Cet article fait partie du dossier de la Révolution citoyenne

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Pérou : chronique d’une mort annoncée et le retour musclé de la mafia au sein de l’état

Il ne s’agit pas d’une fiction mais bien de la dure réalité, celle que le peuple péruvien traverse aujourd’hui dans une page nouvelle et inédite de son histoire. Ce pays ravagé par des conflits sociaux permanents, asphyxié par la pauvreté et l’inégalité est aujourd’hui entre les mains d’une caste politique de droite fachiste et d’une gauche dépourvue des principes élémentaires d’honnêteté, de moralité et d’éthique. Cette dernière composante politique a indéniablement trahi l’intrépide président de la République, Pedro Castillo Terrones, qui a voulu maladroitement écouter la demande d’une grande majorité de la population de son pays, celle de dissoudre le Congrès de la république.

Julio César Bendezú-Sarmiento est franco-péruvien. Bio-anthropologue, protohistorien et archéologue de l’Asie centrale, il est chercheur au CNRS depuis 2009.

L’histoire commence le 7 décembre, après un message télévisé qui s’est répandu comme une traînée de poudre : Pedro Castillo venait de dissoudre le Congrès, d’ordonner l’état d’urgence accompagné d’un couvre-feu qui devait commencer le même jour à 22h. La réaction de la population a été immédiate, un groupe de personnes s’est spontanément rendu dans le centre historique de Lima pour célébrer la chute des membres du Congrès. Pourtant, un président ne peut dissoudre le Congrès que lorsque cet organe législatif a refusé deux fois la confiance au premier ministre, ce qui n’était pas le cas.

À 12h30, une session du parlement monocaméral a été convoquée pour approuver la motion de vacance présidentielle. La population était dans l’expectative, il n’y a pas eu de soutien massif à l’initiative de Pedro Castillo, contrairement à 2019 lorsque Martin Vizcarra avait dissous le Congrès et appelé à des élections législatives. Au même moment, Twitter était rempli d’annonces de démissions, le cabinet de Betssy Chavez, sa première ministre, se vidait progressivement, les ministres défilaient les uns après les autres en s’opposant ouvertement à l’action de Pedro Castillo et à son « coup d’État constitutionnel ». Ses derniers soutiens politiques ne pouvaient pas y croire : « Pourquoi a-t-il fait ça ? » était l’une des questions les plus répétées. On aurait fait croire au président Pedro Castillo qu’il allait être démis de ses fonctions, car le jour même, dans l’après-midi, il était convoqué au Congrès pour une troisième motion de vacance. Cependant, l’opposition n’avait apparemment pas les 87 voix (sur 130) nécessaires pour parachever son dessein. La presse péruvienne estimait ce chiffre à environ 83 avant l’annonce de la dissolution du Congrès. Que s’est-il passé ? Les médias supposent que certains des « plus proches collaborateurs » auraient persuadé le président que le Congrès disposait des 87 voix et qu’il était donc nécessaire de réagir de cette manière. Tout a changé avec le message de Pedro Castillo à la télévision nationale, qui a secoué l’ensemble du Congrès, conduisant même ses alliés à changer leurs votes. Au final, même 5 membres de Perú Libre (le parti avec lequel il est arrivé au pouvoir) se sont prononcés en faveur de sa destitution. La décision erratique de Pedro Castillo a porté à 101 le nombre de voix en faveur de la vacance.

Alors que les membres du Congrès votaient de manière précipitée, la question « Que va faire Castillo ? » était sur toutes les lèvres. A ce moment-là, les forces armées et la police nationale venaient d’annoncer qu’elles étaient « respectueuses de l’ordre constitutionnel établi » et contre le « coup d’État ». Le sort du président était scellé, car l’histoire de l’Amérique latine montre amplement que c’est l’armée qui a le dernier mot. Pedro Castillo semble avoir été induit en erreur par les forces armées et la police qui avait négocié avec le général de l’armée de terre à la retraite Williams Zapata, aujourd’hui président du Congrès. C’est apparemment par naïveté que Pedro Castillo a fait confiance aux militaires en poste, qui ont fini par lui couper l’herbe sous le pied.

