Il suffit d’un communiqué de presse, quelques lignes seulement, pour qu’une entreprise pharmaceutique déclenche des effets mondiaux non pas contre le virus, mais pour le portefeuille des actionnaires. Les taux d’efficacité (potentielle) d’un vaccin sont annoncés à la virgule près : 94,5%, 90%, ou avec des marges étonnantes : entre 50 et 80%. Moderna, Sanofi, Astrazeneca, voilà quelques noms des laboratoires qui n’hésitent plus à attendre la fin de la recherche avant de communiquer. Provoquant ainsi des hausses spectaculaires du prix de leurs actions, affolant les gouvernements et organismes internationaux, laissant dubitatifs les citoyens.
L’enjeu n’est pas que financier : derrière cette course, il y a aussi une question de souveraineté nationale et de démonstration de force entre puissances politiques. La Russie et la Chine bien entendu ne comptent pas s’approvisionner auprès des entreprises étrangères. Cuba, la petite île socialiste, qui a eu les moyens d’envoyer ses médecins à la rescousse de l’Europe, y travaille aussi. L’Europe semble agitée et passe commande de doses de vaccins par millions avant même de vérifier leur efficacité. La présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Von der Leyen, s’est exprimée en ces termes :
« À la suite de l’annonce prometteuse faite lundi par BioNTech et Pfizer sur les perspectives de leur vaccin, j’ai le plaisir d’annoncer l’accord conclu aujourd’hui avec la société européenne BioNTech et Pfizer, en vue de l’acquisition de 300 millions de doses de vaccin. Avec ce quatrième contrat, nous consolidons à présent un portefeuille de vaccins extrêmement solide, dont la plupart sont en phase d’essais avancés. Une fois autorisés, ces vaccins seront rapidement déployés et nous rapprocheront d’une solution durable à la pandémie »
Extrait du site de la Commission Européenne, « Coronavirus : la Commission approuve un contrat avec BioNTech-Pfizer pour garantir l’accès à un vaccin potentiel »
Tour d’horizon par pays
États-Unis
C’est Pfizer-BioNTech (en collaboration avec l’Allemagne) qui a ouvert le bal des vaccins. Le 20 novembre 2020, ils ont soumis à la Food and Drug Administration leur demande d’autorisation d’un vaccin possible, après 10 mois de travaux. Ils annoncent des taux d’efficacité à 90%. L’autre vaccin américain Moderna est quant à lui un peu plus en retard dans les différentes phases de test mais les premiers résultats font état d’un taux de réussite de 94,5%.
Russie
Le vaccin russe Spoutnik V serait efficace à 95% selon le ministère russe de la Santé et le Fonds souverain russe. Une dose du vaccin serait commercialisée 8,5 euros. La vaccination pour les citoyens russes serait quant à elle gratuite.
Suède - Angleterre
Le vaccin d’Astrazeneca prétendait être efficace à 70%. Il s’agit du vaccin développé en partenariat avec Oxford. Ce pourcentage masque en fait un écart important entre deux groupes qui ont participé aux échantillons : pour un des groupes l’efficacité est de 90%, quand elle n’est que de 62 pour l’autre. Certains participants à l’essai n’ont reçu qu’une dose partielle du vaccin d’AstraZeneca et des experts ont déclaré que « les divulgations irrégulières de la société avaient érodé la confiance ».
Chine
La Chine enfin a déjà vacciné près d’un million de personnes au 25 novembre 2020 avec le vaccin produit par Sinopharm. Ce vaccin repose sur un virus inactivé, de manière à protéger pendant trois ans les personnes vaccinées.
France
Sanofi, groupe français privé transnational, travaille au développement d’un vaccin à destination de la France notamment. Les premiers résultats des tests sont attendus au début du mois de décembre 2020. Ce vaccin serait disponible au mois de juin 2021 en France.
La fameux Institut Pasteur, fondation à but non lucratif, et dont l’expérience pourrait être très précieuse dans la lutte contre la pandémie et pour mener une campagne de vaccination basée sur la confiance, a mis ses équipes au travail comme elle le rappelle dans un communiqué de presse publié le 8 octobre 2020 :
Cuba aussi…
Cuba aussi cherche un vaccin : le 13 novembre 2020, Eulogio Pimentel, directeur du CIGB de La Havane déclarait que le pays travaillait sur un quatrième vaccin potentiel cubain.
« Ce candidat vaccin a été nommé Mambisa, en hommage aux femmes qui ont combattu dans les guerres d’indépendance dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’institution travaille également sur trois autres molécules, deux peptides et une protéine virale recombinante, avec des résultats satisfaisants dans la phase préclinique. Ainsi donc, la communauté scientifique cubaine travaille sur quatre candidats vaccins contre le Covid-19, et les deux premiers, Soberana 01 et 02, progressent positivement dans les essais cliniques chez l’homme, selon Vicente Vérez, directeur de l’Institut Finlay, qui a développé ces deux candidats vaccins » peut-on lire sur des sites d’information cubains.
Le vaccin Sobrena est quant à lui testé depuis le 24 août 2020 sur 700 personnes jusqu’en février 2021.
Quand on cherche les termes « vaccin », « covid » et « Cuba » sur Google, on ne trouve que très peu de résultats dans la presse mainstream. L’article le plus dense à ce propos a été publié à la fin du mois d’août 2020, sur le site du Courrier International.
Cuba est victime du blocus américain qui l’empêche d’être reliée aux grands réseaux scientifiques mondiaux. Privée de financements, Cuba œuvre avec ses petits moyens face aux États-Unis ou à l’Union européenne qui ont déboursé beaucoup d’argent pour accompagner les laboratoires dans leur recherche, de même que la fondation Bill et Melinda Gates ou encore l’entreprise Nestlé. Moderna a par exemple reçu 500 millions de dollars de la part des États-Unis pour financer ses essais cliniques. En déboursant de l’argent, ce sont également des doses que les États se réservent.
Qui va vacciner les pays pauvres ?
Alors que le vaccin contre le coronavirus devrait être un bien commun de l’humanité, toutes ces informations donnent plutôt l’impression qu’il s’agit de jeux de gains et d’accaparement. Les États-Unis financent et sont particulièrement intéressés, de même que l’Union européenne. Cependant personne ou presque ne prête attention aux hypothèses cubaines et peu de personnes semblent se préoccuper de la vaccination dans les pays pauvres. La découverte d’un remède est un enjeu majeur mais l’accès aux doses sera une autre course, bien plus cruelle et injuste encore.
Pour l’heure, les pays riches préemptent les doses comme la 1ère classe préemptait les canots de sauvetage sur le Titanic ! L’analogie est choquante, pourtant, une autre façon de faire, moins égoïste aurait méritée d’être envisagée : pourquoi pas donner la priorité aux groupes de populations fragiles quel que soit le pays ?
Mutualiser les brevets au nom de l’humanité
Une des solutions pour produire davantage de doses est celle de la mutualisation des brevets puisque aucun laboratoire ne peut aujourd’hui faire face à une demande mondiale. Cette hypothèse, qui est celle d’un horizon de sortie de crise par le collectif est rejeté par plusieurs acteurs notamment l’Union européenne ou l’OMC au nom de la propriété intellectuelle. Encore une fois, ce sont les pays riches qui se sont accaparés les doses qui refusent de réfléchir à comment vacciner les populations les plus fragiles.
Si la crise du coronavirus a déclenché une épidémie de pauvreté, si elle a montré de manière particulièrement vive les conséquences d’un mauvais accès à un système de soin performant ou encore les inégalités économiques et sociales, la question du vaccin donne une dimension particulière à ces inégalités. En effet, il s’agit du moment où les laboratoires et les fondations privées entrent dans la danse, où chaque pays essaye de tirer le premier son épingle du jeu.
En plus des personnes qui entrevoient peut-être le retour à une vie normale, ce sont les cours des bourses dans le monde qui se sont réjouies de la découverte d’un vaccin efficace à près de 90% : « A Wall Street, le Dow Jones a connu sa plus forte hausse depuis juin, en gagnant 2,95%, et l’indice S&P 500 a pris 1,17%. L’action Pfizer a grimpé de 7,69%. Les marchés européens se sont eux envolés, Paris prenant 7,57%, Francfort 4,94%, Londres 4,67%, Milan 5,43% et Madrid 8,57%. Paris, Londres et Milan ont affiché leur meilleure performance en une séance depuis mars, et Francfort depuis mai. Cette dernière a même brièvement effacé l’ensemble de ses pertes annuelles, une première depuis le début de la crise sanitaire parmi les grandes places boursières européennes » indique Boursorama.
Alors oui, pour la première fois depuis de nombreux mois maintenant, c’est peut-être un horizon de sortie de crise qui se dessine mais ce sont toujours les marchés qui font la loi. Et le monde d’après restera celui des profiteurs.