Mesdames, Messieurs,
Présent à Kinshasa avec la délégation que vous voyez, composée de madame Nadège Abomangoli, députée de Seine-Saint-Denis, de monsieur Arnaud Le Gall et de monsieur Carlos Bilongo, députés du Val d’Oise, les circonstances ont créé un impératif Lumumba. Cette circonstance, c’est évidemment le massacre abominable qui est en train de se dérouler à l’heure à laquelle nous parlons à Gaza, où l’on prétend répondre aux méthodes de la terreur par d’autres méthodes de terreur, d’une vengeance sans limite.
Et bien sûr, celui, plus particulier, du Congo lui-même, avec les manigances meurtrières qui permettent dans l’est du pays que reprennent les exactions qui chassent les gens de chez eux. Quand plus de 5 millions ont déjà dû partir, 1 million de plus depuis que la violence a repris à l’initiative de l’adversaire, tandis que la République démocratique du Congo a scrupuleusement respecté ses engagements de cessez-le-feu.
Alors oui, disons le, devant tant de massacres, tant d’horreurs, tant d’abominations de tous côtés, avec de tous côtés le même abject système de deux poids deux mesures qui fait oublier les uns pour se souvenir toujours des autres, on pourrait finalement douter même de l’humanité. Et comme on pourrait le faire encore plus fort quand le changement climatique devrait être en train d’enseigner à chacun que l’heure est venue de jeter à la rivière le bouclier et l’épée pour prendre en charge les tâches communes de l’humanité.
C’est alors quand s’avance vers nous l’obscurité qui pourrait nous faire désespérer, qui pourrait nous laisser dominés par les indifférents et les résignés qui sont toujours là pour nous prêcher l’inaction, c’est le moment de se tourner vers la lumière qui brille pour toujours au front de Patrice Lumumba, comme le peuple congolais après tant d’années, et alors même qu’on aurait pu penser que le souvenir de Patrice Lumumba serait moins vif, se sont rassemblés par milliers au retour de ses restes.
Cette lumière, c’est celle qui nous permet, à nous Français, à nous Insoumis, de nous approprier l’histoire de l’Afrique, en faisant nôtre, les valeurs de combat qu’incarnent les femmes et les hommes qui ont libéré ce continent et parmi lesquels, bien sûr, en première ligne, Patrice Lumumba. Lumumba est notre contemporain. Lumumba, parce qu’il a été le héros de l’indépendance en d’autres temps, nous avait déjà dit que l’indépendance, il ne suffisait pas qu’elle soit proclamée, il ne suffisait pas qu’elle soit nominale, il fallait encore qu’elle soit réelle. C’est-à-dire qu’elle étende sa protection sur toutes les réalités qui composent une société, et en particulier sur l’économie et en particulier sur l’égalité entre les citoyennes et les citoyens qui composent la nation.
Lumumba nous a appris que si l’indépendance est un droit dorénavant acquis, elle reste un projet et un impératif pour le futur. Et cela ne vaut pas seulement que pour les peuples d’Afrique, mais aussi pour les peuples de l’Europe qui, après avoir beaucoup dominé, sont à leur tour dominés et partagés comme l’étaient autrefois les sociétés coloniales. Ils introduit dans leurs rangs ces discriminations qui répartissent entre les très riches et les très pauvres, humilient les uns et favorisent toujours les autres, toujours les mêmes. Des fois les mêmes au même endroit, dans les mêmes fonctions, avec les mêmes noms. L’indépendance est la condition de la souveraineté du peuple. Mais encore faut-il que cette souveraineté ait sa voix, c’est-à-dire que la démocratie permette qu’elle soit entendue. Et chacun envoie immédiatement le lien qui, ici au Congo, s’opère entre ces idées : celle de l’indépendance, de la souveraineté qui est son moyen, et de la démocratie qui en est la condition.
Les populations humilient les uns et favorisent toujours les autres, toujours les mêmes. Des fois les mêmes au même endroit, dans les mêmes fonctions, avec les mêmes noms. L’indépendance est la condition de la souveraineté du peuple. Mais encore faut-il que cette souveraineté ait sa voix, c’est-à-dire que la démocratie permette qu’elle soit entendue. Et chacun envoie immédiatement le lien qui, ici au Congo, s’opère entre ces idées : celle de l’indépendance, de la souveraineté qui est son moyen, et de la démocratie qui en est la condition.
Car les agressions que subit aujourd’hui le Congo ne sont pas limitées à une région. Elles mettent en cause sa souveraineté dans tout le pays, dans toutes les régions du Congo. Et alors nous avons à apprendre. Lumumba est notre contemporain quand il nous assigne la tâche de devoir construire comme un projet l’indépendance, la souveraineté et la démocratie dans un même mouvement, lui qui avait été le premier des Premiers ministres de ce pays sur la base d’un long combat sanglant, mais sur la base d’une victoire démocratique remportée dans les urnes qui lui donnait une totale et absolue légitimité, augmentant le poids du crime dont il a été l’objet.
Lumumba est notre contemporain quand il nous dit que l’unité du peuple est la condition de la souveraineté, est la condition de la démocratie. L’unité du peuple n’est possible que sur ses propres objectifs à lui, le peuple, en rupture avec tout ce qui le fragmente et le fractionne, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas conforme à son intérêt général et à l’intérêt humain qu’il contient.
Lumumba a identifié les causes de cette fragmentation. Il a nommé l’exploitation sociale. Il a nommé les logiques de développement séparées dans un même peuple entre les riches et les autres. Il a nommé le racisme quand il disait : “Nous ne pouvons pas oublier que nous étions des nègres. Nous ne pouvons pas oublier qu’on disait “tu” aux Noirs, non par amitié, mais pour ne pas lui dire “vous” qui était la mention honorable.”