Très peu de temps après ce communiqué conjoint de l’armée et de la police nationale, les caméras de télévision ont montré Pedro Castillo, sa femme et ses deux enfants quittant le Palais présidentiel en compagnie de son ancien Premier ministre Aníbal Torres, l’un de ses plus proches collaborateurs. Ils ont quitté les lieux avec une escorte en direction de l’ambassade du Mexique, comme l’a confirmé le jeudi 8 décembre le président mexicain lui-même, Andrés Manuel López Obrador. Pedro Castillo pensait disposer des ressources nécessaires pour se protéger, jusqu’à ce que le chef d’état-major de la police nationale, le lieutenant général Vicente Álvarez Moreno, ordonne de stopper sa voiture. Fait inédit, alors que les membres du Congrès n’avaient même pas fini de voter la vacance au Congrès, l’ancien dignitaire était déjà en état d’arrestation. Les réseaux sociaux et la presse ont rapidement été remplis de photos et de vidéos montrant Pedro Castillo détenu en « flagrant délit ». Bien qu’habitué à voir des présidents empêchés de terminer leur mandat, les Péruviens ont cette fois été choqué par un Pedro Castillo privé de liberté et par des images plus proches de celles de la guerre contre le trafic de drogue en Colombie que du monde politique. C’est le sixième président du Pérou qui tombe en disgrâce en moins de cinq ans.

Pedro Castillo a-t-il eu tort de dissoudre le Congrès ? de dénoncer l’obstruction systématique du Congrès aux projets de loi présentés en faveur du peuple ? de demander la mise en place d’une constituante afin d’obtenir une nouvelle Constitution ? de souhaiter une réforme totale du pouvoir judiciaire, du Conseil national de la justice, du bureau du procureur général, de la Cour constitutionnelle ? de dénoncer les médias mercenaires qui, depuis quinze mois, démolissent matin, midi et soir sa personne et son gouvernement ? A-t-il eu tort de vouloir établir un gouvernement d’exception temporaire jusqu’à l’élection dudit Congrès ? Beaucoup répondront oui, parce qu’il n’a pas suivi les règles de la Constitution, celle-là mise en place après le coup d’Etat d’Alberto Fujimori et Vladimiro Montesinos en 1993 et qui a depuis permis le développement de la corruption mafieuse sous les mandats d’Alberto Fujimori lui-même, d’Alejandro Toledo, d’Alan García, d’Ollanta Humala, de Pedro-Pablo Kuczynski, de Martin Vizcarra et de Francisco Sagasti. La question de ceux qui soutiennent encore le président Pedro Castillo consiste à se demander si après trente ans de décadence de l’État, il était dans l’obligation de suivre ce malheureux statut fujimontesiniste appelé la Constitution de 1993 ?

Vers 16h ce 7 décembre fatidique, d’une manière quelque peu hâtive, du moins juridiquement, la vice-présidente Dina Boluarte, jusque-là farouche critique de la vacance présidentielle, a prêté serment, devenant ainsi la première femme présidente de la République à entrer en fonction constitutionnellement.

Une démocratie en état d’urgence sous couvre-feu et vingt-huit morts

Rares sont les pays qui peuvent actuellement être considérés aussi instables politiquement que le Pérou, notamment en raison d’un constant affrontement entre l’exécutif et le législatif : 6 présidents et plusieurs centaines de ministres se sont succédé en moins de 5 ans. Bien qu’il s’agisse d’une république présidentielle, le Congrès dispose des pleins pouvoirs, capable facilement de torpiller et de limiter considérablement l’action gouvernementale et la figure de la vacance présidentielle est l’expression la plus sophistiquée de cette dynamique. Cette notion « d’incapacité temporaire ou permanente du président, déclarée par le Congrès » a ouvert la porte à un mécanisme de contrôle plus proche des régimes parlementaires tels que ceux de l’Espagne ou de l’Italie. Bien que le peuple élise son dirigeant, le corps législatif n’a besoin que de 87 voix pour mettre fin à son mandat. Ces dernières années, les constitutionnalistes ont convenu que ce chiffre avait perdu de sa crédibilité en raison de l’utilisation politique qu’en a fait le Congrès péruvien.

Consciente du pouvoir d’un Congrès acquis à l’opposition, la première demande que Dina Boluarte a fait, lors de son discours avec l’écharpe présidentielle, a été celle d’une « trêve » pour appeler à la formation d’un « gouvernement d’union nationale ». Sa marge de manœuvre reste minimale, encore pire que celle de Pedro Castillo à sa prise de fonctions en 2021. La nouvelle présidente arrive au pouvoir sans groupe parlementaire et sans soutien populaire : « Ce que je demande, c’est une période de temps, un temps précieux pour sauver notre pays de la corruption et du mauvais gouvernement », a déclaré Mme Boluarte. Sans groupe parlementaire pour la soutenir et avec l’épée de Damoclès du Congrès péruvien, peu de gens pensent qu’elle sera en mesure d’achever son mandat constitutionnel, même si elle demande déjà d’avancer les élections présidentielles et parlementaires. La rue a exprimé à de nombreuses reprises, à 87% d’après un récent sondage l’Institut d’études péruviennes (IPE), que sa préférence était une dissolution immédiate à la fois du gouvernement et du Congrès.

