Par son ampleur, sa durée et ses modalités, la mobilisation ayant abouti à la capitulation du gouvernement a été sans précédent dans l’histoire de l’Inde contemporaine. Elle a de surcroît fait plier un gouvernement connu pour l’autoritarisme de ses prises de décision et la brutalité de sa répression policière.
Depuis plus d’un an, les paysannes et paysans indiens avaient ainsi rivalisé d’imagination et mis en œuvre une mobilisation protéiforme et pacifique. Les actions allaient de sit-ins et de la formation d’un village résistant en périphérie de la capitale New Delhi, au blocage des axes routier et à l’organisation de plusieurs grèves générales. Si les manifestations ont été plus soutenues dans le nord du pays, grenier de l’Inde, elles ont pour autant quadrillé l’ensemble du territoire. Bien qu’initialement pacifiques, la plupart a été réprimée avec force par la police : près de 700 paysannes et paysans y ont perdu la vie. Parallèlement, les ministres et membres du BJP avaient multiplié les déclarations délégitimant et criminalisant le mouvement paysan, tandis que la couverture du mouvement par la presse proche du pouvoir était orientée en ce sens et visait à faire passer les grévistes pour des ennemis de la nation.
Dans ce contexte, la volte-face du Premier ministre peut être vue comme une surprenante bonne nouvelle, et la reconnaissance des erreurs du gouvernement. Il n’en est rien. D’ailleurs, N. Modi n’a pas eu un mot pour les victimes. Cette décision répond donc en réalité à des enjeux politiques partisans sonnants et trébuchants. Elle doit être comprise à l’aune des élections régionales à venir début 2022, en Uttar Pradesh. Conserver cet Etat, le plus peuplé d’Inde avec plus de 450 000 habitant.es, est un enjeu-clé pour le gouvernement car il constitue la vitrine de l’hindouisme politique en étant gouverné par un moine hindouiste radical. Simultanément, il était aussi l’un des territoires les plus mobilisés dans la contestation. Retirer ces trois lois iniques de « réforme » du secteur agricole n’a donc pas pour but de préserver le statut du paysan indien, mais bien de préserver un électorat qui va prochainement être sollicité.
De fait, aucune contre-proposition n’a été formulée alors qu’une réforme du secteur est absolument nécessaire. En effet, chaque jour, ce sont près de 28 personnes liées au secteur agricole qui se suicident. En cause ? L’endettement structurel dans lequel les plonge la dépendance aux OGM et aux produits phytosanitaires qu’a induit l’introduction des variétés à haut rendement lors de la bien mal nommée « Révolution verte » des années 1960. Loin d’éradiquer la malnutrition, elle a induit la dépendance économique des petits paysans vis-à-vis des semences et engrais chimiques vendus par les grands groupes. Pris dans le piège de la dette, des familles entières se suppriment ne sachant plus comment y faire face. Si réforme il y a, c’est en faveur de l’émancipation des petits paysans qu’elle devrait s’orienter.