J’écris ces lignes dans l’avion qui me mène en neuf heures en Guyane. L’organisation de la campagne présidentielle commande lourdement mon calendrier. Il diminue de deux semaines celui de la précédente élection en 2017. Comment faire tout ce qui doit être fait ? La nécessité de se présenter devant les électeurs d’outre-mer est un devoir de respect devant lequel je ne me suis jamais dérobé dans le passé. Il faut donc répartir entre les Caraïbes, l’océan Indien et l’Amérique du Sud. Et cette fois-ci encore et peut être davantage qu’auparavant, je vais y souscrire. Je connais mieux les thèmes à traiter et les problèmes. En effet toute notre équipe a été rendue davantage attentive aux outre-mers notamment du fait de l’influence des élus réunionnais qui siègent dans nos rangs à l’Assemblée nationale et au Parlement européen. Et depuis les régionales dernières les élus insoumis de la Réunion et de Guyane alimentent encore cette inclinaison. On l’a vu encore avec la commission d’enquête sur l’eau de Mathilde Panot en Guadeloupe.
Mais l’essentiel est dans le regard que nous portons sur ce que les outre-mers nous enseignent à propos de la France en général. Il est loin le temps où l’on pouvait penser que les performances de l’hexagone était le destin promis à tous les territoires français. La carte en léopard avec les taches de richesse dans les océans de pauvreté longtemps caractéristique de l’outre-mer s’est généralisée. Alors les outremer fonctionnent comme des loupes sur la trajectoire de la France en général. Il y a donc beaucoup à apprendre des outre-mers quant à leur façon de réagir à une telle réalité. Globalement les questions qui se posent sur ces territoires de façon si aiguë comme l’autonomie énergétique ou la souveraineté alimentaire par exemple sont désormais des questions communes à tous les territoires. Mais l’hexagone ne le sait pas. De ce point de vue les enseignements et les débats viennent plus clairement depuis là vers l’hexagone que l’inverse.
En Guyane, j’ai choisi ma date de présence en fonction du calendrier des tirs de la fusée Ariane pour rendre possible un discours général sur le thème de l’Espace. Je reprends le modèle de celui fait au Burkina sur le thème de la francophonie. Avec sept cent mille vues ce discours a porté ses fruits. Je fais en Guyane d’une pierre deux coups en quelque sorte. Mais l’essentiel de mon attention est sur la violence sociale que subit la Guyane. Le sentiment d’abandon prévaut. À juste titre. Il fait devoir pour le prochain quinquennat. Ici, 50% de la population sous le seuil de pauvreté. C’est 14% dans l’hexagone. Le niveau de vie des plus pauvres en Guyane est deux fois plus faible que celui constaté dans l’hexagone. 13 à 20 % de la population vivrait sans eau ni électricité ! Un tiers des logements sont sur-occupés. C’est quatre fois plus que dans l’hexagone. Et 22 % de la population au chômage, dont 46 % chez les jeunes de moins de 25 ans. Une personne sur 4 vit au sein d’un foyer bénéficiaire du RSA en Guyane contre une personne sur vingt en France européenne.
Tel est le tableau des faits accablants. Dans la crise sanitaire, l’abandon se paie très cher. L’étude de l’Inspection générale des Affaires sociales parue en février 2021 montre qu’il y a deux fois moins de lits d’hospitalisation de jour que dans l’hexagone et quatre fois moins de lits de soins de suite et de réadaptation pour 100 000 habitants. Pour finir le nombre de personnels médicaux et paramédicaux est 50 % inférieur à la moyenne nationale. L’abandon a amplifié le krach sanitaire. La Guyane est le plus grand désert médical de France. Il s’y trouve 2 fois moins de médecins, 15% de la population n’a pas accès à l’eau courante et est empêchée d’effectuer les gestes barrières de base. Tel est le contexte dans lequel évolue la Guyane qui est sous état d’urgence sanitaire depuis le 17 octobre 2020, c’est-à-dire il y a plus d’un an.
Ce tableau permet de comprendre l’urgence et la nécessité de se lancer à fond dans un autre rythme d’aménagement et de prise en compte des besoins de base de la population. Car la population guyanaise a quadruplé en 40 ans. Et elle va à nouveau doubler d’ici 2040. Mesurons ce que cela veut dire dans tous les domaines. Par exemple d’ici les dix prochaines années selon le défenseur des droits, les besoins en constructions scolaires sont estimés à dix lycées, neuf collèges et quatre cents classes du premier degré. Comment peut-on faire France ensemble si nous laissons se creuser de tels écarts ? Qui ne comprend pas que la côte d’alerte va être franchie si rien ne change vite et fort ? Ici une jeunesse impétueuse se déploie. 33 % de la population est âgée de moins de 14 ans. 23 % a entre 15 et 29 ans ! Comprenez-vous ? 70% des enfants n’ont pas le français pour langue maternelle. Et 15 % des 15-17 ans ne sont pas scolarisés, contre 5 % en moyenne nationale. Voila. Chaque génération est un peuple nouveau. Le peuple nouveau qui s’avance n’a pas la patience d’attendre ce dont il ne sait rien. Il a juste envie de vivre. Et de vivre dignement. Ceux qui se passionnent pour les insondables bêtises de monsieur Zemmour sur la France savent-ils ce qu’est la France ? La vraie. Celle qui existe vraiment. Celle dont nous sommes comptables pour le futur immédiat.