La démocratie sur le lieu de travail est en crise. Pour sa nouvelle édition de l’indice des droits dans le monde, la Confédération Syndicale Internationale (CSI) dresse un constat accablant : les violations des droits des travailleurs et travailleuses n’ont jamais été aussi nombreuses depuis 7 ans. Toujours plus d’entraves à la négociation collective et au droit de grève. Des employeurs et gouvernements complices dans plusieurs pays d’instiller un climat de peur pour éviter la création de syndicats et pour démanteler les fondements du contrat social. Des travailleurs et travailleuses de plus en plus exposés aux violences sur leur lieu de travail, à la précarisation des conditions de travail sont empêchés d’accéder à la justice.
Pour 99 % de la population mondiale, l’indice boursier déterminant la performance d’un marché a très peu d’intérêts, pourtant il berce notre quotidien. A l’inverse, pour 99 % de la population mondiale, un indice permettant de mesurer les violations des droits au travail a beaucoup de sens, mais n’a jamais existé.
C’est pourquoi le syndicalisme international a décidé de développer un indice annuel basé sur 97 indicateurs issus des conventions et de la jurisprudence de l’OIT pour mettre en avant des informations relatives aux droits des travailleurs et travailleuses dans le monde et déterminer le triste palmarès des 10 pires pays pour les travailleurs. Cette année nous retrouvons des pays régulièrement en tête du classement tels que le Bangladesh, les Philippines, la Colombie, le Kazakhstan ou le Zimbabwe mais aussi de nouveaux pays comme le Honduras, l’Égypte ou l’Inde.
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Situation catastrophique au Moyen-Orient et en Afrique
Géographiquement, le Moyen Orient et l’Afrique de Nord restent les pires régions du monde pour les travailleurs. Aux Émirats arabes unis, dont 89 % de la main d’œuvre est étrangère, le système de la Kafala permet aux employeurs de confisquer les passeports de leurs salariés et de les poursuivre en justice pour toute tentative de fuite. Au Liban ou au Qatar, les associations humanitaires reportent régulièrement le sort terrible de travailleuses domestiques maltraitées, exploitées et piégées dans des situations de servitude. Les pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord entravent aussi considérablement la liberté d’association et le droit de grève. Ainsi, le gouvernement égyptien a interdit à 27 syndicats indépendants d’exercer leurs activités au cours de l’année. En Iran, des dizaines de travailleurs ont été battus et arrêtés dans la province d’Arak pour avoir participer à une manifestation pour l’amélioration de leurs conditions de travail. En Iraq, la police a carrément tiré à balles réelles sur des centaines de manifestants rassemblés pour une meilleure protection sociale et mettre fin à la corruption. Bilan, 600 morts.
Dans le reste de l’Afrique, les conflits internes qui ravagent de nombreux pays tels que le Burundi, la République Centrafricaine, la Somalie ou le Soudan privent des millions de travailleurs de protections fondamentales. Au Soudan par exemple les autorités ont récemment émis un décret pour dissoudre tous les syndicats et saisir leurs biens et avoirs. Le Sénégal a, de son côté, connu une recrudescence des violences à l’encontre des dirigeants syndicaux au cours des derniers mois et les grèves, manifestations dans le pays sont désormais interdites. En Afrique du Sud, plusieurs dirigeants syndicaux ont été assassinés, alors qu’au Zimbabwe plusieurs d’entre eux ont été enlevés et torturés. Violentes répressions également en Côte d’Ivoire à l’encontre des fonctionnaires de l’éducation nationale mobilisés pour l’augmentation des salaires.
Répression intolérable en Amérique et en Asie-Pacifique
La région Asie-Pacifique a aussi connu, cette année, son lot de violences extrêmes envers des travailleurs et syndicalistes. En Inde, plusieurs centaines de travailleurs ont été arrêtés lors de mobilisations sociales sans précédent qui ont réuni plus de 250 millions de personnes en Janvier. Même constat lors des mobilisations à Hong Kong, où 7000 manifestants ont été arrêtés arbitrairement. Autre exemple aux îles Fidji, les mobilisations syndicales, pour maintenir 2000 emplois au sein de la société de distribution d’eau (Water Authority of Fiji), ont aussi été sévèrement réprimées par les autorités locales.
L’Amérique a également été marquée cette année par la répression violente des grèves et des manifestations. Les gouvernements du Chili ou d’Équateur ont réprimés sévèrement des manifestations contre les politiques antisociales en déclarant l’état d’urgence et en restreignant les libertés individuelles et collectives. Dans un climat de peur et sous la menace constante des représailles, les dizaines de dirigeants syndicaux ont été assassinés au Brésil, au Honduras et en Colombie. En République dominicaine, les autorités n’ont pas hésité à utiliser des balles réelles contre des travailleurs du secteur de la construction, rassemblés pacifiquement pour de meilleures conditions de travail.
Lawfare en Europe contre des syndicalistes
L’Europe enfin ne fait pas exception, plusieurs pays européens ont limité les mouvements sociaux ce qui a conduit à de nombreuses arrestations arbitraires et à des actes de violences. En Belgique et en France plusieurs syndicalistes ont été poursuivis devant les tribunaux pour avoir organisés des manifestations sur la voie publique. Au Belarus, des dirigeants syndicaux de l’industrie électronique ont été poursuivis sur de fausses accusations d’évasion fiscale. Au total, 74 % des pays européens ont violé cette année le droit de grève. La Turquie reste aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux au monde pour les syndicalistes.
La liberté de créer un syndicat et de négocier collectivement les conditions de travail constituent des droits fondamentaux internationalement reconnus depuis plus d’un siècle. Pourtant, à l’épreuve des faits, ces droits sont bafoués dans la plupart des pays du monde, ce qui met en péril la paix et la stabilité. Il convient donc de revenir au plus vite à l’esprit de Philadelphie (OIT déclaration Philadelphie, 1944) qui entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international en affirmant que « le travail n’est pas une marchandise », que « la pauvreté constitue un danger pour la prospérité de tous » et qu’ « une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ».