Au sujet de l’Algérie, il eut été intéressant de demander à Emmanuel Macron s’il pense réellement que « la coopération mémorielle » entre les deux pays (puisque c’est son but affiché) passe par faire l’unanimité contre lui en Algérie. Mettre d’accord le Hirak et le régime algérien n’est, quoi qu’il en soit, pas un mince exploit.
Il a aussi parlé du Mali et de l’Afghanistan. Si on met de côté les formules convenues et sans lendemain sur le sort terrible des femmes afghanes (qui n’intéresse les journalistes vedettes que depuis que les talibans sont au pouvoir), il eut été intéressant de questionner la stratégie de la France au Mali. Rien à voir entre les deux situations nous dit le gouvernement depuis plusieurs semaines. Puisque dans un cas l’entrée en guerre s’est faite contre le régime taliban en 2001, dans l’autre cas à la demande du régime malien en 2013.
Certes, mais passée cette différence formelle, que de points communs ! L’entrée en guerre a été décidée dans les deux cas sur la base d’objectifs flous, donc sans plan de désengagement une fois ceux-ci supposés atteints. Les « guerres au terrorisme » sont des guerres sans fin. Après un accueil initialement positif de la part des peuples, les puissances interventionnistes sont dans les deux cas devenues au fil des années des puissances occupantes aux yeux de la majorité. Dans les deux cas aucune solution politique n’a été trouvée, voire même cherchée. Enfin, au Mali comme en Afghanistan la France a été rendue largement dépendante de décisions étasuniennes.
A ce sujet, en pleine crise diplomatique, nous a-t-on dit, avec l’empire, les relations avec les États-Unis n’ont pas été évoquées… L’interview du Président était le moment idoine pour qu’il explique sa vision, ses intentions, son plan. Le président a forcément un plan…
Rien. Pas une question. Les possibilités ne manquaient pourtant pas. La Chine est-elle une menace telle qu’il serait dans l’intérêt de la France de se mettre à la remorque du pivot étasuniens dans la zone indopacifique ? Beaucoup de diplomates et de militaires eux-mêmes en doutent. Vue la manière dont les États-Unis ont traité la France dans l’affaire des contrats de sous-marins destinés à la marine australienne, sont-ils nos alliés ? Si oui quel sens donner à ce terme ? Le rappel de deux ambassadeurs est-il une mesure à la hauteur de l’humiliation subie et des enjeux ? Quelles conclusions en tirer sur notre présence dans l’OTAN ? etc.
Il s’agit là de choix géopolitiques matriciels, structurants, qui engagent l’avenir de notre pays. Mais Léa Salamé et Emmanuel Macron n’en ont pas parlé. Peut-être le communiqué conjoint publié après l’entretien téléphonique du président avec Joe Biden, le 22 septembre, est-il considéré comme une réponse suffisante. Macron aurait depuis « exigé » auprès du Secrétaire d’État US Antony Blinken, de passage à Paris, des décisions et des actes d’ici sa rencontre avec Joe Biden lors du sommet du G20 fin octobre. Des actes devant concrétiser les grands principes résumés dans ce fameux communiqué faisant office de feuille de route, publié après la conversation entre Joe Biden et Emmanuel Macron.
Les États-Unis y redisent, sans rire « que l’engagement de la France et de l’Union européenne dans la région Indo-Pacifique revêt une importance stratégique, notamment dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne pour la coopération dans la région Indo-Pacifique récemment publiée ». Ils reconnaissent « l’importance d’une défense européenne plus forte et plus capable, qui contribue positivement à la sécurité globale et transatlantique et est complémentaire à l’OTAN » (si elle avait abordé le sujet ne doutons pas du fait que Léa Salamé aurait noté que l’expression « autonomie stratégique » ne figure pas dans le communiqué. Est-ce à la demande des USA ou Macron a-t-il capitulé par anticipation ?). Ils s’engagent à « renforcer leur appui aux opérations antiterroristes conduites par les États européens dans la région du Sahel, dans le cadre de leur lutte commune contre le terrorisme ».
Bref, la ligne d’Emmanuel Macron est de demander aux USA : de bien vouloir faire une place à la France et à l’UE dans la stratégie d’endiguement de la Chine ; d’appuyer une défense européenne que personne ne conçoit autrement que comme une « complément de l’OTAN », et qui ne serait en aucun cas le socle d’une « autonomie stratégique » (si tant est que cette notion puisse avoir un sens dans le cas de l’Union européenne) ; de renforcer leur soutien à une guerre au Sahel dont la France aurait au contraire tout intérêt à s’extirper.
Selon une source diplomatique, ces « exigences » feraient partie d’« une mise en garde adressée à ceux qui, aux États-Unis comme en Europe, suggèrent à Paris de tourner la page ». Joe Biden doit rire et se dire qu’il peut continuer à humilier la France, puisque son principal dirigeant en redemande.
Porteur d’une doctrine et d’une vision différente du rôle de la France dans le monde, et de l’évolution de celui-ci, Jean-Luc Mélenchon a proposé à Emmanuel Macron de débattre sur la politique étrangère de la France. Un débat qui mettrait ces questions cruciales au cœur de la campagne, à quelques mois du premier tour.
Mais cela non plus Léa Salamé n’en aura pas parlé au Président de la République. Vous avez dit radio de service public ?