La violence à l’égard des femmes constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde[1]. Elle demeure aussi l’une des moins signalées en raison de l’impunité qui l’entoure. Cette violence prend plusieurs formes : violence d’un partenaire dans l’intimité du foyer, violence sexuelle et harcèlement dans la rue ou sur le lieu de travail, trafic d’êtres humains (esclavage, exploitation sexuelle), mutilations génitales ou mariage forcé.
En cette journée internationale pour l’élimination de la violence contre des femmes, les combats à mener sont donc nombreux. Certains instruments internationaux récemment élaborés pour lutter contre ce fléau ouvrent quelques perspectives d’avenir. Le 21 Juin 2019, l’Organisation internationale du travail (OIT) a notamment adopté un texte historique visant à éradiquer la violence et le harcèlement dans le monde du travail qui pourrait changer la vie de millions de travailleuses.
Ce traité international est donc un outil essentiel car il prévoit la protection de toutes les travailleuses, dans l’économie formelle ou informelle, du secteur privé ou public, des zones urbaines ou rurales, quel que soit leur statut contractuel. La notion du monde du travail s’étend non seulement aux lieux de travail mais aussi aux espaces et situations liés au travail tels que les déplacements professionnelles, formations, évènements et trajets entre le domicile et le lieu de travail[3].
Il intègre aussi un droit de retrait d’une situation de travail présentant un danger imminent et grave pour leur vie, leur santé ou leur sécurité. Il responsabilise les employeurs et promeut la négociation collective comme moyen de prévenir la violence et le harcèlement et d’y remédier. Il oblige enfin les États à prendre des mesures appropriées pour reconnaître les effets de la violence domestique et son impact sur le monde du travail (travail flexible, protection contre les licenciements, sensibilisation aux effets de la violence domestique).
Le combat fut long et difficile. Il aura fallu plus de dix années pour entériner une première norme internationale sur le droit de chacune à un environnement de travail exempt de violence et de harcèlement. Durant de nombreuses années, le groupe des employeurs à l’OIT et plusieurs gouvernements se sont opposés aux normes contraignantes. L’OIT se limita à adopter en 2009 une « résolution concernant l’égalité entre hommes et femmes au cœur du travail décent » reconnaissant les bases du problème des violences sexistes sans y apporter de réelles solutions. C’est seulement en 2015, après des campagnes acharnées des organisations syndicales et de la société civile que le processus de création de la norme numéro 190 s’est enclenché pour aboutir en 2019.
Des mobilisations populaires partout dans le monde
Comme pour la plupart des conventions de l’OIT, il faut attendre la ratification d’au moins deux États membres pour que celle-ci rentre en vigueur. L’Uruguay a été le premier pays à ratifier la Convention 190. D’autres pays comme l’Argentine, l’Espagne, l’Italie et la Finlande se sont engagés formellement à le faire. Mais depuis juin 2019, la pression populaire ne faiblit pas. Les mobilisations se succèdent partout dans le monde, dans les usines en Inde ou au Pérou, dans les entreprises en Australie ou en Turquie jusqu’aux camps de réfugiés au Burkina Faso, des femmes et des hommes d’une centaine de pays se sont déjà unis autour d’une cause commune : faire ratifier la convention 190 par tous les gouvernements.
Il faut dire qu’il y a urgence. La pandémie de la Covid-19 accélère la nécessité d’adopter cette norme. En France comme dans le monde, le confinement a contribué à une hausse des violences domestiques, tandis que la récession économique et les pertes d’emplois exercent des pressions supplémentaires sur les travailleurs qui souhaitent désespérément conserver leur emploi quitte à ne pas dénoncer certains abus. Si la France possède un arsenal législatif en matière de violence et harcèlement au travail, cet instrument international apporte quelques améliorations en imposant notamment « des congés, des horaires flexibles et des potentiels changements de lieux de travail pour venir en aide des travailleuses victimes de violences conjugales »[4] des mesures de protection qui n’existent pas à cette heure en droit français. Une coalition de syndicats et d’associations dont la CGT, la CFDT ActionAid Peuples Solidaires et CARE France a publié une lettre le 21 juin appelant le gouvernement français à ratifier la Convention 190 et amorcer les réformes nationales correspondantes.
Ainsi, cette journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est l’occasion pour les gouvernements du monde entier de prendre enfin des engagements forts pour prévenir les violences et protéger les victimes. En ce sens, la ratification par tous les États membres de la Convention 190 s’attaquant aux comportements inacceptables dans le monde du travail est une nécessité absolue. Il est temps de rendre visible, l’invisible, d’en finir avec la violence et le harcèlement et de bâtir un monde du travail fondé sur la dignité et le respect.
[1] https://www.un.org/fr/events/endviolenceday/
[2] Stop à la violence sexiste au travail – ITUC 14/05/2019
[3] http://www.industriall-union.org/fr/on-la-fait-loit-a-adopte-une-nouvelle-convention-sur-la-violence-et-le-harcelement-au-travail
[4] https://www.liberation.fr/france/2019/06/21/l-oit-adopte-une-convention-internationale-contre-le-harcelement-au-travail_1735288