Pendant qu’en France 210 000 personnes défilaient (dont 50 000 à Paris) et qu’Europe Écologie – Les Verts obtenait dans la nuit un accord avec La France insoumise pour les législatives de juin, des millions de personnes se mobilisaient partout dans le monde, réclamant de meilleures conditions de travail, plus de pouvoir d’achat, voire exprimant des revendications d’ordre démocratique.
Répressions en Europe
Les rassemblements pacifiques de plusieurs dizaines de milliers de personnes ont caractérisé le 1er mai chez nos voisins espagnols, italiens et belges. Des incidents entre manifestants et forces de l’ordre ont de leur côté eu lieu à la marge en Allemagne. La maire de Berlin, Franziska Giffey, a par ailleurs été la cible d’un lancer d’œufs lors de sa prise de parole porte de Brandebourg. Elle est accusée, avec son parti (SPD, Parti social-démocrate) de ne pas avoir respecté le résultat d’un référendum local qui affirmait à plus de 59 % le soutien des Berlinois à une mesure d’expropriation des logements vacants tenus par des grands groupes immobiliers. Par ailleurs, les manifestants allemands ont profité de l’occasion pour lancer un appel à la paix en Ukraine.
En Russie, une dizaine d’initiatives spontanées ont été recensées ce premier mai pour marquer l’opposition à la guerre menée par le pays chez son voisin du Sud-Ouest. Les personnes à l’origine de ces protestations ont rapidement été arrêtées par les forces de l’ordre. Cette même célérité a été constatée en Turquie où plusieurs centaines de manifestants stambouliotes ont tenté de participer à des rassemblements interdits place Taksim. Ainsi, 162 personnes ont été interpellées par les forces anti-émeutes aux abords du lieu. Des cordons policiers ont empêché la progression des divers cortèges allant vers cette place devenue un symbole de la contestation au pouvoir exercé par le Parti de la justice et du développement (AKP). C’est dans ce lieu, en 2013, que des manifestations massives, menées par des étudiants, avaient tenté de remettre en cause la mainmise de Recep Tayyip Erdoğan sur l’appareil d’État. C’est en partie pour cette mobilisation qu’Osman Kavala, figure de la société civile, a été condamné à la prison à perpétuité la semaine dernière.
Expressions d’un ras-le-bol au Sri Lanka et en Afrique du Sud
Une scène inédite a marqué le traditionnel rassemblement de la Journée internationale des travailleurs et travailleuse en Afrique du Sud. Le président du Congrès national africain (ANC) s’exprime chaque année dans un dispositif apparenté à un meeting en plein air. Cette fois-ci, Cyril Ramaphosa a été contraint de quitter la scène dès le début de l’événement alors que le stade Royal Bafokeng de Rustenburg (Nord-Est du pays) était presque vide. La petite centaine de personnes devant la scène, membres de syndicats de mineurs, ont conspué le président sudafricain, réclamant une hausse de salaire de 5 euros par mois. Ramaphosa est accusé de ne pas avoir soutenu la revendication auprès des entreprises concernées. Plus largement, une agitation sociale gagne le pays où près de 40 % de la population est désormais sans emploi, un chiffre en forte hausse.
Au Sri Lanka, alors que le pays traverse une grave crise économique et sociale, l’opposition a mobilisé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans des défilés pacifiques sur toute l’île. Les manifestants ont réclamé le départ de Gotabaya Rajapaksa, le président, jugé en partie responsable de la situation actuelle. La seule concession qu’il était prêt à faire était d’offrir la tête de son frère, le Premier ministre actuel. Il a également lancé un appel à la création d’un gouvernement d’union nationale. Le principal parti d’opposition a répondu par une fin de non-recevoir à cette possibilité. C’est désormais une crise politique qui vient s’ajouter aux difficultés dans lesquelles cet État de l’océan Indien est englué.
Au Brésil, un premier duel au sommet à moins de six mois de la présidentielle
Le continent américain n’est pas en reste. À Cuba, plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté au cours du traditionnel défilé sur l’avenida Paseo vers la plaza de la Revolución, le premier organisé depuis 2019. Les deux derniers rassemblements avaient été annulés pour des raisons sanitaires. Le cortège était ouvert par des chercheurs ayant contribué au développement de vaccins contre le Covid-19 sur l’île. Au Mexique, ces mêmes scènes de cortèges ont également été visibles pour la première fois en deux ans. Les manifestants présents dans la capitale, Mexico, ont fini leur trajet sur la place principale du Zócalo, au cœur de la ville. Le mot d’ordre porté par les organisations syndicales présentes visait à défendre le droit du travail.
En Amérique du Sud aussi les marches se sont multipliées. Au Chili, c’est Santiago, la capitale, qui a concentré la majorité des manifestants. Ceux-ci se sont mobilisés dans un contexte particulièrement favorable au travailleurs. Le gouvernement a en effet, via la parole de la ministre du travail Jeannette Jara, annoncé l’adoption prochaine de la semaine de 40 heures (contre 45 actuellement) couplé à une augmentation de 12,5 % du salaire minimum. Gabriel Boric s’est également rendu la veille du 1er mai au siège de la Centrale unitaire des travailleurs du Chili (CUT), rappelant de l’importance de la lutte sur le terrain pour l’obtention d’avancées sociales. Un peu plus au nord et à quelques semaines d’une présidentielle historique, avec une coalition de gauche (Pacto Histórico) largement en tête dans les intentions de vote, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se sont rassemblées dans une centaine de communes en Colombie.
Au Brésil aussi, des enjeux électoraux ont donné une saveur particulière à ce premier mai. L’élection présidentielle n’aura lieu qu’à l’automne prochain et aucun des deux favoris à l’élection ne se sont encore déclarés candidats. Pourtant c’est un véritable duel à distance qui a eu lieu par rassemblements interposés entre Jair Bolsonaro, le président sortant d’extrême droite, et Lula, l’ancien président du Parti des travailleurs (PT). Bolsonaro a ainsi tenté de rallier les troupes qui lui sont favorables à Brasilia pour contrer le tour de force de Lula à São Paulo devant le stade Pacaembu. Venu à l’invitation de l’ensemble des syndicats nationaux, largement mis à mal pendant le mandat du président actuel, il a rappelé les avancées sociales qu’avait connu le pays sous sa présidence à la foule massée devant lui. Chez le voisin du sud, ce sont 30 000 personnes qui ont saisi l’opportunité de la journée internationale pour battre le pavé à Buenos Aires afin de s’opposer au Fond monétaire international. L’organisation internationale désire imposer à l’Argentine un calendrier de remboursement de sa dette.