Ce sont ici les mots qu’il a employé pour rappeler ce racisme qui construit et reconstruit par son vocabulaire quotidien les inégalités, le mépris, la discrimination. Lumumba nous apprend que le tribalisme est un obstacle à l’unité du peuple. Mais cette leçon ne vaut pas que pour le passé, car aujourd’hui, ce sont les puissants qui nous invitent au tribalisme quand ils nous proposent pour logique et pour grille d’analyse de la réalité, le choc des civilisations qui, paraît-il, nous opposerait les uns aux autres et pour finir, transforme tout conflit en un conflit entre le bien et le mal, entre les uns qualifiés de terroristes et les autres de bienfaisants, alors qu’ils utilisent les mêmes méthodes, les mêmes méthodes d’oppression, les mêmes méthodes de crime. Lumumba, nous autres ici, cette délégation de Français, nous autres, ici, cette délégation d’insoumis, Patrice Lumumba, nous voulons t’accueillir dans le panthéon des femmes et des hommes qui sont les héros de la condition humaine en tout lieu, sous toutes les latitudes, face à toutes les différences qui peuvent distinguer les êtres humains. Lumumba, nous voulons faire nôtre les vertus et la vertu essentielle que tu nous a enseigné. Tu étais capable d’assumer la conflictualité parce que tu avais compris qu’elle est à l’origine de toute chose et tu l’acceptais pour la dénouer sans jamais avoir les pudeurs de langage qui permettent aux puissants d’euphémiser. Ainsi as-tu, dans ton discours sur l’indépendance, braver les usages en nommant par leur nom l’exploitation odieuse du colonialisme qui était ici au Congo, pire, si cela est possible, que partout ailleurs. Tu l’as fait et cela a indigné le Roi, paraît-il. Ce qui nous, avec le passage du temps, nous indigne, c’est l’indignation du roi à ce moment-là parce que tu nommais les choses. Parler cru et dru, nous l’avons appris de toi, Lumumba, et nous continuons à nous y tenir parce que c’est la seule manière, en nommant les choses par leur nom à la fois d’assumer la conflictualité et de la dénouer, car on ne peut pas la dénouer si on l’assume pas, si on euphémisme, si l’on emballe avec des rubans de mots les réalités atroces.
Lumumba a sans cesse, dans son discours, fait référence au combat collectif. Il n’a cessé de dire que la victoire avait été payée du prix de la lutte et qu’elle était une victoire collective. Mais Lumumba s’appelle Lumumba, Patrice Lumumba. Il nous a montré de cette façon que si le courage de tous est possible, il l’est à la condition préalable du courage de quelques uns qui brisent l’inertie, la résignation et le courage de quelques uns commence toujours par le courage singulier de la première goutte qui coule de la première femme, du premier homme qui s’avance et, dans l’obscurité de la résignation, allume la lumière du combat. Et c’est en le faisant qu’il prend pour lui-même tous les risques. Lumumba a été assassiné. Et, en même temps que sa mémoire, vit en nous, vit dans l’histoire longue et dans sa trame, les causes, les raisons, les mobiles de son assassinat, c’est-à-dire la cupidité absolue des occupants qui ne se résignent jamais au fait qu’on leur tiennent tête.
Voilà de quoi est mort Patrice Lumumba : par l’entremise de bas agents qui l’ont assassiné au nom de la civilisation du bien contre le mal, qui l’ont découpé en morceaux au nom des mêmes grands mots et pour finir, dissous dans l’acide. Voilà ce que vaut la civilisation de ceux qui ont commis le crime. Voilà ce que valent en réalité les valeurs dont ils ne cessent de se décorer! Meurtriers, assassins, toujours sur les basques de ceux qui ont le courage d’engager le combat et que l’on voue à la mort en les désignant comme des cibles.
Lumumba a été assassiné, ses restes ont été profanés, mais il aura suffi qu’on en ramène la part la plus modeste pour qu’aussitôt le peuple congolais sache qu’il est là. Bien là. Tout entier là. Avec nous encore à cette heure et au moment où je vous parle, Lumumba, par son destin, par son engagement, nous a enseigné la vertu suprême du citoyen qui est l’engagement, s’avancer et faire, ne jamais accepter que les choses aillent d’elles-mêmes.
L’histoire contient toujours et à toutes les époques, le même absurde mélange du meilleur et du pire. Mais qui ne s’avance pas pour le meilleur, perd le droit ensuite de se plaindre du pire et se trouve désarmé devant lui pour le combattre, s’il a laissé les partisans du meilleur mener seuls le combat. Voilà la plus grande des leçons. Voici celle qu’il nous faut enseigner, comme il nous l’a demandé en commençant son discours le jour de l’indépendance, où il nous a demandé d’enseigner la gloire du combat pour la liberté qu’il avait mené et il nous avait demandé de le faire à nos enfants et à nos petits-enfants. C’est cette tâche que j’accomplis pour les Français, pour les insoumis devant vous. Je voudrais enseigner la vertu de Lumumba, l’engagement. Jeunes gens qui m’écoutez, c’est votre tâche et votre devoir de faire le choix de vous engager pour le bien de votre pays mais pour la communauté dont vous faites partie. Laquelle ? Le peuple humain à l’heure où les plus grands dangers s’accumulent pour lui.
Jeunes gens, imitez l’audace de Patrice Lumumba avec vos mots, avec vos méthodes, avec vos chants, avec vos dessins, avec vos bulletins de vote. Soyez au sens le plus élevé des lumumbistes, c’est-à-dire des gens qui n’ont peur de rien sitôt qu’il s’agit de l’absolu auquel ils décident de vouer leur liberté. La liberté, la liberté.
Merci Patrice Lumumba de nous avoir ouvert ce chemin.