Une vingtaine de généraux à la retraite et plusieurs milliers de militaires dont certains d’active (en poste) se rêvent en acteurs d’un coup d’état militaire. Ivres de délires et fantasmes racistes et xénophobes, ils citent et s’excitent sur les expressions en vogue dans l’imaginaire de l’ultra-droite : du « délitement de la patrie » lié à « l’antiracisme » qui créerait « une haine entre les communautés», à « l’islamisme » et aux « hordes de banlieue » qui transformeraient « la nation en territoires soumis ».
Ils concluent en agitant la menace d’une prise de pouvoir par l’armée, 60 ans jour pour jour après la tentative du putsch des généraux de l’armée française à Alger, le 21 avril 1961 :
« Nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. Par contre, si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles ».
Sur Place d’armes, le site où la tribune est également publiée, les généraux signataires expriment leur nostalgie de l’Algérie française.
Sans surprise, les auteurs et signataires sont des proches du Rassemblement national ou d’autres formations de l’ultra-droite. Ainsi en est-il de Antoine Martinez, prétendant à l’élection présidentielle de 2022 et qui se proclame la voix « des français de souche », ou encore Christian Piquemal qui en 2016 s’était fait connaître pour avoir manifesté contre l’immigration aux côtés de la branche française du mouvement islamophobe allemand Pegida, à Calais. On peut citer aussi François Gaubert, conseiller régional Occitanie élu en 2015 sur la liste de Louis Aliot, actuel maire de Perpignan, membre de l’exécutif du RN.
Les liens de l’armée française avec l’extrême droite ne sont pas surprenants. D’ailleurs, en mars dernier, une cinquantaine de nouveaux cas de militaires néonazis dont la plupart appartiennent à la Légion Étrangère, corps d’élite de l’armée française créée en 1831 en pleine guerre coloniale en Algérie, avaient été identifiés.
Marine Le Pen, candidate d’extrême-droite « dédiabolisée » par les médias, s’est empressée de réagir, suivant un plan de communication probablement concerté avec le magazine Valeurs Actuelles. Elle explique dans un texte faussement compatissant, souscrire aux analyses des généraux et partager leur « affliction, comme citoyenne et comme femme politique ». « Messieurs les généraux, rejoignez-moi dans la bataille pour la France », a-t-elle lancé.
L’extrême droite : de gré ou de force
Notre voisin espagnol a fait la même expérience il y a quelques mois. C’était en novembre 2020 quand 73 commandants de l’armée de la XXIIIe promotion de l’Académie militaire générale (AGM) se sont adressés au roi dans une lettre ouverte du même acabit que la tribune des généraux en France.
Les commandants, nostalgiques de l’époque franquiste, assurent que l’Espagne « connaît une situation de détérioration » dans laquelle « la cohésion nationale court de sérieux risques ». Ils accusent le gouvernement « social-communiste, soutenu par les indépendantistes, de participer à la décomposition de l’unité nationale ». Ils montrent leur soutien et leur loyauté au roi « dans ces moments difficiles pour la patrie ».
Parmi les signataires, un lieutenant général, deux généraux de division, quatre généraux de brigade et 66 colonels. Des soldats entrés à l’académie en 1964 et âgés de plus de 70 ans. Aujourd’hui à la retraite, ils ont le droit de s’exprimer. Sauf qu’ils ont signé en tant que soldats, pas en tant que citoyens. La lettre est donc adressée à dessein au roi, constitutionnellement capitaine général des armées, par l’intermédiaire du chef de la maison royale, Jaime Alfonsin.
Le Forum Milice et Démocratie (FMD), héritier de la défunte Union Démocratique Militaire (UMD) persécutée par la dictature, a critiqué le fait que ces commandants prétendent représenter le corps militaire dans son ensemble. Le Chef d’Etat major de l’armée française a, au bout de 5 jours, exprimé les mêmes regrets et exigé des sanctions.
La stratégie de la violence armée
Il n’y aucun doute possible sur la stratégie mise en œuvre aussi en Espagne qu’en France : abusant de l’apparat militaire, des militants proches de l’extrême-droite (Vox en Espagne et Rassemblement national en France), cherchent à effrayer la population.
Ils instrumentalisent l’armée et tentent de l’identifier à une formation politique, une candidate à la prise de pouvoir. En France, Marine Le Pen, en Espagne, Rocio Monasterio, candidate Vox aux élections régionales à Madrid.
Rappelons que l’extrême droite a tenté récemment une prise de pouvoir par la violence aux Etats-Unis !
En avril 2020 une première fois, avec des dizaines de manifestants armés qui étaient entrés dans le Capitole de l’Etat du Michigan, pour exiger l’assouplissement du confinement. Une action militante menée par la base ultra-réactionnaire de Donald Trump, qui avait tweeté son soutien à ces manifestations.
Et surtout le 6 janvier 2021, quand des milliers d’émeutiers sont entrés dans le Capitole à Washington, pour tenter de bloquer la certification des résultats du vote et la victoire de Joe Biden. Une tentative de coup d’Etat finalement échouée mais qui rappelle la nature profonde de l’extrême-droite : le culte de la violence armée, la provocation à la guerre civile, et la haine viscérale de la démocratie.
Podemos et la France insoumise résistent, les autres fuient
Face à l’évidente coordination entre les mouvances extrémistes et à la mise en œuvre de stratégies similaires, que font les gouvernants ?
En France, il a fallu que l’opposant Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, s’exprime avec gravité et saisisse la justice pour que le gouvernement d’Emmanuel Macron réagisse. Apeurés, incapables de saisir les enjeux, la ministre de la défense, et le Président de la République, pourtant tous deux en charge des armées, sont restés silencieux. Cherchant d’abord à minimiser la portée de la tribune (plus de 8000 militaires payés par le ministère des Armées), ils ont mis 5 jours avant d’annoncer des sanctions administratives.
Le Parti socialiste et Europe-Ecologie-Les Verts ont fait preuve d’un manque de courage politique affligeant. Leur silence en dit long sur leur incapacité à mener les batailles fondamentales de la gauche républicaine.
En Espagne, la situation est similaire : seul Podemos, le mouvement de Pablo Iglesias, monte au créneau inlassablement. Désigné comme ennemi à abattre par Vox, Pablo Iglesias a été directement menacé de mort (il a reçu une lettre de menace et 4 balles de fusil dans une enveloppe), sans que cela n’émeuve la classe politique.
La stratégie de l’extrême-droite consiste aussi à « accrocher une cible » sur ceux qui résistent. En Europe, la France et l’Espagne sont les cibles. L’Allemagne est aussi dans une situation très inquiétante (nous y reviendrons à l’occasion des élections en cours). « Plus jamais ça ! » entendait-on après la collaboration vichyste et le franquisme. Les bruns sont pourtant de retour.