Par Arnaud Le Gall, avec l’aide de Paul Brice
Réunion du QUAD
Le 24 octobre Joe Biden a réuni, pour la première fois physiquement après une première visioconférence en mars, les premiers ministres de l’Inde, du Japon et de l’Australie. Il s’agissait de relancer le QUAD, acronyme de « dialogue quadrilatéral de sécurité », formé par les Etats-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, à l’initiative du Premier ministre japonais Shinzo Abe en 2007.
La raison d’être du QUAD est de s’opposer à la montée en puissance de la Chine dans la région. Même si l’Inde, le Japon et l’Australie ne la nomme pas clairement. A ce jour, cette alliance longtemps en sommeil demeure informelle et traversée par des divergences de vue et d’intérêts.
Ainsi l’Australie, dont le gouvernement d’alors voulait entretenir de bonnes relations avec la Chine, qui représente 30% de ses échanges commerciaux, a quitté l’initiative entre 2008 et 2017. Au passage, son retour dans le QUAD aurait dû alerter les « stratèges » qui avaient vu dans le contrat de la vente de sous-marins par la France à l’Australie le socle d’une alliance stratégique… L’Inde, dont la prise en compte récente par les partisans de l’« endiguement » de la Chine a abouti au remplacement de l’expression Asie-Pacifique par celle « d’indo-Pacifique » au tournant des années 2010, refuse de son côté de participer à une alliance militaire. Traditionnellement non alignée, elle conserve une certaine proximité avec la Russie, son premier fournisseur d’armements. Elle n’a donc pas participé aux exercices militaires du QUAD, qui ont vu en 2020 des frégates et hélicoptères américains, japonais et australiens opérer dans le Golfe du Bengale pour la première fois depuis 2007. Enfin le Japon, dont l’économie est extrêmement interdépendante de l’économie chinoise, hésite également à s’engager dans le chemin d’une alliance militaire permanente face à la Chine.
Autant de raisons pour lesquelles, officiellement, cette réunion n’a pas abordé les enjeux militaires. Mais sa tenue n’en est pas moins un signal essentiel. Narendra Modi, premier ministre de l’Inde, aura pu sans rire y vanter les « valeurs démocratiques partagées » des quatre partenaires. « Nous sommes quatre démocraties de premier ordre, avec une longue histoire de coopération, nous savons comment faire avancer les choses »,a renchéri Joe Biden. Au final, les participants ont pu s’entendre sur la promotion d’« une région indo-pacifique libre et ouverte, inclusive, saine, ancrée dans des valeurs démocratiques et sans contrainte ». Formulation abstraite classique utilisée dans les milieux diplomatiques pour critiquer la Chine sans la nommer.
Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai
La semaine précédente avait eu lieu le sommet de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS), fondée en 2001 par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. L’Inde et le Pakistan en sont membre depuis 2017. Le dernier sommet vient d’acter l’entrée prochaine de l’Iran.
L’OCS représente 60% du continent eurasiatique, 50% de la population mondiale et plus de 20% du PIB mondial. L’entrée de l’Iran ne bouleversera pas la donne géopolitique. Mais elle est pour ce pays un moyen de mieux résister aux sanctions étasuniennes dont la levée, prévue par l’Accord sur le nucléaire iranien de 2015, et dont sont sortis les USA en 2018, n’a jamais été enclenchée. On voit là encore où mène la logique de bloc imposée par les États-Unis.
Plus formalisée que le QUAD, l’OCS a pour objectifs officiels de : « renforcer la confiance mutuelle et des relations de bon voisinage entre les États membres ; faciliter la coopération entre ces États dans les domaines politique, économique et commercial, scientifique et technique (…). ; sauvegarder la paix, la sécurité et la stabilité régionales ; œuvrer à la création d’un nouvel ordre politique et économique international, plus juste et démocratique. »
En pratique l’OCS a surtout servi de tribune privilégiée à la Russie et à la Chine pour manifester leur solidarité politique face à l’hégémonisme des États-Unis. Ce rapprochement, loin d’aller de soi au regard de l’histoire des relations entre les deux pays, s’est accéléré au fil des années du fait du traitement analogue dont ils font l’objet.
