Depuis des années le conflit entre la Palestine et Israël s’enlise, quelle est votre observation sur cette situation géopolitique inquiétante ?
Penser que l’abandon de toute perspective de règlement politique du conflit aboutirait à sa mise en sommeil définitive a été gravissime. Les conséquences de ce déni vont au-delà de l’intensification de la guerre entre Israël et la Palestine débutée avec le massacre perpétré par le Hamas contre les civils israéliens le 7 octobre, auquel Israël a répondu par une vengeance collective contre les civils de Gaza. Les nombreuses tensions et fractures d’une région extrêmement instable se sont immédiatement réveillées, avec des conséquences imprévisibles.
Comment qualifiez-vous ce qui se passe depuis le 7 octobre en Israël et à Gaza ?
Comme la nouvelle séquence d’une guerre, reconnue comme telle par l’ONU. Elle oppose d’un côté un État israélien dont le gouvernement a intensifié sa politique de colonisation illégale depuis des années, et officialisé son déni du droit des Palestiniens à disposer d’un État au terme de négociations sur la base des territoires de 1967, droit pourtant reconnu par l’ONU et l’essentiel de ses États membres ; de l’autre côté un peuple ayant, par la voix de l’Autorité palestinienne le représentant officiellement au yeux de la communauté internationale depuis 1993 et les accords d’Oslo, reconnu officiellement l’État d’Israël, sans rien obtenir en retour, ce qui a favorisé l’ascension du Hamas. Le massacre commis par le Hamas est ignoble et injustifiable, mais « ne tombe pas du ciel », pour reprendre les mots d’Hubert Védrine. C’est un acte de terreur, mais aussi un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité, pour reprendre les catégories du droit international en la matière. La vengeance collective décidée en retour contre l’ensemble de la population de Gaza, bombardée et assiégée, est aussi une terreur exercée par un État, un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité.
Après ces évènements dramatiques, la France insoumise a fait l’objet d’une cabale médiatico-politique et d’un déchaînement de haine. Pourquoi ?
Il y a plusieurs ingrédients à ce déferlement de propagande, de calomnie et de menaces de mort. De l’opportunisme cynique : c’est une occasion rêvée de tenter de détruire la seule grande force d’opposition populaire et sociale pouvant contrecarrer l’axe extrême centre-extrême droite. Une dérive idéolgoqique qui voit la progression du néoconservatisme et d’une vision binaire d’un monde partagé entre forces du bien et forces du mal. Ici Israël incarne le bien, la « démocratie » face à une « barbarie », dont les propagandistes français ne rappellent jamais qu’elle inclut aux yeux du gouvernement Netanyahou tous les Palestiniens, qualifiés d’« animaux humains ». Cette propagande n’a rien à voir avec la défense légitime d’Israël, et tout à voir avec le racisme. Cela permet aussi de balayer tout questionnement sur les motivations politiques du conflit.
Par exemple aucun des contempteurs de la France insoumise n’a accepté de relever les citations authentiques de Netanyahou, pourtant commentées dans la presse israélienne, rappelant qu’il a soutenu le Hamas. Ainsi il disait en 2019 devant ses députés : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie ». Pourquoi est-il si difficile de reconnaître que le gouvernement Netanyahou fait, comme le Hamas, partie du problème et non de la solution ? Parce que cela reviendrait à critiquer le gouvernement d’Israël. Et pour les « soutiens inconditionnels » de ce dernier, critiquer le gouvernement d’Israël c’est être antisémite, ce qui équivaut à une ostracisation du débat public. Il faut donc du courage pour dire la réalité.
Comment et dans quel cadre peut-on retrouver le chemin de la paix au Proche-Orient ? Quel rôle doit jouer la France et la communauté internationale selon vous ?
Jean-Luc Mélenchon, avec d’autres, a rappelé la position traditionnelle de la diplomatie française. De De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand. La France devrait retrouver la position de fer de lance des médiations et d’une solution politique susceptible d’aboutir à une paix juste et durable au Proche-Orient. Objectif inatteignable sans reprise des négociations sur la base des résolutions de l’ONU. Et ces négociations ne pourront pas reprendre sans pression internationale contraignant le gouvernement israélien à laisser ré-insuffler une légitimité et une capacité d’action à l’Autorité palestinienne, seul interlocuteur légitime pour négocier la paix. Seule, la France n’a pas le pouvoir de faire aboutir cela. Mais elle a le pouvoir de mettre les mots sur les choses, ce qui serait déjà un acte politique et diplomatique fort permettant ensuite d’agir pour la cause commune d’une paix juste et durable, avec tous les pays le souhaitant.
Mais on en est loin. La réponse politique du gouvernement a été désastreuse. Il a commencé par criminaliser toute expression de soutien à la Palestine, et n’a rien dit sur le traitement criminel infligé par Israël aux Palestiniens de Gaza, ni sur la nécessité d’un cessez-le-feu. Il a accrédité l’idée antihumaniste et désastreuse qu’une vie israélienne et une vie palestinienne ne se valent pas. Puis Emmanuel Macron a semé la confusion en reprenant à son compte une rhétorique de la « guerre au terrorisme » totalement inadaptée, avant d’être démenti… par les services de l’Élysée. Il a ensuite énoncé quelques généralités sur la nécessité d’une « solution politique » sans en préciser ni les contours ni le moyen d’y parvenir.