420 000 employés de la fonction publique et membres du Front commun se sont mis en grève le 21 novembre 2023, rejoints par plus de 60 000 membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et 80 000 membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ). Ce qui fait un total de 560 000 syndiqués de la fonction publique, en grève en même temps, le 23 novembre. Un moment historique, et ce, 50 ans après la création du tout premier Front commun syndical en 1972.
Le Front commun est composé de :
- La CSN : la Confédération des syndicats nationaux. Elle représente des employés de services publics, des enseignants et professionnels ainsi que des membres du réseau de la santé.
- La CSQ : la Centrale des syndicats du Québec. Elle représente des enseignants professionnels, des personnels de soutien (autant dans les écoles que dans les établissements de l’enseignement supérieur) et des membres du réseau de la santé.
- La FTQ : la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Elle représente des employés de bureau et de service.
- L’APTS : L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux. Elle représente du personnel professionnel et technique dans le milieu de la santé.
Si chacun des secteurs de chacune de ces centrales syndicales négocie habituellement selon leur réalité, avec des négociations qui avancent plus ou moins vite, leur coalition en un front commun syndical uni représentant 420 000 personnes, permet d’installer un rapport de force et d’aller chercher des victoires.
Si la question intersectionnelle des salaires a mis le feu aux poudres, les syndicats d’enseignants sont particulièrement déterminés (la FAE est en grève illimitée depuis le 23 novembre) car les négociations sur plusieurs sujets sont au point mort : au lieu d’améliorer les conditions de travail, de réduire la taille des classes et d’inclure les enseignants dans les processus décisionnels, le gouvernement tente de supprimer des emplois et de les remplacer par un système d’enseignement à distance à la demande, tout en limitant le contrôle des enseignants sur les politiques éducatives.
Le gouvernement a fait cette semaine une nouvelle offre pour bonifier les salaires, qui comprend notamment une augmentation de 12,7% sur cinq ans. Très loin de ce que demandent les syndicats, à savoir, 23% sur trois ans. Le Front commun est resté uni et a entamé ce vendredi 8 décembre, une nouvelle série de grèves, jusqu’au 14. Selon la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard, le gouvernement pense qu’une augmentation des salaires suffira à calmer tout le monde. Or, c’est pour l’ensemble des conditions d’exercice que les employés du secteur public se battent, largement soutenus par l’opinion publique.
L’objectif du Front commun est d’arriver à un accord avant les fêtes de Noël. Ce vendredi, s’est donc amorcée une ultime séquence de journées de grève, ainsi qu’un ultime avertissement au gouvernement : « Le Front commun détient un mandat très fort, adopté à plus de 95%, de déclencher une grève générale illimitée au moment jugé opportun », est-il indiqué sur le site de la CSN.
Nous parlons d’un moment historique, car c’est la première fois dans l’histoire du Front commun, qu’un mandat de grève générale illimitée est voté à 95%. « C’est unique », selon l’historienne Camille Robert, doctorante en histoire à l’Université du Québec à Montréal, qui explique la force de l’union syndicale et le grand soutien de la population, en ces termes : « Tous les échecs des politiques néolibérales dans les services publics ont tellement été mis en lumière dans les dernières années, notamment avec la pandémie de Covid19, que plus personne ne peut le nier. » Les travailleurs du secteur public rejettent l’argument classique des gouvernements libéraux qui consiste à dire qu’il n’y aurait « pas d’argent » pour les services publics.
Au Québec, ce qui est à l’ordre du jour, c’est une lutte politique contre le gouvernement Legault. Le secteur public, en se défendant ainsi, défend la cause de tous les travailleurs, pas juste au Québec, mais dans le reste du Canada et à l’échelle nord-américaine. C’est ce que l’on comprend du slogan du Front commun : « D’une seule voix. »
Il est très intéressant pour nous d’observer la stratégie de lutte des nord-américains : Actuellement au Québec, et dernièrement aux Etats-Unis avec la grève historique des usines de voitures américaines : les travailleurs des « Big Three » Ford, General Motors et Stellantis, ont remporté la bataille des salaires après 44 jours de grève. Ils vont bénéficier d’une hausse salariale de 25 % sur quatre ans et le salaire ouvrier maximal va monter à 42 dollars (39,50 euros) de l’heure. Un opérateur gagnera désormais plus de 80 000 dollars par an, hors heures supplémentaires. Au pic de la mobilisation, près de 45 000 ouvriers étaient en grève.
La grève a touché des usines stratégiques, essentiellement les plus lucratives, ainsi que des usines de production de pièces, et ont surtout été concentrées dans le bassin industriel de Détroit, qui est l’une des régions les plus touchées par la désindustrialisation du pays et par la crise de 2008. Les travailleurs ont su cibler des usines stratégiques et ont procédé de manière graduelle : le nombre de grévistes a progressivement augmenté chez les trois constructeurs et un premier accord provisoire a été conclu entre l’UAW (syndicat United Auto Workers) et la direction de Ford. Des accords ont été conclus dans la foulée avec Stellantis, puis GM, preuve de la force de contagion d’un mouvement de grève.
La grève de l’UAW s’inscrit dans un contexte de victoires sociales aux Etats-Unis (la grève des livreurs d’UPS ou celle des scénaristes à Hollywood), avec l’effet boule de neige que ça implique : Toyota a promis des hausses de salaire conséquentes à ses employés pour s’aligner sur les « Big Three » et éviter les velléités syndicales dans ses usines. Le président de l’UAW, Shawn Fain, a déclaré : « La prochaine fois, on ne s’attaquera pas qu’au Big 3, mais au Big 5 ou Big 6 », visant Volkswagen, Toyota et Tesla, qui n’ont pour le moment pas de présence syndicale.
De ces victoires émergent de nombreux points communs dans la stratégie de lutte : c’est le travail de terrain en amont et la mobilisation de tous les employés qui ont permis d’arracher des victoires significatives.
Si le taux de syndicalisation aux Etats-Unis est encore très bas, on observe cependant une nette embellie ces dernières années, notamment suite aux initiatives des travailleurs à bas salaire du secteur des services de Amazon ou Starbucks, en première ligne pendant la pandémie de Covid19. Cet enchaînement des victoires est essentiel car il induit une grande politisation des questions liées au travail et offrent l’espoir d’inverser la tendance.
Comme dans le secteur public au Québec, l’union fait la force. Et chaque victoire est un encouragement à l’action pour tous les secteurs.