Bernie Sanders appelle à « ne pas croire le « bla-bla » actuel sur les relations avec la Chine… Pas plus qu’il ne fallait alors croire celui dominant il y a 20 ans. Au tournant des années 2000 le consensus à Washington, donc chez les affidés des États-Unis, était le néolibéralisme dans sa version libre-échangiste. La priorité était de développer le commerce avec la Chine. Cela devait profiter aux entreprises étasuniennes. Et, selon la légende libérale d’un lien entre capitalisme et démocratie, cela amènerait en Chine une libéralisation politique. C’est dans ce contexte que l’entrée de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce a été validée en 2001.
On connaît la suite. C’est l’inverse qui s’est passé. L’ouverture commerciale, coordonnée de manière stratégique et efficace par un Etat chinois qui a réinventé une forme hybride de capitalisme, a d’abord profité à l’économie chinoise. Ce qui n’empêche évidemment pas qu’au passage certaines franges des oligarchies économiques occidentales ont amassé des fortunes en augmentant leurs profits : d’une part en faisant produire en Chine à mondre coût ; d’autre part en obtenant, sur fond de chantage à la « compétitivité », toujours plus de baisse d’impôts et autres « charges » pour les entreprises multinationales. Les travailleurs de l’industrie américains (et européens) ont été les grands perdants de cette politique économique. Quant au régime chinois, il ne s’est pas démocratisé. Il s’est au contraire durci.
Si Sanders était contre ce consensus à l’époque, il est tout aussi opposé au nouveau consensus qui se dessine depuis les années Obama puis Trump. L’heure est à pointer la Chine comme une « menace systémique », pour reprendre les termes de l’OTAN. L’oligarchie étasunienne « bat les tambours d’une nouvelle Guerre Froide », qui inclut les domaines militaire et commercial. Ce nouveau consensus étasunien a été le fil directeur des Sommets des G7 et de l’OTAN il y a quelques jours. Tout en faisant mine de nuancer, les européens ont adopté cette ligne, mise en œuvre en amont même de ces sommets.
Bernie Sanders s’y oppose, en dressant le constat suivant, que nous partageons. Il ne faut aucunement être naïf vis-vis-vis de la Chine qui, à l’instar de toute puissance de ce rang a des ambitions globales et s’inscrit clairement dans l’agenda du néolibéralisme international. Encore faut-il au passage, définir ce qu’on entend par « ambition globale » : car il faut noter ici qu’à l’heure actuelle la Chine n’a qu’une base militaire à l’étranger, à Djibouti, quand les États-Unis en disposent d’environ 700 réparties sur tout le globe. Son budget militaire est d’environ 200 milliards de dollars, quand celui des USA est de près de 700 milliards… Si elle est un rival des États-Unis, elle n’est donc pas une « menace systémique » pour la paix.
La confrontation avec la Chine ne fera selon Bernie Sanders que renforcer, aux États-Unis comme en Chine, les tendances autoritaires et nationalistes. Et elle occultera la nécessité de combattre ensemble les vraies menaces globales que sont le changement climatique, la pandémie, ou une guerre nucléaire. Bernie Sanders, roué à l’usage fait de la politique étrangère en politique intérieur, plaide enfin pour que la réponse aux divisions profondes que connaissent les États-Unis ne soit pas la recherche d’un ennemi extérieur et intérieur. Il note l’augmentation des agressions contre les personnes d’origine asiatique aux États-Unis.
Là encore ces constats s’appliquent à la France et à l’Europe. Les oligarchies médiatiques et politiques y tendent à présenter la relation avec la Chine (et comme avec à peu près tout les pays ne s’alignant pas sur les occidentaux) comme un conflit de « valeurs », un « choc de civilisations ». Là où il n’y a que compétition commerciale et géopolitique. Et, comme aux États-Unis, la recherche d’un ennemi extérieur et intérieur y sert à détourner l’attention des peuples de la hausse des inégalités, des injustices sociales, de l’autoritarisme.
L’esprit de guerre froide est contraire aux intérêts des peuples, aux États-Unis, comme en France, comme en Chine. Nous devons refuser de réduire la relation avec la Chine à la logique de la confrontation qu’impose, à son seul profit, l’oligarchie politique, économique et militaire étasunienne. Notre intérêt est à construire des coopérations exigeantes pour faire face aux défis communs de l’humanité, sans renoncer à nos principes, mais sans arrière-pensée belliqueuse et dominatrice.