Après une semaine socialement et politiquement agitée, la nouvelle Présidente de la République a officialisé la nomination de son cabinet le samedi 10 décembre. Lors de la cérémonie au Palais du gouvernement, le chef de l’État a fait prêter serment en demandant de jurer de ne pas « commettre des actes de corruption », aux 18 nouveaux ministres. Le premier à prêter serment a été Pedro Miguel Angulo, un ancien procureur général qui a été nommé chef de cabinet et a promis « de lutter contre la corruption ». Quelques jours après la prestation de serment de Dina Boluarte, une enquête de l’IEP présente un chiffre alarmant sur l’opinion de la population à l’égard de ce qui était considéré comme la première issue à la crise politique. Les résultats montrent que moins de 30 % des citoyens considèrent que la prise de pouvoir par le chef de l’État est adéquate. De même, les attentes à l’égard du gouvernement actuel ne semblent pas être les meilleures, puisque 46 % de la population pensent que sous le gouvernement actuel la situation politique va empirer et 29 % pensent qu’elle restera la même. Seuls 17 % pensent qu’il y aura des améliorations.

A peine nommé, le premier ministre Pedro Miguel Angulo fait l’objet de 13 enquêtes criminelles, notamment pour abus d’autorité contre l’administration publique, chantage, extorsion etc. Le journal La Republica nous informe qu’il fait actuellement aussi face à des allégations de harcèlement sexuel à l’encontre de ses assistantes, mais aussi d’avoir coopérer avec César Hinostroza, juge suprême de la cour péruvienne démis de ses fonctions car il est suspecté d’avoir dirigé l’organisation criminelle qui monnayait la désignation des juges à la cour supérieure de Justice.

Avant même la nomination du nouveau gouvernement, la réaction de la population du pays ne s’est pas faite attendre contre le nouveau pouvoir, pour la demande de fermeture du Congrès et en soutien à Pedro Castillo. Les manifestations s’organisent, des grèves se déclarent et se mettent en place, les principales routes du pays sont bloquées. Bien que des actes de vandalisme soient signalés, la contestation se poursuit sans relâche et la déclaration de l’état d’urgence dans tout le pays, émise mercredi 15 décembre par la présidente Dina Boluarte, n’a pas atténué la colère de la population, bien au contraire. Ce même jour, un juge suprême, Juan Carlos Checkley, a ordonné 18 mois de détention provisoire contre le président Pedro Castillo. Dans son jugement, il avance des éléments pour étayer les accusations de « rébellion et conspiration » à l’encontre de l’ex président et de certains de ses collaborateurs. Bien sûr, les mesures que Pedro Castillo voulait mettre en pratique constituaient une violation de l’actuelle constitution de Fujimori, bien que fallacieuse, mais la validité de la vacance présidentielle irrégulière et arbitraire pour incapacité morale permanente est légalement contestée, car elle a été déclarer au Congrès hors de toute procédure régulière. A cela s’ajoute les procédures erratiques de la police, du procureur général Patricia Benavides et des juges suprêmes, qui ont consommé l’acte despotique de séquestrer le président du pays pendant les 18 mois qui viennent.

Le jeudi 16, le premier jour d’application de l’état d’urgence est devenu la journée la plus violente depuis le début du rejet social du nouvel exécutif. Dans la seule région d’Ayachucho, huit personnes ont été tuées jeudi lors de la répression par l’armée et la police qui ont tiré à balles réelles contre la tentative par les manifestants de prendre le contrôle de l’aéroport local. Au sein du Congrès déconnecté de la réalité, un parlementaire à même osé défendre l’armée en avertissant qu’l fallait « tuer ou mourir ». Au total, le ministère péruvien de la santé a admis vendredi 17 que les manifestations ont fait au moins 20 morts (beaucoup de jeunes et même des enfants) et 63 hospitalisés, sans compter les centaines de blessés légers. Dans un message sur Twitter, le même ministère a indiqué qu’en plus des huit morts à Ayacucho, il y avait six morts à Apurímac, trois à La Libertad, un à Cusco, un à Junín et un à Arequipa. Ce même jour deux ministres donnaient leurs démissions irrévocables, la ministre de l’éducation, Patricia Correa, et le ministre de la culture, Jair Pérez Brañez. Tous les deux ont évoqué la répression démesurée de l’état comme la cause principale de leurs renoncements.

