À cette heure, la France, partie prenante d’une intervention militaire que le monde entier observe, est sans doute aussi observée alors qu’elle délibère. Le monde verra que l’Assemblée nationale française est partagée entre ceux qui ont des raisons, qu’ils défendent et argumentent, d’approuver cette action, et ceux qui, comme nous, l’opposition populaire, y sont hostiles. Cette discussion ne nous affaiblit pas. Elle nous montre pour ce que nous sommes : une démocratie et la matrice de toutes les républiques de l’ère moderne.
Mais quelle que soit la nature des raisons qui nous opposent, il faut que chacun entende, sur la terre entière, la position commune des Français, d’un bout à l’autre de cet hémicycle. Toutes opinions confondues, les Français disent que ceux qui ont recours aux armes chimiques doivent être châtiés. Le recours aux armes chimiques est proscrit. Nous, Français, avons des raisons particulières d’insister sur ce point. D’abord, parce que notre nation a été martyrisée, mais ensuite parce que c’est à Paris, et à notre initiative, qu’a été adoptée la convention sur l’interdiction des armes chimiques, en 1993. Il faut rappeler qu’à cette occasion, nous n’avions pu obtenir que les puissants signent l’accord que proposaient les Français, qui portait aussi sur l’interdiction des armes bactériologiques. Faisons le vœu que nous n’ayons jamais à le reprocher à ceux qui, à ce moment, ont refusé de signer.
Partant de cela, je veux dire comment nous voyons ce qui s’est passé. Nous sommes intervenus militairement dans le pire nid de frelons de la planète, nid d’autant plus agité que s’y trouvent 42 % des réserves de gaz de l’univers, et 47 % de celles de pétrole, ce qui donne à chacun de puissantes raisons d’agir et de se sentir concerné. Nous ne pourrons nous contenter de dire que seule la morale guide nos pas car, alors, on s’étonnera que celle-ci ne nous ait pas conduits à secourir les malheureux Rohingyas, dont chacun sait qu’ils sont persécutés, ou, sur le même territoire, les malheureux Kurdes, dont chacun sait également qu’ils sont abandonnés. De même, nous ne pourrons pas non plus faire croire qu’en bombardant, nous sommes uniquement mus par le désir de faire respecter les résolutions de l’ONU, sinon, nous en ferions de même pour celles qui concernent la Palestine ou Cuba.
C’est dans ce contexte, où la morale et le suivi des résolutions de l’ONU ne trouvent pas aussi complètement que vous le pensez leur compte, que nous sommes intervenus. Sans preuves. Je ne dis pas sans certitude ni sans conviction. Je ne dis pas que nos services ne sont pas capables d’évaluer précisément ce qu’il en est. Mais, dans le droit international et dans l’action internationale, on ne peut agir que sur la base de preuves affirmées par les organismes qui en sont responsables.
Or ceux-ci étaient en train de faire leur enquête au moment où sont intervenus les bombardements : la branche particulière de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, préposée à la tâche d’établir si de telles armes ont été utilisées, était en effet en train de faire son enquête lorsque nous avons agi.
Ensuite, nous avons agi sans mandat de l’ONU. C’est sans doute, pour la France, le coup le plus important porté à sa diplomatie.
J’ajoute que, non seulement nous n’avions aucun mandat de l’ONU, mais encore, nous n’avons tenu aucun compte des organisations régionales concernées, au moins autant que les Occidentaux, par la situation en Syrie. Frapper la veille de la réunion de la Ligue arabe, sans tenir aucun compte de ce qui pourrait s’y dire ; ne tenir aucun compte de l’Organisation de l’unité africaine qui, depuis s’est exprimée, c’est continuer la vieille méthode des puissances impériales, qui ne tiennent pas compte des peuples, au nom desquels elles prétendent agir. Je vous le dis avec regret, car je préférerais ne pas avoir à vous le dire compte tenu de l’idée que je me fais de ma patrie, nous sommes intervenus sans aucun allié de l’Union européenne, ce qui montre assez quelle fumisterie est l’idée d’une défense et d’une armée communes.
Nous sommes intervenus sans objectif politique précis – la suite nous l’a montré. Nous avons tous écouté le Président de la République, dimanche soir. Nous l’avons entendu dire qu’il s’était retenu de participer à la réunion d’Astana. Que voulons-nous ? Le succès du trio d’Astana, qui réunit la Turquie, la Russie et l’Iran, pour ne citer qu’eux ? Voulons-nous qu’il parvienne à ses fins ? Ou préférons-nous soutenir le processus de Genève, qui n’avance pas ? Ou misons-nous sur une autre organisation internationale, dont nous proposons qu’elle se réunisse ? Nous ne le savons pas. Quel est donc l’objectif précis, à part, naturellement, la volonté de retrouver la paix, l’amitié, la concorde et l’amour, qui nous meut tous avec la même énergie ? Que voulons-nous ?
Enfin, nous sommes intervenus sans objectif militaire probant. Monsieur le Premier ministre, je veux saluer votre comportement à l’égard des parlementaires, en tout cas à l’égard de mon groupe : vous m’avez prévenu que vous organiseriez une réunion dimanche, et nous avons pu échanger avec le souci des responsabilités que nous exerçons, vous de manière très éminente, moi comme président de groupe. Je ne vous ai posé qu’une seule question, que je m’autorise à répéter devant l’Assemblée nationale :
quels risques courions-nous, et quelles mesures avions-nous prises pour éviter l’escalade ? C’est la seule chose qui compte, quand vous frappez, de savoir jusqu’où vous devrez encore frapper.
Là, j’ai dit qu’il s’agissait du pire nid de frelons. Monsieur le Premier ministre, vous m’avez dit, comme chacun a pu le vérifier ensuite, que toutes les dispositions avaient été prises pour éviter cette escalade, c’est-à-dire que nous avons respecté les codes de déconfliction sur la zone. Qu’est-ce que la déconfliction ? Cela consiste à éviter les effets de surprise. La guerre étant faite de surprises, cela signifie que, pour l’essentiel, on dit ce que l’on va faire, et par où l’on va passer. Cela explique que les Russes aient regardé tout cela fort tranquillement, sans tirer une seule munition : ils savaient qu’ils ne seraient visés à aucun moment.
Voilà beaucoup de choses qui laissent rêveur. Quels résultats ont bien pu être obtenus ? Pourquoi ne nous en dit-on rien ? Sommes-nous incapables de l’entendre ? Nous avons frappé, paraît-il, deux usines d’assemblage, sans que cela dégage une seule petite bouffée d’air impur dans la zone qui l’entoure – nous n’avons tué personne et je m’en réjouis, et je comprends qu’on ait essayé d’éviter de faire des victimes.
Mais après que la situation a atteint son paroxysme, après que nous avons entendu, le lendemain, le président de la République française dire qu’il avait convaincu M. Trump de rester sur place pour terminer le travail, et d’autres évoquer un plan d’armement chimique qui se serait développé, sans que l’on s’en rende compte, pendant de nombreuses semaines, moins de vingt-quatre heures après, le président des États-Unis a indiqué que les forces américaines allaient partir. Si bien que tout cela ressemble davantage à une salve d’adieu qu’à un tir militaire visant à rétablir une situation.
La vérité est derrière le rideau.
C’est la raison pour laquelle je voudrais que vous nous précisiez le contenu des innovations conceptuelles de la soirée d’hier.Qu’est-ce qu’une déclaration de guerre qui n’en est pas une, quand on attaque un pays à plus de 3 000 kilomètres de distance ? Devons-nous considérer que bombarder trois usines, ce n’est pas une déclaration de guerre et que, par conséquent, à Pearl Harbor, ce n’est pas la guerre, qui a commencé ?
Une déclaration de guerre nous eût imposé un débat du Parlement. Et voici le premier coup que je vois à ce qui s’est produit : si le Président de la République française a dit, dès le mois de mai, qu’il y avait une ligne rouge à ne pas franchir, qu’est-ce qui, depuis le mois de mai, a empêché que l’on en discute ici, et que l’on établisse un protocole pour châtier ceux qui viendraient à utiliser les armes chimiques ? Rien ! Et pourtant, cela n’a pas été fait.
Que signifie, monsieur le Premier ministre, cette nouveauté que l’on appelle la « légitimité de la multilatéralité », qui a été évoquée hier ?
Pour un Français, il n’y a qu’une seule légitimité ou, plus exactement, il y a deux manières d’agir.
En ce qui concerne notre territoire national et nos populations, il n’y a aucune limite à notre décision que notre propre volonté. En ce qui concerne le concert des nations, nous croyons à un monde ordonné, non pas à un monde multipolaire, car c’est toujours la guerre pour savoir qui, parmi les multipolaires, est le premier. Un monde ordonné autour du droit, qui prime la force, voilà ce à quoi nous croyons, c’est-à-dire à l’ONU. Nous sommes dans le monde des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. C’est fini le temps où, à quelques pays, on pouvait décider pour tout le monde ; tenez-vous le pour dit !