Que retiens-tu de cette séance de la Cour internationale de justice ?
La séance à laquelle j’ai assisté était pour la partie plaignante qui saisit la Cour : l’Afrique du Sud. À la séance suivante, le gouvernement de M. Netanyahou a répondu aux interpellations qui ont été faites dans les magnifiques plaidoiries présentées par l’Afrique du Sud. Nous sommes plongés dans une situation honteuse. Elle est connue de tous. Honteuse car le groupe des grands pays qui à toute occasion fait la leçon au monde entier, déclenche des sanctions à tout va, là reste muet. Il laisse faire ce qui au minimum est une addition de crimes de guerre. Mais à partir d’un certain nombre de crimes de guerre, la situation change. C’est ce que dit l’Afrique du Sud. Comme elle est signataire de la Convention pout la prévention et l’interdiction des actes de génocide, elle dit « il y a un risque de génocide ».
Certes, la Cour est saisie sur la question de savoir si c’est ou non un génocide. Mais ce n’est pas sur ce point qu’elle doit prendre une décision à cet instant. Cela sera jugé sur le fond et ça prendra du temps. Là, elle doit juger sur la demande de mesures dites conservatoires. On peut dire des millions de fois merci au gouvernement de l’Afrique du Sud d’avoir pris cette initiative. Évidemment en tant qu’un représentant d’un pays qui ne l’a pas fait, je peux vous dire que je ne me sens pas très fier de mon pays…
La décision sera prise rapidement puisque ce sont des mesures conservatoires contre des actions qui seraient considérées comme irréparables. C’est le cas. C’est un massacre irréparable. De nombreuses pièces ont été versées au dossier, que les militants connaissent. Le nombre de morts, l’acharnement et surtout, ce qui m’a frappé, les propos génocidaires portés par les autorités israéliennes elles-mêmes.
Rendons-nous compte de la violence des propos tenus notamment par M. Netanyahou mais aussi par son ministre de la Justice, son ministre des Armées ou le chef des armées. Il y a des propos de nature génocidaire notamment la référence à un extrait de la Bible, M. Netanyahou se l’approprie pour recommander de massacrer tout le monde. Il y a eu comme ça beaucoup de citations produites au cours de la séance, beaucoup d’exemples donnés. Ils ont montré que sur la base de ces incitations au sommet de l’Etat et jusque dans les troupes, individuellement, les gens se sentaient investis d’une mission génocidaire en disant « il faut les tuer tous, les femmes les enfants, il n’y a pas d’innocents ». Cela a été un moment très fort.
La cause palestinienne a été défendue de manière brillante car les avocats partaient de faits avérés, documentés. Vous connaissez ma position, celle des insoumis : c’est le non-alignement. Ce n’est pas une position de confort, parce que ce n’est ni l’équidistance, ni la neutralité. C’est l’engagement sur des principes qui sont constants, quels que soient les protagonistes. Donc tous les crimes de guerre doivent être condamnés.
L’une des plaidoiries que j’ai trouvé les plus brillantes faisait état de médecins qui avant de quitter l’hôpital écrivaient sur un tableau : « Nous avons fait ce que nous avons pu, souvenez-vous de nous. » L’avocat disait : « Qui pourra se regarder dans la glace demain ? » Parce que nous savons à quoi nous en tenir, nus savons que c’est un massacre. Pas « disproportionné » : le mot n’est pas adapté. Aucun massacre n’est proportionné, aucun génocide n’est jamais proportionné ni admissible.
Que peut-on attendre du droit international dans cette situation ?
Cette réunion de la Cour est un grand moment. C’est le retour du « peuple humain » : il se donne à voir par le droit international et par l’action collective. Ce qui est important est d’avoir un droit international. Si imparfait qu’il soit, du moins existe-t-il. Dans ce procès il y a eu un argument, un contre-argument.
La jugement ensuite, devra être respecté. Tout le monde comprend que si cette cour venait à conclure sa jurisprudence à des actes qui présentent le risque de génocide, la situation politique serait complètement modifiée. Notamment pour tous ceux qui participeraient d’une manière ou d’une autre, à aide le gouvernement d’Israël, quelle qu’en soit la forme, dans son opération à Gaza. Alors peut-être que ça ne va pas être le résultat immédiat mais nous n’avons pas d’autres choix que celui-là. Si nous ne voulons pas de la loi du plus fort, alors nous avons besoin du droit.
Il faut s’en mêler. Je demande à tous ceux qui partagent mes convictions, mon engagement et celui des Insoumis d’une manière générale : occupez-vous de cette affaire, participez aux rassemblements, signez des pétitions quand il y en a, suivez les leaders historiques de ce mouvement en France. En ce moment nous savons que ce procès a déjà un premier résultat. Ce sont les déclarations faites aussi bien par les porte-paroles américains que par les porte-paroles israéliens. Même si nous ne croyons pas à leur sincérité ils ont été obligés de les faire et de changer le ton qu’ils avaient au début. C’est un premier résultat.
Frappes américaines et britanniques au Yémen, menacés grandissantes sur le Liban, comment juges-tu l’escalade à laquelle on assiste ?
Le bombardement des anglo-saxons au Yémen montre beaucoup. D’abord, on voit qu’il ne s’est trouvé aucun frontalier volontaire pour défendre la liberté du passage en mer Rouge. Bien sûr, personne ne peut approuver le principe des attaques contre la navigation en haute mer. Et les acteurs locaux directement concernés et capables de le faire ne manquent pas. Alors, qui a décidé de confier au tandem des USA avec la Grande-Bretagne la surveillance de la liberté d’accès au canal de Suez ? Quand l’ONU a-t-elle été consultée ou sollicitée ? Quand la présidence française du Conseil de sécurité a-t-elle été saisie ou même consultée ?
Ensuite, chacun des protagoniste ayant ses alliés, le message est destiné à ceux des Houtis qui les équipent en matériel et les soutiennent, à savoir l’Iran.
En toute hypothèse, c’est une porte ouverte aux surenchères comme c’est toujours l’usage des camps à l’instant où ils ont l’avantage. Il faut donc se concentrer sur les coupe-feux possibles. Dans ces conditions c’est au Liban que la partie se joue puisque c’est le point le plus inflammable dans le jeu des tensions et des connexions. Si l’on s’en tient à l’Histoire, c’est précisément ce type de situations et d’enchaînements qui mènent aux embrasements généralisés.
Les Français sont directement impliqués par la présence de 700 militaires sous casques bleus comme soldats de la paix au service d’un accord entre les parties. Dans le passé, les Français ont déjà eu 80 soldats tués sous ce drapeau. Les consignes de Netanyahou aux militaires de son armée à Gaza montrent qu’il n’y a aucune sauvegarde face à eux pour les personnes de l’ONU. Parfois il a été possible de se demander s’il ne s’agirait pas d’une façon de donner le sentiment qu’aucune limite n’existerait.
Dans ce cas, la France peut et doit jouer un rôle de pare-feu. La décision française de ne pas participer au bombardement du Yémen est une mesure de non-alignement qui peut rendre à notre pays une écoute de l’ensemble des parties et donc une possibilité d’être utile et efficace. Notre pays peut prendre des initiatives et faciliter des processus d’accords globaux ou limités stoppant la contagion ou faisant baisser la tension. Il exerce la présidence du Conseil de sécurité jusqu’à la fin du mois.