaire historique, encore plus puissante que celle du début des années 2000. C’est-à-dire que jamais le continent n’a compté autant de gouvernements progressistes, au pouvoir en même temps : AMLO au Mexique, Boric au Chili, Petro en Colombie, Castillo au Pérou, Castro au Honduras, Luis Arce en Bolivie, et désormais Lula au Brésil. Tous ces pays ont opéré, les uns après les autres, leur processus de révolution citoyenne, suite à des mandats de dirigeants capitalistes aux politiques libérales agressives. La région, géographiquement proche des Etats-Unis, est le laboratoire du néolibéralisme. C’est ici, donc, que des nouvelles formes d’organisations politiques, sociales et économiques sont inventées. L’élection de Lula après le mandat d’une personnalité libérale d’extrême droite qui a mis à sac le pays, l’élection de Lula après les procès, la prison et les campagnes médiatiques calomnieuses, porte un message d’espoir : la lutte paie toujours. Un autre monde est toujours possible.