Les chiffres sont affolants. 2 millions de déplacés internes, 2,3 millions de réfugiés, 8,9 millions de personnes avec un besoin urgent d’aide humanitaire. Ces dernières représentent plus de 75 % de la population du pays. Le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut que constater son impuissance. Dans un communiqué, l’institution donne le ton, affirmant son inquiétude sur la situation au Soudan du Sud et évoquant la « pire crise alimentaire de son histoire ». L’insécurité alimentaire touche toutes les tranches de la population et se couple à d’autres problématiques, notamment sécuritaires.
Ce tableau calamiteux est également partagé par la commission d’enquête dédiée au Soudan du Sud auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La présidente de la commission Yasmin Sooka a présenté ses travaux au Conseil, appelant la communauté internationale a une plus grande réaction pour soutenir une population à bout de souffle. Les difficultés sont démultipliées dans le pays, à commencer par une grande famine qui guette sa population au cours des prochains mois. C’est à ce moment dans l’année que commence en effet la « saison maigre », une période où les pluies se font rares, occasionnant des pertes dans les récoltes. Année après année, le phénomène gagne en force à cause du changement climatique. Par ailleurs, des crues inédites ont frappé certaines régions du pays, engrangeant déplacements et précarisation supplémentaires.
Cette baisse de la production agricole provoque une augmentation du prix des denrées alimentaires. Ces prix subissent aussi les effets de la hausse des cours des céréales liée à l’attaque de l’Ukraine par la Russie. S’ajoute à cela les conflits dans le pays. L’ONU a noté l’existence de violences ethniques dans plusieurs zones du pays avec une absence totale d’autorités capables de rétablir l’ordre. Les victimes civiles se multiplient et les violences sexuelles sont employées à grande échelle comme d’une arme de guerre. En réaction à ce constat, Yasmin Sooka a fait publier une liste de 142 personnes qui devraient faire l’objet d’une enquête pour des crimes relevant du droit national et international commis au cours de ces dernières années. Un accord de paix signé il y a deux ans n’est d’ailleurs toujours pas mis en œuvre.
Des pans entiers du Soudan du Sud sont donc totalement abandonnés par les pouvoirs publics. Ces pouvoirs publics sont complètement gangrénés par la corruption. Un phénomène tellement problématique qu’il rend toute aide humanitaire impossible. L’ONU va jusqu’à évoquer des « élites politiques prédatrices » qui détournent les aides alimentaires et financières à leurs propres fins. L’année dernière, ce sont 10 millions de dollars transmis par les États-Unis et 80 000 sacs de riz qui ont été en partie sortis des circuits de l’aide humanitaire. Si le PAM a pu aider 730 000 personnes via des dons de nourriture, cela ne permet pas de répondre à des besoins beaucoup plus importants.
La situation est d’autant plus grave que ses conséquences ne se limitent pas aux frontières du pays. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés a besoin de son côté de 1,2 milliard de dollars afin de faire face aux besoins des plus de 2 millions de déplacés régionaux installés en République démocratique du Congo, en Éthiopie, au Kenya, au Soudan et en Ouganda. Alors que les regards sont tournés vers d’autres régions du monde, une catastrophe à grande échelle se joue au cœur de l’Afrique, dans le plus jeune pays au monde.