Avec une arrogance et une impolitesse s’inscrivant dans la continuité de son comportement lors de sa conférence de Ouagadougou en 2017, il a déclaré à son homologue : « depuis 1994 vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté de votre pays, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative. C’est une réalité, et il ne faut pas chercher de coupable à l’extérieur ». Réponse de Félix Tshisekedi : « Regardez nous autrement en nous respectant, la Françafrique n’existe plus ». N’en jetez plus.
L’échange a déjà fait le tour de l’Afrique francophone, voire au-delà. Il est accablant. Comme le disent les professionnels de la diplomatie, que Macron maltraite alors qu’il devrait s’appuyer sur eux, le président français « a manqué aux règles élémentaires de courtoisie diplomatique ».
Accablant sur la forme : on ne parle pas comme ça lors d’une rencontre de ce type. Les codes diplomatiques ne renvoient pas à quelconque hypocrisie, mais au respect de son hôte ou de son invité. Accablant sur le fond : à aucun moment les autorités de la RDC n’ont demandé à la France de régler des problèmes relevant de la souveraineté du peuple congolais. Elles auraient juste aimé, parce que la parole de notre pays compte encore, que la France reconnaisse clairement la responsabilité du voisin rwandais, gouvernement compris, dans les massacres commis par le groupe armé M23 dans l’est de la RDC. Ni plus ni moins que ce qui a déjà été établi par l’ONU, du rapport mapping sur la terrible guerre ayant fait des millions de morts au tournant des années 2000, au rapport plus récent sur le M23.
Macron n’a donc pas commis une simple entorse diplomatique. Il a insulté – sans peut-être même s’en rendre compte, ce qui est tout aussi grave – la mémoire des millions de victimes des conflits vécus par la RDC depuis les années 1990, causés entre autres par les ingérences internationales multiples. Ces ingérences n’expliquent pas tout, bien sûr. Mais les stopper, d’où qu’elles viennent, est une condition du rétablissement de la paix intérieure dans le deuxième plus grand pays d’Afrique par la taille, troisième par la population, et le premier pays francophone du monde. Tout propos contraire relève de l’ignorance, ou de la lâcheté vis-à-vis du régime rwandais de Paul Kagamé qui refuse toute allusion à son rôle dans les exactions du M23, a fortiori venant de la France, pour des raisons historiques évidentes. Il est pourtant tout à fait possible de pointer la part de responsabilités du régime de Kagamé sur la situation à l’est de la RDC tout en reconnaissant les lourdes erreurs de la France dans la séquence qui a conduit au génocide au Rwanda en 1994.
Au lieu de faire œuvre de nuance, et tout simplement de respect, Macron s’est une nouvelle fois comporté en adolescent mal élevé lors d’une conférence de presse avec un homologue africain. Cette fois dans le plus grand pays francophone du monde. Rien que ça. Le reste n’est que littérature, car c’est tout ce qui restera de son déplacement. Les congolais ont beau jeu de demander si Macron aurait parlé ainsi à Joe Biden…
Des dizaines de questions se posent sur la stratégie – ou l’absence de stratégie – de la France en Afrique. On pourrait en débattre, voire même voter si par exemple l’Assemblée Nationale avait droit de cité sur la politique étrangère de la France ! On pourrait se demander pourquoi, plus au nord, dans la zone sahélo-saharienne, la France est rendue à tort responsable de tous les maux. On pourrait interroger les conséquences des accords commerciaux inégaux entre l’Union Européenne et l’Afrique sur les économies africaines. On pourrait se poser la question de comment cesser d’entraver la souveraineté alimentaire, sanitaire, donc économique et politique, de nombreux pays d’Afrique. Tout en renvoyant, quand il le faut, les oligarchies locales à leurs responsabilités. D’exemple en exemple, on arriverait au constat que ce n’est pas la France qui est contestée en Afrique, mais une certaine idée de la France et de sa politique extérieure. On en conclurait qu’une politique alternative, comme celle tracée par Jean-Luc Mélenchon en juillet 2021 devant plusieurs centaines de Burkinabé, pourrait changer la donne.
Mais de tout cela il ne sert à rien de parler au président Macron. D’offense en offense, d’erreur en erreur, il a ruiné son crédit personnel en Afrique. Et il est trop tard pour le récupérer. Quand on sait le rôle malheureusement quasi monopolistique du Président sur la politique étrangère sous la 5e République, il est clair que le renouveau tant espéré des relations entre la France et les pays – ou les peuples – d’Afrique, dans toute leur diversité, ne verra pas le jour sous la présidence d’un homme usant et abusant de « disruption » des codes pour mieux masquer son conservatisme. Quand ses interlocuteurs espéraient un parallélisme des formes et un changement de fond. Macron aura eu tout faux.