Arrivé en tête dans 21 provinces sur 24, Javier Milei est le président le mieux élu d’Argentine depuis le retour de la démocratie en 1983. Polémiste de plateaux de télévisions, autoproclamé « anarcho-capitaliste » et investi en politique depuis seulement trois ans, le nouveau président a fait campagne avec une tronçonneuse, symbole de sa volonté de réduire drastiquement les dépenses publiques, de supprimer les aides sociales, de mettre fin aux subventions sur le gaz et l’électricité et de défaire les droits des femmes dans ce pays pourtant fer de lance du féminisme sud-américain.
S’il a dit tout et son contraire concernant son programme (il a annoncé la dollarisation avant de rétropédaler, il a annoncé la fermeture de la banque centrale avant de dire que ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit…), c’est moins ses mesures d’extrême droite ultra libérales qui ont attiré que son style : il s’est présenté comme un « sauveur », très efficace sur le plan communicationnel et auprès des jeunes précaires qui ont vu en lui une promesse « anti-caste ». 30 % des votes obtenus au premier tour par Javier Milei sont venus des 16-29 ans.
Vote sanction ?
La situation en Argentine est très délicate. La présidence d’Alberto Fernandez a beaucoup déçu, par son incapacité à remédier à la crise économique générée par la présidence précédente de l’homme d’affaires Mauricio Macri (2015-2019), qui a consisté à passer du régime protectionniste hérité des gouvernements Kirchner (2003-2015) à un système néolibéral classique : grand plan d’austérité adopté en 2018 à la suite de l’accord de prêt de 56 milliards de dollars conclu avec le FMI, coupes dans les subventions aux services publics (transports, électricité, gaz) qui ont fait bondir leur prix, mesures antisociales (on se souvient de la réforme des retraites passée en force en 2017), politiques favorables aux entreprises et aux investisseurs étrangers. Bilan : En 2019, trois ans après son élection, un tiers des Argentins vivaient sous le seul de pauvreté et l’inflation atteignait les 55%.
En décembre 2019, Mauricio Macri a été largement battu par Alberto Fernandez. Inscrit dans la culture péroniste d’un Etat fort, le taux de participation avait atteint les 82%. Les travailleurs et les pauvres avaient massivement voté pour mettre fin aux politiques anti-ouvrières de Macri. Hélas le nouveau gouvernement n’est pas parvenu à résoudre les problèmes économiques fondamentaux du pays : Sergio Massa, alors ministre des Finances, a négocié le renouvellement du prêt du FMI conclu sous Macri. Pour cela, il a imposé de drastiques mesures d’austérité et la situation a empiré : sous l’effet de la dévaluation de la monnaie nationale, l’inflation a augmenté jusqu’à atteindre son chiffre actuel de 140 %, et le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté a dépassé les 40 %.
La déception a laissé place à l’amertume, et dans ce clair-obscur a émergé le pire de la politique argentine, à savoir une candidature néo-fasciste, en la personne de Javier Milei, candidat d’une extrême droite violente, ultra-néolibérale et nostalgique de la dictature.
Ainsi Sergio Massa, décrit comme un ambitieux à l’idéologie à géométrie variable (d’abord libéral, puis péroniste) a présenté sa candidature comme étant celle de la raison face au chaos. En plus des manœuvres judiciaires utilisées pour écarter la vice-présidente Cristina Kirchner, dont la ligne plus rupturiste n’a pu s’imposer, tout cela a conduit à un rejet massif des institutions et des partis traditionnels sur fond de profonde crise économique. La voie à la démagogie d’extrême droite « libertarienne » de Milei était toute pavée.
Pour nombre d’analystes, Javier Milei a donc accédé au pouvoir à la suite d’une volonté de dégagisme populaire, induit par l’échec des négociations de gouvernements libéraux avec le FMI et qui s’inscrit dans un contexte régional, mais aussi global, de consolidation des droites radicales dans le monde qui ont en commun de ne pas masquer les points les plus extrêmes de leurs programmes (Milei veut libéraliser les ventes d’armes et d’organes) ainsi que des phobies communes : l’avortement, les communautés LGBTQIA+, le « marxisme culturel » (théorie conspirationniste qui désigne la prétendue volonté des élites intellectuelles de nuire à la culture occidentale et de s’attaquer à la société traditionnelle en se servant du féminisme, de l’homosexualité et du multiculturalisme) et bien sûr l’immigration. Les droites dans le monde opèrent de la même manière : elles désignent à la vindicte populaire des nouveaux « ennemis intérieurs » (avant la fin de la guerre froide, c’était les communistes), et se pare des atours de la nouveauté en se disant « anti-système » alors que leurs programmes sont libéraux voire ultra libéraux.
Une présidence Javier Milei ne fera qu’empirer le désastre : ses politiques libérales agressives et de coupes des dépenses publiques appauvrira la population, déjà étranglée. Et comme il s’agit de l’extrême droite, sa politique économique risquera de nécessiter un appareil répressif rappelant la dictature…