Ce n’était pas la victoire qu’espérait Jean-Luc Mélenchon, mais à l’apparition des premières projections à 20 heures dimanche soir, ses partisans avaient de bonnes raisons de se réjouir. Emmanuel Macron, réélu président en avril, a perdu le contrôle du parlement. Il est à 40 élus d’une majorité, en obtenant seulement 246 sièges des 577 disponibles à l’Assemblée nationale. Lors de la soirée électorale de la Nupes, Mélenchon a qualifié cet état de fait comme une « déroute totale » pour le parti présidentiel. Elle ouvre la voie à de nouvelles remises en cause de l’autorité présidentielle au cours de son second mandat.
Mélenchon était entré dans ces élections en tant que chef de la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale (NUPES), une nouvelle coalition unissant La France insoumise aux socialistes, écologistes, communistes et autres. Dimanche soir, cette union est devenue la principale force d’opposition, avec 141 sièges. La France insoumise en a remporté 72, soit un gain de 55, et autant que ce qu’avait obtenu l’ensemble des partis de gauche lors de la dernière élection en 2017. Parmi ses grands gagnants figure Rachel Keke, une gouvernante qui a mené une grève de 22 mois effectuée par des femmes de ménage sous-payées. Elle siègera désormais en tant que députée.
Cependant, l’enthousiasme dû aux gains de la NUPES et aux déboires de Macron comprend un goût doux-amer. La première raison c’est la montée du Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite de Marine Le Pen, qui a remporté quelques 89 sièges sur les 577 membres de l’Assemblée nationale – de loin le plus qu’il n’ait jamais obtenu, mais aussi bien au-dessus des prévisions sondagières. Autre point noir, le faible taux de participation de 46 %. Un chiffre en légère hausse par rapport au deuxième tour de 2017, mais qui a encore contré les ambitions de la NUPES de mobiliser les abstentionnistes habituels.
Ce résultat est cependant bien meilleur que ce à quoi on aurait pu s’attendre il y a encore quelques mois. Ces dernières années, la vie publique française a été marquée par un tournant soudain et généralisé vers la droite. Les éléments de langage propres au discours identitaire extrême sont devenus chose courante, des ministres du gouvernement, supposément de « gauche », ont eu tendance à diaboliser une opposition « islamo-gauchiste » et la police a appliqué de façon croissante une politique de maintien de l’ordre autoritaire pour faire face aux mobilisations contre des réformes impopulaires. Dans ce climat, le succès de La France insoumise a été de construire un bloc d’opposition large et politiquement radical, en imposant son leadership et son programme éco-socialiste transformateur à la large coalition de la NUPES.
Avec un Macron dépourvu de sa majorité, la gauche a une opportunité historique de freiner ses atteintes à l’État-providence – et d’utiliser à la place son second mandat pour valoriser un programme alternatif mis sur le devant de la scène.
Pas de majorité
Depuis une inversion du calendrier en 2002, les élections législatives ont lieu cinq à sept semaines après l’élection présidentielle, donnant à chaque fois au vainqueur une majorité pour exécuter son programme. En avril dernier, Macron est devenu le premier président en deux décennies à obtenir sa réélection, et il s’attendait sûrement à ce que ces élections législatives produisent un résultat similaire. Pourtant, même sa victoire il y a deux mois a montré des signes de sa faiblesse : il avait rallié moins de 28 % de soutiens au premier tour, et sa victoire au deuxième tour était plus due au rejet de Le Pen qu’à une véritable marque de soutien à son bilan. Les résultats de dimanche soir n’ont fait que le confirmer.
Lors de sa première élection en 2017, Macron a défendu vouloir unir « la gauche et la droite » et plusieurs ex-dirigeants des socialistes néolibéralisés se sont ralliés à lui. Et pourtant, après un premier mandat au cours duquel il a fortement viré à droite, ces forces pro-Macron de gauche molle ne sont plus un facteur déterminant de l’équation électorale. Pire encore, Mélenchon a répété dimanche soir que le macronisme ne pourrait espérer un quelconque soutien de la NUPES : « il n’y a aucun clivage à dépasser avec nous parce que nous ne sommes pas du même monde, nous ne visons pas les mêmes objectifs, nous n’avons pas les mêmes valeurs, nous ne croyons pas au même futur. »
Dans ce contexte, le président pourrait tenter de s’appuyer sur Les Républicains (LR), le parti conservateur dans les rangs duquel il a puisé plusieurs lieutenants clés comme le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le premier ministre 2017-2020 Édouard Philippe. Pourtant, le chef des LR, Christian Jacob, a annoncé dimanche soir que ses 64 députés resteraient dans l’opposition. Ce parti historique de centre-droit fait face à une concurrence sévère du RN de Le Pen et semble peu enclin à lier trop étroitement son destin à un président au second mandat déjà boiteux et qui ne pourra pas se représenter en 2027.
Les réformes prévues telles que le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans seront désormais beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre pour Macron, même en appréciant le fait que son propre groupe de députés soit relativement homogène et docile et que LR ait un programme de politique économique globalement similaire. Cette vulnérabilité, alliée à des pressions extérieures plus larges telles que l’inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine, facilitera sûrement aussi les mobilisations syndicales. Ces mouvements sociaux similaires raviveront le souvenir des mois qui avaient précédé la pandémie et arrêteront net l’élan du président.
Front républicain ?
Les deux tours de ces élections ont vu une série de macronistes mal-aimés par la gauche perdre leurs sièges. C’est le cas notamment de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation et critique de premier plan de l’« islamo-gauchisme », et de l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, que Mélenchon a qualifié dimanche soir d’« éborgneur » en référence aux nombreux yeux perdus par des gilets jaunes aux mains de sa police. Les partisans de Mélenchon se sont également réjouis de la défaite de la ministre de la transition écologique Amélie de Montchalin. Ces derniers jours, elle apparaissait souvent sur les écrans de télévision afin d’appeler à un « front républicain » contre « l’extrême gauche ».
Ce terme a toujours été utilisé pour désigner l’unité du courant dominant contre l’extrême droite, mais un tel cordon sanitaire semble maintenant avoir été brisé, les forces libérales et gaullistes étant désormais tout aussi hostiles à la gauche. Ipsos a estimé que lors du second tour qui a opposé la Nupes au RN de Le Pen, 72 % des électeurs macronistes se sont abstenus, 16 % ont soutenu la gauche et 12 l’extrême droite ; dans cette même configuration, les partisans des Républicains se sont partagés 30 à 12 en faveur du RN, avec 58 % d’abstentions.
Pendant des décennies, la France bourgeoise a majoritairement rejeté le parti de Le Pen et de son père. Mais avec l’élément « social » et anti-UE de son programme considérablement édulcoré ces dernières années, l’extrême droite est devenue plus acceptable pour un plus large éventail d’électeurs de droite à la recherche d’une alternative aux Républicains en déclin. Après avoir atteint 206 second tours, le RN est sorti victorieux dans près de la moitié d’entre eux ; et dans la région riche et catholique Provence-Alpes-Côte-d’Azur, dans le sud-est de la France, il a remporté la moitié de l’ensemble des sièges en jeu.
Lors des élections présidentielles d’avril, Mélenchon avait exigé de ses partisans qu’il n’y ait « pas un seul vote pour Le Pen » au second tour. Cette ligne a été très vite dénoncée par les partisans de Macron il y a deux mois, qui réclamaient un soutien sans équivoque au président. Lors de ces élections, il a été repris par la plupart des candidats de La France insoumise mais aussi par de nombreux candidats macronistes. A six exceptions près, tous les candidats macronistes battus au premier tour ont refusé de soutenir la Nupes contre le RN au second tour.
Avenir de la gauche
Après la soirée électorale, Mélenchon est descendu dans la rue pour parler aux centaines de personnes, pour la plupart des jeunes, qui s’étaient rassemblées à l’extérieur. Dans un discours émouvant, il a évoqué le fait de se mettre plus en retrait dans son rôle au sein du mouvement. Il ne deviendra pas, comme espéré, Premier ministre, et il ne s’est pas non plus présenté pour être député. À l’approche de l’élection présidentielle d’avril, il avait suggéré que ce serait sa dernière campagne de ce type, mais après le résultat, plusieurs alliés clés ont laissé entendre qu’une autre course en 2027 était toujours sur les cartons.
Alors, quel avenir pour la gauche ? La Nupes a été construite sur le score de 22 % de Mélenchon à l’élection présidentielle, les candidats écologistes, socialistes et communistes se présentant également sur l’essentiel de son programme et dans le but explicite de le nommer Premier ministre. Pourtant, les verts et les socialistes ont également remporté suffisamment de députés pour avoir leurs propres groupes parlementaires officiels, et les communistes pourraient être en mesure d’en créer un avec des forces plus petites ; ce sont des partis qui ont un long passé conflictuel, en particulier dans les collectivités locales, où La France insoumise ne peut prétendre à une hégémonie similaire.
Il y a pourtant de bonnes raisons de s’unir. Le vote au premier tour du Nupes était en fait légèrement inférieur à celui obtenu par les partis de centre-gauche et de gauche en 2017 lorsqu’ils étaient divisés, mais le pacte leur a permis de faire beaucoup plus de qualifications aux seconds tours de scrutin, élisant plus de députés. Des personnalités de La France insoumise telles que Manon Aubry ont longtemps insisté sur le fait que la question décisive était le programme politique plutôt que d’additionner les noms des partis pour le pur plaisir. Dans le nouveau parlement, la tâche sera de maintenir les partis de la Nupes dans une sorte de front commun, en tant que principale opposition à Macron.
Pourtant, il y a aussi d’autres problèmes à résoudre pour La France insoumise. Le parti a considérablement développé son programme. Il a construit un « Parlement de l’Union Populaire » composé d’activistes et d’experts afin de pleinement valoriser un programme politique dense. Mais il reste une structure très lourde dépourvue de racines territoriales solides, imitant le fonctionnement d’un système politique qu’il cherche à remplacer. Le calendrier électoral français est centré sur la présidence, et le vote pour la Nupes lors de ces élections (5,8 millions de voix au premier tour, 6,5 millions au second) était nettement inférieur aux 7 millions de Mélenchon en avril. Avec l’abstention de la grande majorité des électeurs jeunes et pauvres, une gauche qui promeut un programme de transformation sociale doit clairement trouver d’autres moyens de les mobiliser.
Et il y a de bonnes raisons de s’attendre à une volatilité accrue et à une polarisation politique croissante. Dimanche soir, la possibilité que Macron et ses alliés décident de dissoudre le parlement dans un an a été évoqué. Le but étant d’obtenir une majorité par le biais d’une nouvelle élection. Une mission complexe puisque qu’il sera difficile de combattre une gauche aussi forte, et une extrême droite aussi élevée. Il faut garder en tête qu’une désillusion massive à l’égard du gouvernement en place et du processus politique en lui-même a marqué ces dernières années. Pour la gauche, la tâche désormais de transformer un tel mécontentement en une organisation durable.