En crise avec l’Espagne concernant le Sahara marocain, le Maroc fait pression sur Madrid et Bruxelles en laissant partir des milliers de Marocains et Subsahariens sans papiers, vers Ceuta.
Ce lundi, 6000 personnes, dont 1500 mineurs, sont arrivés, à la nage ou à pied, dans l’enclave espagnole de Ceuta sur la côte nord du Maroc. Un afflux sans précédent auquel les responsables espagnols ont dû faire face dans un contexte de tensions entre Madrid et Rabat : le 21 avril dernier, le chef du Polisario séparatiste Brahim Ghali, a été admis sous un nom d’emprunt dans un hôpital de Logroño en Espagne pour être soigné du Covid-19, après avoir été refusé à Berlin.
L’accueil en catimini de Brahim Ghali, contre qui la justice espagnole a émis un mandat d’arrêt en 2016 pour génocide, torture et viol, et considéré comme un ennemi du Maroc, a provoqué la colère de Rabat qui a convoqué fin avril l’ambassadeur espagnol pour lui signifier sa « déception à l’égard de cet acte contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage et qui concerne une question fondamentale pour le peuple marocain et ses forces vives » : La situation est complexe car le conflit au Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée « territoire non autonome » par les Nations unies en l’absence d’un règlement définitif, oppose depuis plus de 45 ans le Maroc au Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Le Polisario réclame un référendum d’autodétermination alors que Rabat, qui considère le Sahara comme une « cause nationale », propose une autonomie sous sa souveraineté.
Selon plusieurs personnalités, cet afflux de migrants n’est donc pas un hasard. Mohammed Ben Aisa par exemple, chef de l’Observatoire nordique des droits de l’homme, un groupe à but non lucratif qui travaille avec les migrants dans le nord du Maroc, a déclaré à Associated Press : « L’information dont nous disposons est que les autorités marocaines ont réduit la militarisation généralement lourde des côtes, qui intervient après la déclaration du ministère des Affaires étrangères du Maroc concernant l’accueil par l’Espagne de Brahim Ghali. »
Depuis lundi, les hautes autorités marocaines gardent le silence. Et côté espagnol, les autorités ont annoncé ce mardi avoir renvoyé 2700 personnes au Maroc. Pedro Sanchez a déclaré qu’il se rendait aujourd’hui à Ceuta et Melilla, autre enclave qui constitue, avec Ceuta, l’une des deux seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique : « Aujourd’hui je me rendrai à Ceuta et Melilla pour montrer la détermination avec laquelle le gouvernement espagnol agit. Nous rétablirons l’ordre le plus rapidement possible. Nous serons fermes pour garantir la sécurité des citoyens face à tout défi et en toute circonstance. »
Il a également ajouté : « En tant que président de l’Espagne, je crois fermement que le Maroc est un pays partenaire. Pour être efficace, cette coopération doit toujours être basée sur le respect. Le respect des frontières mutuelles. »
La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a exprimé sa solidarité avec Ceuta et l’Espagne : « Nous avons besoin de solutions européennes communes pour gérer les migrations. Nous pouvons le faire en concluant un accord sur le nouveau pacte migratoire »
Le ministre de l’intérieur espagnol a annoncé en fin de journée que le président Pedro Sanchez et lui-même étaient arrivés sur place : « Ils sont au centre opérationnel des services frontaliers de Ceuta où les membres de la FCSE surveillent la situation et coordonnent les agents déployés. »
Une brutale montée de tension qui a dégénéré en crise migratoire et qui est une illustration de plus de l’usage qui se répand de l’arme des migrants : ces évènements se produisent dans le contexte général de l’externalisation des contrôles migratoires des pays européens vers les pays voisins, depuis la fin des années 90 (on l’a vu avec la Turquie ou la Lybie). La migration devient donc en quelque sorte, une « arme », pour ces pays à qui l’UE fait contrôler ses frontières.