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Vandana Shiva : « Bill Gates veut jouer au maître de l’univers »

Vandana Shiva est une militante écoféministe indienne. Lauréate du Nobel alternatif en 1993, elle est actuellement à la tête de la Fondation de la recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles. Engagée notamment contre le OGM, elle s'est à plusieurs fois exprimée à propos des conditions de vie des agriculteurs indiens. En ce sens, ses propos sont particulièrement importants à l'heure où le pays traverse un mouvement social notamment contre la dérégulation du secteur agricole. Cet entretien est particulièrement intéressant pour comprendre le concept de philanthrocapitalisme qui rend possible l'accaparement des ressources par une minorité.

Cet entretien a été réalisé par Barnabé Binctin et Guillaume Vénétitay pour Basta !. Il a été mis en ligne le 22 mai 2020

Basta ! : Comment analysez-vous la crise du Covid-19 ? Peut-on parler de crise écologique ?

Vandana Shiva : Nous ne sommes pas face à une seule crise. Il y en a trois qui interviennent simultanément : celle du Covid-19, celle des moyens de subsistance et, par ricochet, celle de la faim. Elles sont les conséquences d’un modèle économique néolibéral, basé sur le profit, l’avidité et une mondialisation menée par des multinationales. Il y a un fondement écologique à cette situation : par exemple, la destruction des forêts et de leurs écosystèmes favorise l’émergence de nouvelles maladies. Ces trois crises amènent à la création d’une nouvelle classe. Ceux que j’appelle “les laissés pour compte”, exploités par le néolibéralisme et l’émergence de dictatures numériques. Il faut une prise de conscience : l’économie dominée par les 1% n’est pas au service du peuple et de la nature.

La crise du coronavirus peut-elle justement renforcer le pouvoir de ces « 1% » et des « philanthrocapitalistes » comme Bill Gates, figure centrale de votre livre ?

Cette crise confirme ma thèse. Bill Gates met en place son agenda pour la santé, l’agriculture, l’éducation et même la surveillance. Pendant 25 ans de néolibéralisme, l’État s’était mué en État-entreprise. On observe désormais une transformation en un État de surveillance soutenu par le philanthrocapitalisme. Ces 1% considèrent les 99% comme inutiles : leur futur, c’est une agriculture numérique sans paysans, des usines totalement automatisées sans travailleurs. En ces temps de crise du coronavirus, il faut nous opposer et imaginer de nouvelles économies et démocraties basées sur la protection de la terre et de l’humanité.

Vous assimilez ce contrôle à une nouvelle forme de colonisation, et qualifiez même Bill Gates de « Christophe Colomb des temps modernes » : pourquoi cette comparaison ?

Parce que Bill Gates ne fait que conquérir de nouveaux territoires. Ce n’est pas simplement de la philanthropie, au sens d’un don à la collectivité, comme cela a toujours existé dans l’Histoire. En réalité, ce sont des investissements qui lui permettent de créer des marchés dans lesquels il acquiert des positions dominantes. Dans le capitalisme, il y a des interlocuteurs qui font du profit. Mais avec la philanthropie, Bill Gates donne quelques millions mais finit par prendre le contrôle d’institutions ou de secteurs qui valent plusieurs milliards ! On le voit bien dans la santé ou l’éducation, qu’il contribue à privatiser et à transformer en véritables entreprises.

C’est aussi le cas dans l’agriculture, où Bill Gates utilise les technologies digitales comme nouveau moyen pour faire entrer les brevets. La première génération d’OGM, censée contrôler les nuisibles et les mauvaises herbes, n’a pas tenu ses promesses, mais Bill Gates continue de mettre de l’argent pour financer l’édition du génome – comme si la vie n’était qu’un copier-coller, comme sur Word. Il pousse à cette technique et a créé une entreprise spécialement pour ça, Editas. Bill Gates veut jouer au maître de l’univers, en imposant une seule et unique façon de faire : une seule agriculture, une seule science, une seule monoculture, un seul monopole. C’est d’ailleurs également ce qu’il essaye de faire en s’attaquant au problème du changement climatique.

Vous pouvez retrouver l’entretien en intégralité sur Basta !

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