Par Cécile Germain et Arnaud Le Gall
La fin de l’occupation étrangère a causé l’effondrement économique du pays. Les États-Unis et leurs alliés avaient en effet mis en place après 2001 non pas un Etat mais un système reposant sur un amoncellement de projets militaro-humanitaires sans cohérence. Si ce n’est celle de permettre à un infime minorité d’afghans – ceux qui ont fui en premier, à l’image du président Ashraf Ghani – de remplir des coffres à Dubaï ; à des milliers d’ONG occidentales et locales de fonctionner – en servant parfois de vitrine légale a des trafics de drogue ; et au complexe militaro-industriel étasunien de se gaver en équipant une « armée afghane » qui n’aura pas tenu 3 semaines face aux talibans. En définitive, alors que le PIB officiel du pays était passé de 5 milliards de dollars en 2001 à 18-20 milliards en 2020, le taux de pauvreté était lui passé, selon la Banque mondiale, de 37% en 2007 à 54,5% en 2020.Cherchez l’erreur.
Au bout de 20 ans, des centaines de milliers de morts, et un pays sans Etat digne de ce nom, les talibans ont cueilli un fruit pourri car ils étaient les seuls organisés à l’échelle nationale. Comme l’avait rappelé le chercheur Gilles Dorronsoro : « À chaque fois qu’on perd une guerre, on parle des droits de l’homme, et là en particulier des droits des femmes, et je crois que c’est aussi une façon de pas parler de ce que nous on a fait. C’est-à-dire que les violations des droits de l’homme, ce n’est pas un monopole taliban en Afghanistan (…) Il y a une espèce de bascule : tout d’un coup on va se concentrer sur les violations des droits de l’homme, mais je crois que pour utile que ce soit, il ne faut pas oublier de faire le bilan de notre présence. Si aujourd’hui, personne ne s’est battu pour le régime, il y a une raison. Et la raison c’est que pendant vingt ans les pays occidentaux ont fait absolument n’importe quoi en Afghanistan, ils ont même raté leur évacuation. »
Ce bilan devrait amener à quelque modestie dans la prétention à défendre les droits humains, la liberté, la démocratie… tout ce que la morale occidentale place dans le camp du bien, quand bien même ces concepts sont vidés de leur substance. Qu’à cela ne tienne, la vertueuse démocratie étasunienne a décrété un blocus de l’Afghanistan : blocage de l’accès de sa banque centrale au système bancaire international, gel des réserves de la Banque centrale afghane détenues à Washington, suspension des interactions avec la Banque mondiale et le FMI etc. Sous prétexte de ne pas donner au régime taliban une forme de reconnaissance internationale, on applique une double peine au peuple afghan en fermant le robinet de « l’aide humanitaire ». Car dernier permettait malgré tout, une fois ponctionné les détournements et profits divers, à la masse des afghans de manger.
A cela s’ajoute le facteur aggravant d’une sécheresse exceptionnelle qui pénalisé lourdement ce qu’il reste d’agriculture locale.
Les conséquences d’une telle politique sont simples et terrifiantes : impossibilité de transfert de fonds depuis les acteurs institutionnels, par exemple l’UNICEF et le Programme des Nations Unies pour le développement, ou privés (ONG) ; mise à l’arrêt du système bancaire interne du pays, non-paiement des salaires, pénurie de moyens de paiement… Et à la fin le peuple afghan paie l’addition.
Ces actions sont en contradiction avec les politiques officielles de sanction du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et même des États-Unis, qui prévoient des échappatoires pour raisons humanitaires. Mais ces dernières peinent à être mises en œuvre à ce stade. Pourtant des ONG comme Human Rights Watch ont proposé des modalités concrètes pour rendre à l’Afghanistan la possibilité d’échanges économiques humanitaires avec le monde.
Combien de temps la « communauté internationale » tolèrera-t-elle qu’une puissance voulant se venger de sa défaite humiliante affame un peuple entier ? La mise en avant des droits de l’Homme face aux talibans ne doit pas faire oublier l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui commence par : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation (…) »