Retour sur la visite du Président égyptien
Emmanuel Macron a choisi d’offrir au dictateur égyptien une visite d’État, avec tous les honneurs qui en découlent. Peu importe pour lui qu’Abdel Fattah al-Sissi affiche l’un des pires bilans de la planète concernant les droits humains.
Est-ce l’annulation par l’Égypte de contrats de ventes d’armes en 2019 suite aux déclarations critiques de Macron depuis Le Caire en janvier 2019 – sans avoir prévenu au préalable son hôte contrairement aux usages – qui l’a motivé à dérouler un tapis rouge à Sissi deux ans plus tard ? Une fois de plus, en raison de son amateurisme solitaire et son addiction à la « diplomatie du mégaphone » Emmanuel Macron aura dû faire une penaude volte-face à 180 degrés deux ans après ses déclarations.
D’un côté le sérieux selon Macron : « une politique de dialogue exigeant plutôt qu’une politique de boycott qui viendrait à réduire l’efficacité d’un de nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité régionale ». De l’autre les idéalistes. Circulez. Mais ça n’est pas si simple. Outre le fait que de nombreux outils diplomatiques offrent des alternatives entre le tapis rouge et le boycott d’un pays stratégiquement placé et peuplé de 100 millions d’habitants, rappelons que cette opposition est en pratique infondée, et même absurde.
La realpolitk n’est pas l’oubli des principes
Définie sérieusement, la realpolitik n’est pas l’oubli des principes, mais la simple prise en compte des rapports de forces. Or sur ce terrain, il est pour le coup très peu réaliste de croire que Sissi est un rempart contre le terrorisme et représente un pôle de stabilité régional. Au contraire, ses méthodes de lutte contre le terrorisme sont inefficaces. Et l’instrumentalisation de cette lutte pour éradiquer toute forme de contestation politique ne fait qu’aggraver le mal. Les prisons égyptiennes surpeuplées mélangeant jihadistes et opposants progressistes non violents sont du pain béni pour la diffusion de la propagande des premiers.
Sur le plan économique et social, donc politique, l’Égypte est tout sauf un pôle de stabilité à moyen terme. C’est au contraire une cocotte-minute. Un pays de 100 millions d’habitants, soit dix de plus qu’en 2013, dont 33 % vivent sous le seuil de pauvreté – pourtant calculé avec des critères locaux bien plus restrictifs que ceux de l’Onu, et dans lequel 3,5 millions de jeunes entreront sur le marché du travail d’ici 2025. Un pays dans lequel l’armée accapare tous les secteurs de l’économie et bride les secteurs créateurs d’emploi au profit de grand projets inutiles et délirants, comme l’illustre la grande fierté de Sissi, sa nouvelle capitale administrative, au budget évalué sans transparence entre 50 et 300 milliards de dollars, alors qu’elle restera sûrement aux trois quart vide… Alimentée par un système financier frauduleux analogue à celui qui s’est effondré au Liban en laissant le pays dans le chaos, cette nouvelle capitale illustre à elle seule la fuite en avant d’une oligarchie militaire égyptienne qui envoie son pays dans le mur. Il n’y a en France que les néolibéraux autoritaires dogmatiques et les affairistes confondant leur profits avec la santé globale de l’économie pour voir là un pôle de stabilité…
Parce qu’elle n’oppose pas le réalisme d’un côté, et les droits humains de l’autre, et que la seule politique efficace de stabilité et de lutte contre le terrorisme est celle qui prend en compte les attentes des peuples qui se battent pour leur souveraineté et leurs droits, la France Insoumise s’est donc opposée au statut de visite d’Etat offert au dictateur égyptien. Son groupe parlementaire était notamment représenté par Bastien Lachaud au rassemblement en solidarité avec le peuple égyptien, organisé le mardi 8 décembre à 18 h devant l’Assemblée nationale par les organisations de défense des droits humains.
Communiqué de presse du groupe parlementaire de La France insoumise.
Le dictateur égyptien Abdel Fattah al-Sissi sera en visite d’État en France le 7 décembre. La France insoumise dit sa fraternité pour le peuple égyptien. Mais elle désapprouve la « grande pompe » réservée à l’accueil d’un homme ayant tué tous les espoirs nés de la révolution de 2011 en faisant de son pays une prison. La répression totale qu’exerce le régime égyptien contre toute forme de contestation, au prétexte bien connu de lutter contre le terrorisme, commande plus de réserve. Encore une fois, la politique étrangère du président français reste à courte vue. Elle est lourde de déconvenues à venir.
Au prétexte que l’Égypte achète des armes à la France, et affronte des groupes armés, notamment dans le Sinaï, Emmanuel Macron perd de vue tous les principes politiques défendus par la France. Il oublie l’inefficacité, du point de vue de la lutte contre le terrorisme, de cette répression aveugle n’ayant d’égale qu’une brutalité envers les civils qui fournit sans cesse aux jihadistes de nouvelles recrues. Il oublie les milliers de prisonniers politiques, à commencer par les progressistes, dont nous demandons encore une fois la libération.
Ces pactes avec des dictatures sanglantes discréditent la parole de la France, et entravent la possibilité d’une action extérieure indépendante au service de la coopération entre les États et les peuples.