Vladimir Cerrón, chef du parti Peru Libre, critiquait récemment : « Boluarte a gagné grâce à l’anti-fujimorisme, mais son cabinet est totalement fujimoriste, son directeur national de la sécurité (DINI) est fujimoriste, une option que le peuple a rejeté avec son vote en 2021, mais les perdants sont au pouvoir après un virage politique à 180 degrés. Il est clair qu’un coup d’État a eu lieu ». Il est vrai aussi que l’imposition de l’état d’urgence et du couvre-feu n’est rien de plus que le reflet de la peur de l’État à l’encontre de la population insurgée. Nous sommes confrontés à une conspiration séditieuse, un coup d’État préparé en concertation entre Dina Boluarte, la majorité Fuji-fasciste du Congrès, le bureau du procureur général, le pouvoir judiciaire, les généraux des forces armées et de la police, avec le soutien de l’irreprésentable Cour constitutionnelle et de la presse à scandales dont les dommages au Pérou sont aujourd’hui irréparables.

L’avancée des élections présidentielles et législatives au Pérou : vont-elles apporter une issue à la crise politique actuelle ?

Lors des premiers discours de la nouvelle présidente, il n’était surtout pas question de remettre son mandat en jeux et elle affirmait à qui voulait l’entendre qu’elle resterait « ferme à son poste jusqu’à la fin de son mandat en juillet 2026 ». Mais c’était avant que la rue ne commence à se manifester… Dans un contexte de violentes protestations et après la démission de deux ministres, Dina Boluarte a dû revenir sur ses propos et à la réalité politique. Depuis elle s’est prononcée pour des élections anticipées à la fois pour la présidence et le Congrès, au mois d’avril 2024, avant de l’avancer sous la pression de la rue à décembre 2023.

Alors que le président Castillo venait d’écoper de 18 ans de « prison préventive » le 15 décembre, le vendredi 16 le Congrès péruvien a rejeté une réforme constitutionnelle permettant d’anticiper les élections générales. Selon certains législateurs, la proposition d’avancer les élections a été rejetée parce que les membres de la gauche, qui soutiennent Pedro Castillo, voulaient inclure dans l’initiative la création d’une assemblée constituante. Cette décision, contraire à la demande de la rue en pleine crise politique et sociale, n’a fait qu’attiser le feu de la colère. Depuis le Congrès a dû reconsidérer sa décision et l’assemblée plénière a, ce mardi 20 décembre, reconsidéré le vote d’un règlement en faveur d’une réforme constitutionnelle pour avancer les élections.
C’est dans le désespoir que Dina Boluarte et le Congrès veulent avancer les élections générales, mais cela n’a plus aucun sens face à une population qui se soulève et qui ne reconnaît pas ce régime dictatorial sanglant. Un gouvernement qui viole les droits de l’homme les plus élémentaires en déclarant un état d’urgence et un couvre-feu irrationnel pour opposer les policiers et les soldats aux citoyens sans défense, bafoués par les abus du pouvoir établi. L’intervention des forces de l’ordre aux sièges des syndicats et des partis d’opposition comme celui de Veronika Mendoza en dit long, surtout quand la police prétend avoir découvert « des preuves » d’un complot terroriste. Pendant ce temps les généraux, les membres du Congrès, les procureurs, les juges et les journalistes liés au pouvoir en place regardent le sang couler, insensibles au deuil des Péruviens qui enterrent leurs morts, parmi presque une trentaine de personnes il y a des étudiants et des enfants.

Ce gouvernement a été délégitimé en moins d’une semaine, cela à partir du moment où a été nommé comme premier ministre Pedro Angulo, et depuis la population demande le départ du cabinet au complet. Dès dimanche 18 décembre, Dina Boluarte avait déjà signalé qu’elle ferait le nécessaire pour remanier son gouvernement, ce qui vient d’être fait ce 21 décembre en nommant comme premier ministre Alberto Otorola, l’ex-ministre de la Défense. Il vient d’être dénoncé constitutionnellement pour la mort de civils à Ayacucho. Très contesté à la lumière des 28 victimes de l’armée ces derniers jours, cette nomination semble peu propice à calmer la colère actuelle.