Cette année la Chine a pour la première fois été ciblée par des sanctions de la part de l’Union Européenne, dans la foulée des sanctions étasuniennes plus habituelles. Officiellement au nom de la défense des Ouïghours, victime d’une répression de masse tout aussi condamnable que les bases de tortures à Guantanamo et ailleurs. Mais il s’agissait plus précisément d’une injonction des États-Unis qui n’ont pas supporté l’accord d’investissement alors en discussion entre l’UE et la Chine. Cette dernière a alors déclaré avoir convenu de « travailler avec la Russie », entre autres à « s’éloigner du dollar américain pour les échanges commerciaux » afin de réduire les risques liés aux sanctions. De fait, la dédollarisation des échanges entre les deux pays est une tendance lourde.
Où était Macron pendant ce temps ? Même pas à l’Assemblée générale de l’ONU
Certes, ne résumons pas le monde à ces grandes manœuvres. On sait ces alliances traversées de contradictions et souvent peu concrètes. Beaucoup moins en tous cas que l’OTAN, dont le caractère militaire n’est plus à démontrer. Chaque membre y place ses intérêts nationaux. Et pour certains, l’intérêt perçu est de jouer sur plusieurs tableaux. Comme on le voit ici avec l’Inde, à la fois membre du QUAD et de l’OCS. Il serait par ailleurs tout aussi important de tenir compte des dynamiques transnationales qui s’articulent aux politiques étatiques, voire les heurtent selon les cas, tout comme on ne doit oublier que les peuples font aussi l’histoire.
Mais, en tout état de cause, il se passe des choses dans le monde, peut-on dire sans prendre de risque. Et on est en droit d’attendre que notre président jupitérien, souvent présenté comme une star internationale par ses plus fervents partisans dont les seules sources sont la presse française, en dise quelque chose.
En vain. Après l’humiliation subie par notre pays dans l’affaire des sous-marins, qui a à voir avec tout cela, Macron a fait rappeler les ambassadeurs de France en Australie et aux États-Unis pour signifier une certaine colère officielle. Dont acte. Mais après ? Ce qui aurait pu être les prémisses d’un changement de ligne stratégique se sera révélé une simple bouderie. Et il aura capitulé en échange de vague formules de Joe Biden : Emmanuel Macron et ce dernier « ont décidé de lancer un processus de consultations approfondies, visant à mettre en place les conditions garantissant la confiance et à proposer des mesures concrètes pour atteindre des objectifs communs »… Bref, il ne s’est rien passé, à part la confirmation que l’action internationale de Macron continuera à s’inscrire dans des impasses : les « États-Unis réaffirment que l’engagement de la France et de l’Union européenne dans la région Indo-Pacifique revêt une importance stratégique (…). Les États-Unis reconnaissent également l’importance d’une défense européenne plus forte et plus capable, qui contribue positivement à la sécurité globale et transatlantique et est complémentaire à l’OTAN Les États-Unis s’engagent à renforcer leur appui aux opérations antiterroristes conduites par les États européens dans la région du Sahel ».
Au passage, le président de la République ne se sera même pas donné la peine de se rendre en personne à l’Assemblée Générale de l’ONU, là où la France est censée être à l’avant-poste. Tout comme il s’est gardé depuis de démentir les propos du porte-parole de La République En Marche à l’Assemblée Nationale proposant de céder à terme à l’UE le siège de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU.
Bref, les deux semaines écoulées auront levé un peu plus le voile sur l’incapacité d’Emmanuel Macron, qui avait pourtant entamé son mandat en promettant une action internationale « gaullo-mitterandienne ».
Mais pour que ce concept puisse être autre chose qu’un élément de communication, il aurait fallu sortir du commandement intégré de l’OTAN, outil d’inféodation aux États-Unis, dont la France ne partage pas les intérêts. Le retour en 2009 dans le commandement intégré a été une erreur. Dans le monde actuel l’alignement sur les logiques de bloc a encore moins de sens que lors de la Guerre Froide. Les alliances sont fluides.En sortant du carcan atlantiste, la France ne se retrouverait pas seule, mais non alignée. La rupture avec la condescendance du « camp occidental » accroîtrait la portée de ses messages. Dans les espaces stratégiques (francophonie, pays émergents, Afrique, ONU etc.), elle pourrait pousser, avec les pays les proposant déjà, à des coopérations d’intérêt général : réponses à la crise écologique ; alternatives au néolibéralisme ; protection et accès aux biens communs de l’humanité ; désarmement multilatéral etc.
Mais, à ce stade, la cellule diplomatique de l’Élysée semble en état de mort cérébrale…