Les 15 et 16 mai derniers, lors des élections constituantes, les Chiliens ont voté pour les élus chargés de rédiger la nouvelle constitution, entérinant la volonté du peuple d’opérer une rupture avec les politiques libérales héritées de Pinochet et appliquées par les différents gouvernements qui se sont succédés. 155 élus dont la moitié (77 exactement) sont des femmes. L’avènement d’une assemblée constituante paritaire s’inscrit dans la révolte féministe montée en puissance depuis 2018 au Chili, symptôme d’une volonté profonde de changement et qui a eu un rôle déterminant dans le souffle donné à la contestation : après des manifestations d’ampleur, comme celle du 8 mars 2019 qui avait regroupé plus d’un million de personnes rien qu’à Santiago, ou encore une grève générale féministe le 9 mars 2019 prenant en compte tout le travail productif, le mouvement féministe avait déjà réussi à repousser les limites du débat politique en liant combat contre le patriarcat et combat contre la précarisation de la vie, griefs partagés par une grande majorité de la population.
Un mois et demi donc après les élections constituantes, la première session de la Convention constitutionnelle a enfin eu lieu : ce dimanche 4 juillet 2021, les 155 citoyens élus en mai ont commencé à travailler sur la nouvelle Loi fondamentale du Chili, qui enterrera définitivement celle de 1980 établie par la dictature de Pinochet, de nature autoritaire et bénéficiant aux grands groupes économiques. Et pour présider cette Assemblée, les citoyens ont choisi une femme, indigène mapuche, Elisa Loncon Antileo. Une élection qui n’aurait pu être plus symbolique : elle incarne à elle seule les principales aspirations du soulèvement social : l’horizontalité dans la distribution du pouvoir, la reconnaissance des peuples autochtones, le respect de l’environnement.
Dans un discours improvisé prononcé en habit traditionnel, cette linguiste, universitaire et activiste reconnue a déclaré : « Que soit fondé un nouveau Chili, pluriel, multilingue, avec les femmes, avec les territoires. Il est possible d’établir une nouvelle relation entre tous ceux qui composent ce pays ; c’est le premier signe que cette convention sera participative », avant d’évoquer les questions qui seront travaillées au cours d’une première étape de neuf mois : « Pour les droits de la terre mère, pour les droits de l’eau, pour les droits des femmes, pour les droits des enfants. »
À l’issue de cette première journée d’installation du Congrès constituant, la présidente et le vice-président Jaime Bassa, ont tous les deux annoncé la première mesure que l’Assemblée prendra : une déclaration pour l’amnistie des centaines de jeunes « prisonniers de la révolte ».
Pour changer l’histoire définitive du Chili, pour laisser place à une nouvelle Constitution, pour changer le monde, « il suffit d’oser », avaient dit les jeunes qui ont sauté dans le métro de Santiago un jour d’octobre 2019, en commençant le processus de récupération de la Dignité. Ce noble geste accompagné d’un acte de rébellion a suffi à réaliser l’impossible. Nous avons tous en mémoire les images des jeunes lycéens sautant par-dessus les barrières du métro de Santiago, exigeant qu’il soit gratuit pour tous.
Rien de ce qui est vécu au Chili n’aurait été possible sans la rébellion de la jeunesse, des femmes et des peuples indigènes.
Le Chili incarne une lueur d’espoir pour tous les peuples du monde qui luttent contre un système néolibéral toujours plus autoritaire, contre les inégalités et contre le saccage de la planète. La révolution citoyenne issue de la révolte sociale commencée en octobre 2019 offre au monde la démonstration que c’est possible : les peuples peuvent reprendre leur destin en main et repenser des sociétés plus justes, plus égalitaires et respectueuses de l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature.