Dans ce pays on assistait déjà à un long processus de révolution citoyenne. Il s’est construit sur plusieurs années comme c’est le propre d’un processus de révolution citoyenne. D’abord ce furent les manifestations contre la vie chère durant l’hiver 2017-2018 et en novembre 2019. Puis vint une vague de contestation au début de 2020, après un crash aérien. Cette fois ci c’est un mouvement plus ancré. Il part de la protestation contre l’assassinat d’une jeune femme de 22 ans. Morte pendant sa garde à vue pour avoir « mal porté » le voile obligatoire exigé par le clergé chiite au pouvoir. La particularité de cette nouvelle « flambée » ici me semble être le redémarrage du processus à partir d’une étincelle féministe observé nulle part ailleurs avant cela sous cette forme. La forme de l’initiative de la lutte et de la mobilisation de première ligne. Ah non. Il y en a eu une autre. Les femmes qui ont fait tomber le tsar Nicolas II dans la Russie de 1917.
Dans le déroulement des évènements désormais, on voit partout une présence très déterminée des femmes. Sur les photos et les vidéos publiées sur les réseaux sociaux cette très forte présence de femmes s’exprime en première ligne des manifestations et actions qui se sont propagées depuis 5 jours à tout le pays. Le mouvement s’est étendu aussi à des quartiers populaires habituellement à l’écart de l’agitation des grandes villes. Fait notable, l’acte d’insoumission principal de ces femmes est d’apparaître sans foulard. Certaines l’ont même brûlé en public, sous les applaudissements d’une foule, composée essentiellement de la jeunesse du pays – femmes – et hommes qui les soutiennent et les protègent de la répression policière. Le foulard retiré ou brûlé n’est sans doute pas un objet de « lutte » en soi. Le geste est de portée plus large. Il concentre la dénonciation de toutes les formes d’atteintes aux droits des femmes par le pouvoir des religieux. Ici c’est la restriction de la contraception, et du droit à l’avortement. C’est la politique nataliste qui cantonne les femmes aux rôles du foyer. Et ainsi de suite. Bref la politique de toutes les théocraties du monde. La politique quand c’est la religion qui impose ses règles de force à toute la société.
Les slogans des manifestants montrent bien la centralité de la cause féministe. On y décèle aussi le moteur de fond que nous avons identifié dans les révolutions citoyennes du monde entier : l’aspiration à la liberté individuelle et à la libre disposition de soi. Et on retrouve le phénomène désormais classique, celui de « transcroissance » des revendications de l’immédiat vers la revendication du pouvoir politique. Cette phase est le moment instituant du peuple. Elle mute très vite en action pour revendiquer le pouvoir politique. Les mots d’ordre explosent hors du cadre initial. On passe alors à une phase destituante qui vise désormais le régime tout entier dans ses fondements : « Femme, vie, liberté ! » / « A bas le dictateur ! » / « Mort à Khamenei ! ». La lutte populaire prouve le courage de ce peuple et sa capacité à surmonter la peur des violences abjectes de la dictature théocratique iranienne. C’est un signal très fort dans le moment politique qui anime pays par pays tous les continents. On a des raisons de penser qu’il aura sa portée très au-delà des frontières de l’Iran. On en a des prémices en Turquie. Une vague semble bel et bien se lever. Elle se nourrira sans doute vite de toutes les frustrations que la décomposition du monde libéral va entrainer.