Nous sommes le 10 mars. Magdalena Andersson se place derrière son pupitre officiel, en face des nombreux journalistes venus suivre les annonces de la Première ministre suédoise. Si elle les a réunis dans cette salle, c’est pour annoncer une forte hausse des dépenses militaires du pays. Depuis les années 2010, ces dépenses sont en constante augmentation avec le but affiché d’atteindre 1,5 % du PIB d’ici 2025. Désormais, ce sera 2 %, soit l’objectif fixé par l’OTAN à ses pays membres. Le pays nordique n’est pourtant pas membre de l’institution. Officiellement, c’est la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie, qui a déclenché cette décision. En réalité, c’est la suite logique d’un mouvement vers plus de militarisation dans le pays. En 2017, la Suède avait également réintroduit un service militaire. Et ce mouvement de fond est visible partout dans le monde.
Norvège, Slovaquie, Pologne… Les annonces se multiplient. Dès la fin février, Olaf Scholz prenait une décision similaire en Allemagne avec des investissements massifs dans l’armée afin d’atteindre ce seuil de l’OTAN des 2 % du PIB dédiés au budget de la défense. Celui-ci devrait ainsi croître pour arriver aux 70 milliards d’euros annuels. Et c’est sans compter sur le cadeau ponctuel de 100 milliards d’euros annoncé afin de parer aux besoins immédiats des militaires allemands. La Chine envisage de son côté une hausse de 7,1 % de ses dépenses militaires en 2022, tandis que des annonces sont attendues au Canada dans les prochaines semaines. La ministre de la Défense Anita Anand a annoncé que plusieurs « scénarios agressifs » sont envisagés afin de déterminer le montant des augmentations.
De fait, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), un institut d’analyse des conflits armés qui œuvre pour la paix, ne cesse d’alerter sur la hausse des dépenses militaires dans certaines régions du monde. Selon ses calculs, l’année 2020, la dernière pour laquelle des données sont disponibles, a été celle de tous les records. Les dépenses militaires dans le monde ont augmenté de 2,6 % malgré une baisse des PIB de 4,4 % en moyenne. Le total approche des 2 000 milliards de dollars. Par ailleurs, les importations d’armes en Europe ont augmenté de 19 % lors de la période 2017-2021 par rapport à la période antérieure 2012-2016.
Avec autant de dépenses, il n’est pas surprenant de voir que le marché de l’armement ne s’est jamais aussi bien porté. En 2020, les ventes d’armes par les 100 entreprises d’armement les plus importantes dans le monde ont dépassé le montant des 530 milliards de dollars, soit la sixième année de hausse pour un marché qui ne connaît pas la crise. Cette bonne santé s’explique en partie par le choix de plusieurs pays d’investir massivement dans ce domaine afin d’atténuer les effets de la pandémie sur leur économie. Le secteur est en effet un important pourvoyeur d’emplois. Plus de 700 000 personnes bénéficient des dépenses militaires aux États-Unis.
Cette recherche du profit pousse certains pays à signer des contrats malgré les conséquences qu’elles pourraient entraîner. Plusieurs pays européens ont ainsi été épinglés par Investigate Europe pour avoir poursuivi la vente et l’exportation d’armes à la Russie malgré un embargo pris en 2014 suite à l’invasion de la Crimée. La France est le plus mauvais élève dans ces révélations avec 152 millions d’euros d’équipements militaires vendus au pays entre 2015 et 2020. Plusieurs de ces équipements pourraient être employés en ce moment même contre l’Ukraine. Le média Disclose a également souvent épinglé la France pour ses exportations d’armes utilisées dans des conflits meurtriers, notamment au Yémen où les victimes civiles se multiplient ces derniers temps. Un armement au bénéfice de l’Arabie saoudite, l’un des principaux clients de l’hexagone. Des pratiques qui ne risquent pas de contribuer à la paix…