Le lundi 22 février à 21 heures, j’ai participé à une conférence numérique publique ZOOM avec le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, et le candidat à la présidentielle brésilienne Fernando Haddad. Il s’agissait de faire le point sur les opérations de guerres politiques judiciaires (« Lawfare ») dans le monde. On sait que nous avons été à l’initiative d’un premier forum mondial « contre le lawfare » aux Philippines en défense de la sénatrice De Almeida emprisonnée depuis quatre ans sur la base de ce type d’opération « judiciaire ». Les séances suivantes de ce forum mondial sont en cours d’organisation.
Cette première avait été organisée dans la foulée de nos condamnations au tribunal de Bobigny pour rébellion contre les perquisitions aux sièges de la France insoumise et du Parti de gauche où les fichiers d’adhérents ont été saisis. Ce matin-là, « comme dans une opération contre le grand banditisme » selon le mot du président du Sénat Gérard Larcher, cent policiers et dix substituts du procureur de Paris, surgissaient sans préavis chez 17 militants et 5 sièges pour des perquisitions dont nous ne savons toujours rien deux ans après qu’elles aient eu lieu. À nos yeux il s’agit d’une opération politique destinée à fournir des éléments contre nous pour la campagne présidentielle de 2022. Rien de plus. La suite montrera ce qu’il en est. Dans ce contexte nous avons beaucoup appris dans nos contacts avec les Argentins et les Brésiliens sur les méthodes de ripostes politiques. Nous sommes prêts. Mais ce n’est pas le sujet ici. En effet le contexte a tellement changé !
Justice et police ne sont plus perçues de la même manière depuis lors. Trente deux éborgnés, cinq mutilés et deux morts sans suite judiciaire, mais 800 peines de prison ferme pour les gilets jaunes ont construit une autre perception de la police et de la justice. Et notre niveau d’information sur nos persécuteurs s’est considérablement amélioré. Non, à cet instant, après la conférence avec les Brésiliens, il s’agit plutôt de faire le point sur ce qui est advenu de l’opération « Lava Jato » au Brésil. Il faut savoir comment « la mère des Lawfare” a tourné au déshonneur des procureurs qui ont accepté de la monter. Leurs commanditaires politiques, eux, continuent tranquillement leur carrière sans être inquiétés par qui que ce soit. Au contraire. Ils viennent d’élire à la tête de la chambre des députés un homme directement impliqué dans une affaire de corruption….
Faisons donc le point. Le groupe de travail chargé de l’opération soi-disant anti-corruption nommé « Lava Jato » a été dissous par le procureur général du Brésil. Ainsi prend fin l’opération de justice qui a servi de modèle pour impliquer la justice dans les règlements de compte politique. Ce qui était présenté comme un modèle de justice est devenu depuis le plus grand scandale judiciaire de l’histoire de la justice en Amérique latine. On se souvient de ce juge brésilien Moro. Nous répétons tous son nom pour que l’infamie le suive partout où il ira et que son nom sur Google reste accolé pendant des décennies a ce lamentable traquenard. C’est lui qui a créé et mené « l’enquête » conduisant à l’invalidation de la candidature de Lula puis à son incarcération à la prison fédérale de Curitiba. Je m’y étais rendu pour témoigner à Lula notre soutien.
L’opération Moro contre Lula avait servi de modèle dans le monde pour la série des opérations d’implication de la justice contre les candidats de notre famille politique. Nous avions d’ailleurs révélé que le procureur adjoint impliqué dans les perquisitions rocambolesques à mon domicile et au siège du mouvement, Christophe Perruaux, s’était rendu au Brésil auprès du juge Moro pour une mission « d’échange des bonnes pratiques ». Le rapport de cette mission, s’il existe, n’est pas encore pas disponible quatre ans après. Comme tous les autres protagonistes de cette opération ce procureur a fait l’objet d’une promotion. Son amateurisme dans la conduite de l’affaire Tapie aurait dû l’obliger à davantage de travail de rattrapage professionnel. La conduite aberrante des perquisitions l’a prouvé et ce n’est pas moi mais ses confrères qui le disent en reconnaissant que le dossier est « vide ».
D’autant aussi que depuis lors son modèle en « bonnes pratiques » le juge Moro a été écrasé sous les preuves de ses malveillances et manipulations pour parvenir à emprisonner Lula. Mais la conséquence est que plus personne ne croit en personne au Brésil et surtout pas en la justice anti-corruption. De cette façon le juge Moro, contraint à la démission en raison de ses grossières manipulation a certes réussi à faire élire Jair Bolsonaro. Il en est même devenu aussitôt ministre « de la Justice et de la sécurité intérieure » dans le but de finir sa sale besogne. Mais il a été rattrapé par les révélations sur ses manœuvres. Et il est responsable du discrédit qui dorénavant frappe la justice brésilienne. Il faut dire qu’il y a été fort. L’inculpation de Lula s’est faites comme une grande première : pour « des actes indéterminés » et toutes sortes d’accusations qualifiées depuis de « douteuses » par les magistrats enquêteurs sur son travail.
Mais à présent la vérité est établie : Moro lui-même a organisé la construction de l’accusation contre l’ancien président. Il a organisé l’espionnage de ses avocats et donné des ordres précis pour obtenir la participation de ses collègues à la manœuvre. Ces procureurs ont été régulièrement informés par des agents de la police fédérale faisant des interceptions téléphoniques pour mettre au point les moyens de la condamnation de Lula. Ici, une chaine sans discontinuité a uni au Brésil, en seul complot de journalistes véreux, flics pourris et magistrats parjures. Tous ont menti et ourdi leur complot sciemment. Le temps qu’une autre partie des institutions judiciaires réagissent et incriminent tout ce petit monde, le mal était fait. Le mal contre Lula, contre la justice, contre le Brésil. Tout sent mauvais. Les mensonges séducteurs ne manquaient pas. Ainsi quand le juge Moro se targuait d’avoir récupéré des sommes importantes pour l’Etat. Mais il s’est bien gardé de dire que 50% des amendes qu’il décidait, notamment contre la compagnie pétrolière nationale allaient tout droit a une fondation privée dont les membres étaient les juges de cette soi-disant « opération mains propre » flanqué de plusieurs responsables d’associations non-gouvernementale bien pensantes. Cette fondation a été suspendue évidemment.
La suite des révélations sur cette maffia judiciaire et ses « bonnes pratiques » n’est pas finie. En effet les hackers s’y sont mis. Ils ont livré en 2019 des dizaines de giga octets d’informations qui ont alimenté des centaines d’articles sur cette opération de justice politique. Mais seule une très petite quantité a été exploitée. La suite arrive. Au Brésil, une partie des juges et des journalistes ainsi que diverses associations ont refusé de se joindre à l’opération. Ils ont maintenu une forme de résistance qui a permis ensuite à la vérité de faire son chemin et a Lula d’être libéré. Pour autant, toute la politique de ce pays a été profondément perturbée et le cours de son histoire a bifurqué. Les noms qui resteront sont ceux des juges politiciens comme Moro qui ont ridiculisé la justice de leur pays.
(La plupart des informations contenues sur ce sujet proviennent d’un article paru dans le New York Times sous la plume de Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (OPALC) à Sciences Po à Paris, traduit par Francis Gast)
Vous pouvez retrouver l’article original sur l’Ère du peuple