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Quand la Thaïlande parle au monde

Dimanche 14 mai les Thaïlandais ont placé en tête le Move Forward Party (MFP, « aller de l’avant ») en tête des élections législatives. Ce parti progressiste a intensément subi le lawfare du gouvernement de la junte militaire : dissolutions, cofondateurs et anciens leaders rendus inéligibles, rassemblements interdits, interférences électorales et pilonnage médiatique. Le chef de file actuel du MFP, Pita Limjaroenrat (qui a succédé à Piyabutr Saengkanokkul, se prépare à devenir Premier ministre dans le cadre d’une coalition. Mais dans un système politique toujours en partie verrouillé par les militaires et l’institution monarchique, y parviendra-t-il ?

Edouard Richard est collaborateur parlementaire.

Une victoire politique majeure

Première élections ayant eu lieu depuis 2019 et les manifestations massive de 2020, le résultat consacre la victoire des oppositions au pouvoir actuel, issu d’un énième coup d’État réalisé par les militaires en 2014. Les deux principales forces d’opposition, le Move Forward Party et le Pheu Thai sont arrivées largement en tête lors des élections législatives. Avec l’appui d’autres forces, ils se sont mis d’accord pour la mise en place d’une coalition gouvernementale.

La majorité politique du peuple thaïlandais, démocratiquement exprimée, vient de s’identifier à sa majorité sociale. La volonté dégagiste est claire : mettre en place une démocratie fonctionnelle, où le pouvoir ne peut plus être dans les mains de l’axe militaro-monarchique. Cela passe par la nécessaire démocratisation des institutions, alors que les militaires conservent de nombreux leviers, comme le Sénat, nommé par eux dans sa quasi-intégralité.

Le lawfare, arme de répression massive

Un des sujets centraux de la campagne législative, où le MFP s’est distingué par une forme d’intransigeance, est la réforme de l’article 112, qui punit de trois ans de prison ferme et jusqu’à 15 ans toute critique de l’institution monarchique. Cet article a été utilisé à tout va par le gouvernement issu de la junte dans des techniques de lawfare pour intimider et faire taire les critiques du régime en place.

Le mouvement social de 2020 avait notamment eu pour élément déclencheur la dissolution du Future Forward Party (Parti du Nouvel Avenir) sous prétexte qu’il avait enfreint la loi sur le financement des partis politiques. Ses principaux leaders, alors députés, comme le président du parti Thanathorn Juangroongruangkit, ou son co-fondateur et secrétaire général Piyabutr Saengkanokkul, ont été déchus de leurs mandats et de leurs droits politiques pour une durée de dix ans, ainsi qu’une dizaine de leurs députés. De manière arbitraire, ils sont accusés de sédition (passable de 20 ans de prison) ou de crime de lèse-majesté mentionné ci-dessus.

En août 2021, Piyabutr Saengkanokkul, avait rencontré Jean-Luc Mélenchon lors des AMFis d’été de la France insoumise, pour échanger notamment autour du piétinement de la souveraineté populaire et l’utilisation du lawfare contre les oppositions politiques. Ils notaient alors de nombreuses similarités dans le harcèlement judiciaire et médiatique engagé contre les mouvements progressistes en France, en Thaïlande et dans le monde.

Clivages dépassés, phase dégagiste, aspiration au progrès social et humain

En tête parmi les forces d’opposition devant les chemises rouges du Pheu Thai, c’est au MFP de Pita Limjaroenrat qu’incombe la tâche de former une coalition. Au-delà de la lutte du peuple thaïlandais pour le respect des libertés civiques, cette première place s’explique également par une recomposition du paysage politique. Depuis 20 ans, l’alternance politique a consisté en l’opposition entre le Pheu Thai, parti « populiste » de l’ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra, et l’axe militaro-monarchiste, qui n’a pas hésité à réaliser deux coups d’état pour parvenir à ses fins. Pour Piyabutr Saengkanokkul, le Pheu Thai « représente aussi l’ordre ancien ».

Composante essentielle des manifestations de 2020-2021, la jeunesse s’est fortement mobilisée dans cette élection. Beaucoup de ces manifestants étaient trop jeunes pour voter en 2019. En plus des mots d’ordre de 2020-2021 contre le gouvernement de la junte, la jeunesse s’est emparée de la plateforme programmatique MFP, et a, des mots même de Piyabutr Saengkanokkul, amené le MFP « à s’adapter et à être sur des positions plus radicales que ne l’était son prédécesseur », le Forward Party, sur de nombreux sujets. Inclus pêle-mêle : la fin de la conscription obligatoire, le droit au congé maternité, la lutte contre la pollution agricole, une décentralisation au profit des régions plus pauvres, etc.

La volonté de changement recouvre également le partage des richesses et l’assurance de conditions matérielles d’existence garantissant une vie digne à chacun. La plateforme du MFP vise à mettre en place une sécurité sociale, à étendre les droits des travailleurs, à casser les monopoles de l’armée dans certaines filières de l’industrie et à augmenter le salaire minimum alors que l’inflation, notamment alimentaire, touche fortement les classes populaires et moyennes.

Les « tontons » contre le peuple ? La Thaïlande à la croisée des chemins

Pita Limjaroenrat se prépare à devenir Premier ministre dans le cadre d’une coalition incluant le Pheu Thai et d’autres forces d’opposition. Seulement, la constitution actuelle, façonnée par le triumvirat de la junte en 2016, surnommés « les tontons » pourrait l’en empêcher, au mépris de la volonté majoritairement exprimée par le peuple thaïlandais.

Depuis la révision constitutionnelle, l’élection du Premier ministre se fait par le parlement réuni en congrès. Il est composé de l’Assemblée nationale (chambre basse, 500 sièges) et d’une chambre haute (Sénat, 250 sièges). Or, l’ultra-majorité des membres du Sénat a été nommée par la junte militaire au pouvoir, et ne devrait être renouvelée qu’en 2024. Ce même Sénat, en 2019, avait voté pour un candidat pro-junte et conservateur. 376 votes sont nécessaires au parlement (réuni en congrès) pour le choix du Premier ministre. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la coalition menée par Pita Limjaroenrat en comporte 309, et a appelé les sénateurs à lui permettre de respecter le choix collectivement exprimé par le peuple thaïlandais, sans garantie que ce soit le cas.

Malgré son succès, Pita n’est pas à l’abri d’une disqualification : en fin de campagne, il a été accusé d’avoir détenu en 2007 des actions dans une société audiovisuelle, sans les avoir déclarées. Les militaires pourraient invalider son élection sur ce motif. Quant à l’actuel Premier ministre issu de la junte, Prayut Chan-o-cha, il a annoncé qu’il respecterait les résultats mais a habilement évité de reconnaître sa défaite, quand bien même ce dernier est arrivé cinquième de l’élection.

La vigilance s’impose donc – les résultats des élections législatives n’étant certifiés officiellement qu’au bout de deux mois. La Thaïlande est ici à la croisée des chemins : le non-respect de ces résultats et des aspirations populaires par les militaires ne déboucherait sur rien de bon. Car en démocratie, la souveraineté appartient d’abord et avant tout au peuple.

Edouard Richard

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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