« Nous ne céderons pas aux politiques libérales du gouvernement Modi » : l’appel est clair. Depuis bientôt un an, l’Inde connait une mobilisation sans précédent de dizaines de millions de travailleurs, étudiants, paysans unis contre les réformes antisociales menées d’une main de fer par le gouvernement.
Ni la répression policière, ni la pandémie du Covid-19 n’ont pu ébranler la détermination des 250 millions de travailleurs en grève générale le 26 novembre. Il s’agit de la seconde journée d’action la plus importante après celle du 8 janvier, qui vit déjà converger plus de 200 millions de personnes.
2% de la population mondiale en grève : l’évènement est historique
Employés des banques et des télécommunications, du transport, fonctionnaires, ouvriers de la sidérurgie, dockers, techniciens du secteur de l’énergie, mineurs, cueilleuses des plantations de thé, paysans : ils ont mis le pays à l’arrêt. Il faut dire que les motifs de la convergence des luttes sont nombreux en Inde. Parmi les principaux, plusieurs revendications concernant l’accès aux services publics après les annonces du gouvernement de privatiser le secteur de l’énergie et des transports, notamment les chemins de fer.
L’exigence de nationalisation du secteur de la santé pour garantir l’accès aux soins se fait aussi pressante alors que l’Inde enregistre plus de 9,2 millions de personnes infectées par la Covid19 et près de 135000 décès. Sans compter la bataille pour la gestion publique de l’eau, dans un pays confronté à des privatisations depuis les 15 dernières années qui ont eu des conséquences dramatiques sur les coûts, l’approvisionnement et la qualité de l’eau. La grande masse de la population indienne se trouve donc sévèrement entravée quand il lui faut accéder aux réseaux collectifs essentiels pour vivre dignement.
S’ajoute à cela une longue série de politiques d’austérité qui ont fait rapidement basculer la colère populaire en énergie mobilisatrice. Selon une enquête du Centre pour l’emploi durable de l’université Azim Premji, 66 % des salariés interrogés ont perdu leur emploi durant le confinement, 77 % des ménages consomment moins de nourriture qu’avant et 64 % ont vu leurs revenus diminuer. Et pour cause, plusieurs États alliés du parti de Modi ont décidé de suspendre pour trois ans le Code du travail au nom de la relance économique et de l’attraction des capitaux étrangers[1]. Une suspension par ordonnances visant à « exempter toutes les entreprises, usines et fonds de commerce de l’application du droit du travail »[2]. Pénicaud conseille-t-elle le gouvernement indien ou est-ce l’inverse ? Toutes les législations relatives aux conditions de travail (temps de travail, salaire), règlement des conflits, à la santé et sécurité, à la reconnaissance des syndicats ont disparu.
Pour Ramapriya Gopalakrishnan, avocat spécialiste du droit du travail, « l’esclavage fait son retour en Inde ».
Une réforme du secteur agricole qui ne passe pas…
Après les réformes antisociales et antisyndicales, c’est au tour des réformes anti-paysannes[3], avec l’adoption en septembre de trois lois visant à la libéralisation de la commercialisation des produits agricoles dans un pays où les paysans représentent 50 % de la population. Jusqu’alors, les agriculteurs vendaient leurs récoltes sur les marchés régionaux, régulés par les autorités locales.
Désormais les entreprises pourront passer des contrats d’exclusivité avec les producteurs à prix libres. Rien ne les empêche de stocker les denrées pour une durée illimitée et d’organiser la spéculation. La fin de l’encadrement des prix des produits agricoles par les pouvoirs publics aura à coup sûr de terribles conséquences sur les moyens de subsistance des paysans.
C’est donc un front uni de 250 organisations d’agriculteurs s’opposant à l’entrée de l’Inde dans l’ère de l’agro-business qui a rejoint la lutte. Par dizaines de milliers, des paysans de plusieurs États ont commencé à marcher vers New Delhi, lieu du pouvoir. Ils ont été reçus par la police, qui a dressé des barricades et bloqué les entrées dans l’Etat en utilisant des canons à eau, gaz lacrymogène, drones de surveillance et qui a procédé à des arrestations arbitraires massives des manifestants. Malgré tout, ils continuent à converger par milliers vers la capitale.
Ainsi, sous les radars médiatiques mondiaux, le mouvement social en Inde ne faiblit pas avec le monde du travail en première ligne de la défense des droits fondamentaux.
[1] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20200522-inde-les-syndicats-protestent-contre-la-suspension-code-travail
[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/12/coronavirus-l-esclavage-fait-son-retour-en-inde-qui-sape-son-droit-du-travail_6039428_3234.html
[3] https://peoplesdispatch.org/2020/11/27/250-million-people-participate-in-nationwide-strike-in-india/