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Tulsa renvoie les suprémacistes blancs aux limbes de l’Histoire

Le premier meeting de retour de confinement de Donald Trump fut totalement râté. Bien fait pour lui. En choisissant Tulsa pour y réunir ses partisans parmi les plus réactionnaires et racistes, Trump insultait la mémoire des Afro-américains massacrés par des Suprémacistes blancs. François Colcanap navigue entre les mots pour faire ressurgir la mémoire des opprimés. L’histoire est un combat.

François Colcanap chronique chaque semaine les événements américains : entre passé, présent et futur.

Vivre entre deux cultures, et le manque d’attention qui l’accompagne, oblige souvent à interroger la polysémie d’un mot. Dans le discours de ceux qui en France se réclament du « nouveau monde », j’ai relevé le terme territoire, dont j’ai cru comprendre qu’il désigne ce que j’appelais les départements. Cela m’amuse de  relever que l’usage du mot territoire , dans les dorures des bureaux parisiens, sert à désigner le “reste” du pays, un peu comme si les « élites » parisiennes étaient encerclées de territoires à conquérir !

Tulsa, ville martyre des Noirs américains

Dans le contexte américain, celui qui m’intéresse ici, territoire évoque la conquête de l’Ouest et l’imaginaire  d’une expansion continue d’un précédent Nouveau Monde, qui commença avec le Traité de Paris du 3 Janvier 1783 où la Grande Bretagne reconnaissait l’indépendance des 13 États qui constituaient les États-Unis. Ce n’est qu’en 1959 que le “Star and Stripes”, nom du drapeau américain, prendra la forme qu’on lui connait aujourd’hui avec le 50ème État, l’Île de Hawaï, rejoignant la Fédération. Pour ceux qui l’ignoreraient, le “Star and Stripes » (étoiles et bandes) se compose de treize bandes horizontales rouges et blanches représentant les treize Etats originaux et cinquante étoiles, une pour chaque État de la Fédération.

J’en viens à Tulsa, située dans l’État de Oklahoma. Ce territoire a une histoire particulière dans l’histoire de la conquête menée par le pouvoir américain dès son indépendance. Il ne faut jamais perdre de vue que ce très ancien continent, dit “Nouveau Monde”, était habité depuis la période précolombienne et avait développé des cultures très sophistiquées.

Dès leur arrivée sur la côte Est, les colons se sont attaqués aux différentes “nations” (ainsi sont désignées les tribus autochtones) qui y vivaient et ont pratiqué des déportations massives vers un territoire qu’ils nommaient alors comme “Territoire Indien”. Ce territoire indien était déjà occupé par des « nations » indiennes auxquelles se sont mélangées les déportées. Ces déportations étaient accompagnées de nombreux massacres, les plus cruels aux mains du Général George Custer, “héroïsé” par Hollywood.

En même temps que cette politique de déportation se développait, le pouvoir central poussait les colons à s’installer dans les territoires au fur et à mesure de leur conquête. Cette politique de colonisation s’appuyait sur des lois garantissant aux colons la propriété des terres suivant la règle du premier arrivant. Il leur suffisait alors de s’installer et de revendiquer la propriété du lieu.

Cette politique entrait en conflit avec l’autre politique de déportation et d’implantation des « nations » expulsées, soit de la côte Est, soit d’autres territoires confisqués dans l’avancée vers l’ouest des troupes américaines. Ainsi, avec le temps, les nations amérindiennes se trouvaient physiquement et culturellement disséminées ou exterminées. Elles ne pouvaient faire falloir aucun droit face aux colons. Ces « nations » ne retrouveront qu’un semblant d’autodétermination quand les survivants seront assignés à des réserves (Indian Réservations) selon leurs affiliations aux différentes tribus. Notons encore que les territoires assignés restent la propriété des Etats, les tribus étant considérées comme des occupants à titre précaire, jusqu’à ce jour.

Ainsi, la loi dite du “premier occupant” ne profite qu’aux colons, et ne sera jamais reconnue pour ceux qui ont peuplé le continent depuis des millénaires.

Mais revenons à l’État de Oklahoma : ce n’est que lorsque le pouvoir central considèrera que l’implantation des colons a atteint un niveau suffisant, que le “Territoire Indien” sera débaptisé pour devenir le 46ème État de l’Union sous le nom de « État de Oklahoma ».

Parallèlement, dès le début du 20ème siècle, des Noirs fuyant les duretés du racisme du Sud ont commencé à former des communautés en Oklahoma. Minorité noire rejoignant celle des Indiens, les deux réfugiées sur ce “Territoire indien” se mélangèrent et s’entraidèrent.