Aujourd’hui, à la crise interne s’ajoute une crise régionale. Dès le cinquième jour, les gouvernements du Mexique, de la Colombie, de la Bolivie et de l’Argentine, dans une déclaration commune, ont appelé les autorités péruviennes à « respecter les droits de Pedro Castillo et à ne pas s’écarter de la volonté populaire exprimée lors des élections ». Au dixième jour de crise, l’Alliance bolivarienne des Amériques (ALBA), composée de Cuba, du Venezuela, du Nicaragua, de la Bolivie et de plusieurs pays des Caraïbes, a également exigé depuis La Havane la libération et la réintégration de Pedro Castillo. Les gouvernements du Chili et de l’Équateur, malgré leurs différences idéologiques, ont exprimé leur crainte que les manifestations violentes ne s’étendent à d’autres pays de la région. Le Brésil a opté pour le silence, mais Luiz Inácio Lula, le président qui entre en fonction le 1er janvier, partage sûrement la position de ses futurs homologues. Cette situation est arrivée à son comble le 20 décembre, avec le discours de la ministre des Affaires étrangères qui a déclaré l’ambassadeur mexicain Pablo Monroy « persona non grata » après que le gouvernement de Manuel López Obrador ait accordé l’asile politique à l’ancien président Pedro Castillo et sa famille.

La position des Etats-Unis n’est pas la même, le secrétaire d’État Anthony Blinken, pour sa part, s’est exprimé avec force pour soutenir le gouvernement fragile de Dina Boluarte, le considérant comme légitime selon la constitution. De plus ce pays ne partage pas la position des plus importants gouvernements latino-américains. Cela n’est pas nouveau et une certaine ingérence des Nord-Américains dans la destitution de Pedro Castillo est déjà dénoncée par des politiques sudaméricains. L’histoire de la chute d’Evo Morales en Bolivie est récente et assez similaire.

Ce que nous avons vu ces deux dernières semaines au Pérou est le résultat d’une blessure subjacente qui ronge le pays depuis longtemps. Celui d’un « jeu démocratique » perverti par des graves actes de corruption depuis des décennies. Ceux qui sont arrivés au pouvoir l’ont fait pour en profiter personnellement, jamais pour chercher le bien commun, celui d’un peuple souffrant depuis son indépendance bicentenaire. Une démocratie qui s’est maintenue grâce à l’inégalité qui prévaut, piétinant les droits des citoyens, notamment les plus pauvres, et grâce au soutien de l’armée. Cette crise politico-institutionnelle est probablement le test le plus important pour un pays qui, jusqu’à présent, a réussi à maintenir la plus grande stabilité économique d’Amérique latine, avec la fragilité politico-institutionnelle la plus intense.

Comment sortir de cette crise ? Comment redresser et transformer ce pays ? Il est urgent de changer les structures gouvernementales fondées sur un racisme de classes. Pour l’instant, il n’y a pas de route définie, il faut en créer une, ouvrir la voie pour parvenir à une véritable démocratie, ce qui signifie mettre fin à l’état d’urgence (le pays n’est pas en guerre). La solution à la crise n’est surtout pas de nouvelles élections organisées par ce gouvernement dictatorial et un Congrès qui est le principal problème. Il est déjà clair que des éventuelles élections à venir, sous leur tutelle, ne déboucheront sur aucune représentativité de la diversité citoyenne.

La solution est bien dans le dernier discours du président Pedro Castillo, qui n’est en soi que la demande d’une clameur populaire capable de mobiliser des millions des Péruviens dans tout le pays. Aujourd’hui, la portée de ce discours présidentiel prémonitoire n’a jamais été aussi pertinente. Le Pérou ne peut plus continuer à être gouverné par un État mafieux, ni par une « démocratie représentative » abonnée aux corrompus. Un nouveau Pacte social est indispensable dont l’Assemblée constituante sera la première étape. Rappelons que la quasi-totalité des partis n’ont jamais plaidé en faveur d’une nouvelle constitution lors de la campagne électorale de 2021. Sous le gouvernement de Pedro Castillo, les députés fujimoristes n’ont fait que saboter toutes les tentatives de référendum, y compris en s’arrogeant des pouvoirs qu’ils n’avaient pas en modifiant des articles de la constitution. L’évidence saute aux yeux, ce Congrès n’a jamais défendu la démocratie et ne la défendra jamais parce qu’il ne la connaît pas. Une nouvelle histoire du Pérou, plus juste et sociale, semble s’écrire sous nos yeux, espérons que son dénouement soit positif.

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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