Il y a quatre ans, déjà, à l’université de Ouagadougou, Emmanuel Macron avait promis à un public trié sur le volet – les représentants des syndicats étudiants avaient par exemple été empêchés d’accéder à leur université et à la conférence par les forces de l’ordre – une « rupture » dans les relations entre la France et l’Afrique. La rupture avait surtout concerné les codes. Et elle n’était pas très heureuse. Le Président de la République s’était notamment permis un humour douteux envers son homologue burkinabé renvoyé à la fonction de réparateur de la climatisation. Pour le reste, les principaux intéressés n’ont pas vu de changement depuis 2017.
A l’occasion de ce sommet Afrique-France, le disrupteur en chef a encore bouleversé les codes. Il adore ça, tout changer pour que rien ne change. Pour la première fois depuis le début des sommets Afrique-France en 1973, la rencontre excluait les chefs d’États du continent au profit des « société civiles ». On allait voir ce qu’on allait voir, et entendre.
La catégorie de « société civile » pouvant englober aussi bien des profils dont on devine qu’ils assureront sans état d’âme la relève des oligarchies locales que des militants citoyens épris d’un avenir meilleur pour leur pays, l’exercice pouvait laisser la place à quelques critiques. D’autant qu’Emmanuel Macron avait passé pour commande à l’historien renommé Achille Mbembe, principale cheville ouvrière de ce sommet, qu’on le sorte de sa « zone de confort ». On s’en est approché. Et de ce point de vue, même si les illusions se sont dissipées depuis longtemps, le sommet aura au moins fourni des références pour prendre Macron au mot.
Sort des migrants dont la Méditerranée est trop souvent le tombeau, politique draconienne en matière de visas, présence militaire de la France, soutien aux régimes autoritaires, poids du racisme dans le débat public en France, beaucoup de vraies questions ont été évoquées par les intervenants. Le point d’orgue a été le « coup de gueule », sous des tonnerres d’applaudissements, de l’entrepreneuse burkinabè Ragnimwendé Eldaa Koama, qui a fait le tour des réseaux sociaux.
Et on touche là la principale limite de l’exercice, à savoir le degré d’abstraction avec lequel les problèmes, mais aussi et surtout les responsabilités, ont été évoqués. Là semble avoir été placée la ligne rouge, que l’on retrouve d’ailleurs dans l’article, comme toujours brillant mais très abstrait, via lequel Achille Mbembe a souhaité répondre à la communauté des africanistes largement hostile à sa participation active à ce que nombre d’entre eux ont dépeint comme une « mascarade ».
A qui profite précisément, en France et en Afrique, ce qui reste de « la Françafrique » ? On ne le saura pas davantage à l’issue de ce sommet.
Il aura en définitive suffi au disrupteur en chef, qu’on sait roué à la tactique de la fabrication d’une vraie-fausse opposition qui ne lui échappe pas, ou pas trop, d’opérer quelques contorsions, de délivrer quelques arguties et une bonne dose de généralités pour se sortir de ces échanges sans trop risquer d’être contredit. Comment contredire quelqu’un qui ne dit rien de concret ? Certes cela n’aura pas suffi à convaincre les sceptiques. Mais l’essentiel pour lui n’était-il pas, avant tout, de monter un show avec pour premier objectif de faire oublier qu’après 4 ans et demi au pouvoir il a déjà un bilan ? Peu importe qu’on n’ait pas après ce sommet la moindre idée des tournants qu’Emmanuel Macron entend opérer sur des questions essentielles. Et pour cause…
Que proposera-t-il lors du sommet Afrique – Europe annoncée pour le premier semestre 2022, en pleine présidence française de l’Union Européenne ? Une annulation réelle des dettes ou la poursuite de la politique de conversion des dettes en prêts dont l’Agence Française de Développement a fait sa spécialité ? Une révision des accords de pêches communautaires entre l’UE et plusieurs pays africains, ou la continuation d’une politique qui ruine les pêcheurs africains, et prive le continent chaque année de l’équivalent de 33 millions de portions quotidiennes de nourriture ? Que l’UE soutienne réellement, y compris dans l’intérêt des populations européennes, et comme le demande l’OMS, les pays africains pour l’accès aux vaccins contre le Covid19 dont les variants touchent particulièrement les populations africaines ? Ou qu’elle continue sa politique de charité réduite à la portion congrue ? etc. Bref, on connaît déjà les réponses facilement déductibles de ce que Macron a fait jusqu’à présent.
On aura néanmoins appris que, par exemple, le Président aimerait remplacer « aide au développement » par « investissement solidaire ». Il est vrai que c’est plus joli. Mais jusqu’à preuve du contraire cela ne suffira pas à changer quoi que ce soit aux accords commerciaux inégaux qui détruisent les économies endogènes, ni au pillage organisé au niveau international des ressources de l’Afrique, ni aux pratiques accablantes de l’Agence Française de Développement, fer de lance de cet « investissement solidaire »…
Tout comme saluer avec lyrisme la « part d’africanité de la France », « la chance d’avoir une diaspora » dont les membres sont « totalement français », ou encore le rôle des jeunesses dans l’avenir des relations entre la France et l’Afrique n’effacera ni la politique migratoire de Macron, ni sa loi séparatisme, ni l’explosion sous son mandat des frais d’inscription universitaire pour les étudiants étrangers.
Enfin, mettre à l’écart de la rencontre les chefs d’État, à rebours des usages diplomatiques, n’aura pas fait oublier le soutien zélé à certains des pires régimes autoritaires du continent, comme l’a par exemple montré l’adoubement immédiat, opéré par Emmanuel Macron en personne, du fils d’Idriss Déby. Cette posture paternaliste – imaginerait-on Emmanuel Macron organiser un sommet intitulé USA – France dont serait exclu le Président des États-Unis ? – n’aura pas non plus été sans créer des incompréhensions au sein même des sociétés civiles dans les pays concernés. Certains intervenants au sommet ont ainsi réalisé qu’aucune concertation avec les autorités des pays dont des ressortissants étaient représentés n’avait été menée en amont par les organisateurs. Alors que dans le même temps la France était, elle, représentée par son chef d’État, cela a été perçu comme un manque de respect aux États africains.
Bref, sans prétendre rivaliser avec le sommet Afrique-France en matière de disruption purement discursive – ou de replâtrage d’un jour diront les plus sévères -, on se contentera un rappel vulgairement prosaïque : la refondation des relations entre la France et l’Afrique, au service des peuples, suppose de rompre avec une vision néolibérale et militariste répondant aux seuls intérêts des oligarchies locales et françaises, et d’en finir avec le paternalisme plutôt que d’en renouveler les formes.