La haine et la jalousie des suprémacistes blancs

Les communautés noires, libérées de l’esclavagisme, connurent un certain succès à la suite de lois adoptées pendant la Reconstruction qui favorisaient l’insertion des anciens esclaves dans la vie nationale. Dans les États du Nord, les Noirs américains commençaient à prospérer comme en témoigne leur influence sur la culture américaine. A New York, par exemple, ce fut la grande période connue comme “Harlem Renaissance” avec l’essor de la musique avec le Jazz. Alors que dans le Sud, la « réaction » était à l’œuvre avec le développement du Ku Klux Klan, les lynchages et tout ce qui pouvait contribuer à intimider la population noire.

De cette période, les Américains ont conservé un souvenir particulier : celui de la ville de Tulsa. Dans nulle autre ville que Tulsa, la communauté noire ne connut une aussi grande prospérité !

Nous sommes alors en 1921. Avec la découverte du pétrole, Tulsa devient la capitale mondiale du pétrole. La ville connait un développement extraordinaire dont la communauté noire profite. Tout un quartier de Tulsa, Greenwood, concentre cette communauté noire dénommée alors “Black Wall Street”, reflet de sa grande prospérité. Mais nous sommes dans le Sud et dans cette période de ségrégation où s’appliquent les lois Jim Crow avec la plus grande inhumanité. La communauté blanche ne supporte pas le succès de cette communauté noire qui est contraire à tous les fondements du racisme qui constitue leur oxygène vital.

Dans la nuit du 31 Mai au 1er Juin 1921 une “meute blanche” s’abattit sur Greenwood, pillant, massacrant, brûlant tout, dans ce qui est considéré comme le pire massacre de l’histoire des États-Unis, le “massacre de Tulsa”. Plus de trois cents morts dont on ne retrouvera pas les corps et pour reliques, les cendres de ce qui fut le quartier de Greenwood à Tulsa, la deuxième ville de l’État d’Oklahoma.

“Juneteenth” est une fête célébrée le 19 Juin. Le mot Juneteenth est un mot-valise comprenant le mot “June” et “nineteenth”, pour Juin et dix-neuf. Cette fête est aussi appelée “Jour de la Liberté”, symbolisant l’émancipation des afro-américains. 

Le passé de Tulsa ressurgit en juin 2020

C’est cette date du 19 juin, dans cette ville de Tulsa, que Donald Trump a choisi de reprendre ses gigantesques réunions de campagne présidentielle alors même que le pays n’a pas fini de digérer la colère suscitée par la mort de George Floyd sous le genou d’un policier à Minneapolis. A peine fut-elle annoncée par l’équipe de campagne de Trump, cette date soulevait une telle émotion que Trump fut contraint d’y renoncer et de décaler sa réunion d’une journée au 20 Juin. 

Ce qui devait être le grand retour de Donald Trump, prévu devant un stade pré-rempli de 19.000 spectateurs, s’est révélé être ce que toute la presse et les médias définissent ce matin du 21 juin 2020 comme un “flop”, un fiasco. Lors de son allocution qui a duré près de deux heures, devant des tribunes désertées (moins de 2/3 selon les observateurs),  Donald Trump a semblé en bout de course. Pour le journaliste David Smith de The Guardian, “Donald Trumps sows division and promises “greatness” at Tulsa rallye flop” (Donald Trump sème la division et promet “ grandeur” au fiasco du meeting de Tulsa).

L’article parle de “l’humiliation” subie par Trump, alors même que son équipe assurait que le succès de ce meeting signerait la relance de la campagne pour sa réélection, dans une ville où il avait battu Hillary Clinton en 2016 par une énorme marge de 65% contre 25% des voix. Confirmant l’unanimité de la presse, The Guardian note que cette manifestation à laquelle participaient “ massivement des blancs”, a été éclipsée par les énormes manifestations multiraciales qui se sont tenues à travers le pays ces dernières semaines à l’appel du mouvement « Black Lives Matter ». En conclusion, David Smith écrit, “ This comeback raises fresh doubts about his chances of winning re-election” (Ce retour soulève de nouveaux doutes quant à ses chances de remporter l’élection)

Beaucoup redoutaient que des affrontements ne surviennent à Tulsa, ce qui aurait alimenté le discours de Trump contre les manifestants. Les craintes ne se sont pas matérialisées fort heureusement. Les manifestants qui s’étaient mobilisés contre la venue de Trump sont restés l’écart et les frictions avec la police ont été minimales. Le public venu soutenir Trump ne fut pas, loin de là, aussi nombreux que Donald Trump l’avait annoncé et finalement il a quitté la ville dans la nuit, si dépité qu’il ne s’est même pas livré à son activité principale : tweeter.

Voilà pour l’histoire d’un « territoire », celui de Tulsa, dans l’État de Oklahoma. L’histoire retiendra donc que Donald Trump, le 45ème Président des États-Unis, voulant raviver les meurtrissures du passé, voulant flatter les Suprémacistes blancs, fit un flop tandis que ceux qui se continuent de se battre pour l’égalité, avancent.

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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