La question en France n’est plus de savoir qui gouvernera le pays dès le mois de mai, mais plutôt quel homme politique – ou quel camp idéologique – affrontera le président Emmanuel Macron au second tour. À moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle en France (le 10 avril avec le second tour avec deux candidats le 24), un groupe de quatre candidats tente sa chance dans une lutte totalement atomisée par l’invasion russe de l’Ukraine. Celle-ci est tombée comme une bombe à fragmentation dans la campagne électorale française.
Les sondages placent Emmanuel Macron entre 28 % et 34 % des intentions de vote pour le 10 avril, ce qui fait presque de sa réélection une évidence. C’est peut-être pour cette raison que le président de la République française fait une campagne minimaliste, dans laquelle il évite les rassemblements de masse et les bains de foule, et concentre ses apparitions dans de petites salles, devant un public préalablement choisi par son équipe.
La crise en Ukraine a fait exploser la campagne en vol. Avec certains candidats complètement embourbés dans une « raspoutitsa » liée à leur proximité idéologique et personnelle avec Vladimir Poutine, l’actualité liée à la guerre et aux sanctions européennes occupe la majorité des déclarations. Ainsi, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a déclaré il y a quelques jours sur la chaîne TF1 que Macron (imprégné du costume de chef des Armées et principal médiateur de l’Europe auprès du dirigeant russe) n’accepterait pas de débattre avec le reste des candidats au premier tour.
Embouteillage à droite
Les dynamiques sont distinctes, mais l’angoisse est partagée entre les quatre prétendants au second tour de l’élection présidentielle : Valérie Pécresse, Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tentent d’exister afin que la campagne présidentielle ne se limite pas à un discours de Macron devant un prompteur.
Pécresse, incarnation du renouvellement du parti Les Républicains, première femme candidate issue de la droite conservatrice, est en chute libre dans les sondages depuis la mi-décembre. D’une part, elle est critiquée au sein de sa formation pour le malaise évident qu’elle transmet lors de grands meetings. D’autre part, vu de l’extérieur, difficile de distinguer ses propositions sur la sécurité et l’immigration de celles de ses adversaires d’extrême droite, Zemmour et Le Pen. Annoncée entre 18 et 15 % d’intention de vote en décembre, Pécresse a sombré en deux mois. Les derniers sondages (10-14 %) la placent plus près de Mélenchon (9-13 %) et de Zemmour (10-14 %) que de Le Pen (15-19 %), donc loin du second tour de la présidentielle.
C’est peut-être pour cette raison que Pécresse a accepté de débattre pendant une heure et demie avec Éric Zemmour jeudi dernier sur TF1, dans un format où les candidats choisissent à qui ils veulent s’affronter. L’occasion, pour Pécresse, de se différencier des partis d’extrême droite et de séduire les centristes et les libéraux. Cependant (et malgré l’ombre de Poutine planant sur Zemmour), au lieu d’opposer leurs différents programmes, seuls l’islam et l’immigration ont été discutés pendant une heure, les deux candidats s’accusant mutuellement d’être « ridicules », de dire des bêtises et se coupant continuellement la parole. Un combat que l’un des présentateurs a qualifié de « cour d’école ».
Une occasion manquée pour Pécresse, qui, selon l’institut de sondage Cluster 17, voit de plus en plus de suffrages s’échapper des électeurs centristes et libéraux, plus convaincus par Emmanuel Macron que par le candidat Les Républicains.
Le président français, qui a attendu le 3 mars pour déclarer sa candidature, et qui n’a pas encore tenu de grands meetings ni présenté de grandes mesures lors de sa campagne, est monté en flèche dans les sondages ces deux dernières semaines, passant d’une moyenne de 25 % d’intentions de vote en février à une amplitude allant de 28 à 34 %. Et, au fil des jours, la guerre en Ukraine ne fait que renforcer sa position. 33 % des électeurs estiment que le président est le candidat « le plus compétent pour gérer cette crise », selon Cluster 17.
Depuis novembre, Cluster 17 différencie les électeurs en 16 groupes idéologiques et sociaux, allant des positions classiques telles que les sociaux-démocrates, les libéraux, les centristes ou les conservateurs à des positions plus modernes telles que les multiculturels, les socio-patriotes ou les mécontents. Chaque catégorie englobe « entre 6 et 12 % de la population », explique Guillaume Tricard, de Cluster 17, à El Confidencial.
Dans le cas de Macron, les clusters sociologiques qui le soutiennent le plus sont les centristes (79 % voteraient pour lui), les progressistes (56 %) et les sociaux-démocrates (49 %). Le camp conservateur, qui début décembre était clairement derrière Pécresse (30 % voteraient pour elle et 20 % pour Macron) s’éloigne de sa candidate pour se ranger du côté du chef de l’État (42 % pour Macron, 14 % par Pécresse).
Dans la course pour le second tour, Pécresse a non seulement été dépassée par ses rivaux d’extrême droite depuis plusieurs semaines, mais a même été dépassée il y a quelques jours par Jean-Luc Mélenchon (13,5 % dans le sondage Cluster 17). Le chef de file de la gauche radicale, moins affecté qu’Éric Zemmour et Marine Le Pen par les accusations d’une supposée proximité avec le dirigeant russe, est le premier bénéficiaire d’une droite et extrême droite française qui se tire des balles dans le pied.
Depuis des semaines, Cluster 17 place les deux candidats d’extrême droite quasiment à égalité dans les intentions de vote. Dans leur dernier sondage, publié le 8 mars, Éric Zemmour et Marine Le Pen perdent un point et demi de soutien, tous deux à 14,5 %. « C’est un duel intéressant, qui n’avait jamais eu lieu auparavant car ce domaine n’avait qu’un seul candidat. Maintenant il y en a deux et on ne sait pas si, face au premier tour, il y aura des appels au vote utile pour que Mélenchon ne passe pas au second tour », explique Tricard.
Un message qui, comme l’a révélé le journal ‘Libération’ la semaine dernière, commence déjà à être envoyé par le parti de Le Pen (Rassemblement national, RN) à Éric Zemmour. Au nom de « l’intérêt général » du « camp national », David Rachline, vice-président du RN, a appelé le 8 mars Zemmour à « se retirer pour que le camp national s’unisse derrière Le Pen et pouvoir être au niveau de Macron ». Au même moment, le porte-parole du parti et député européen, Jean-Lin Lacapelle, a révélé d’autres craintes au sein du RN : « Si Zemmour reste, il risque de battre Le Pen, au profit du trotskyste Mélenchon ».
Des craintes justifiées non seulement quand le RN regarde les sondages, mais aussi à cause de la chasse de soutiens que Zemmour mène parmi les figures du parti de Le Pen, allant des maires, eurodéputés et conseillers régionaux à la propre nièce de Marine, Marion Maréchal, qui a annoncé dimanche 6 février qu’elle s’unissait à la candidature de l’éditorialiste Zemmour.
Ainsi, à moins d’un mois du premier tour, le camp de la droite française s’est embouteillé, ouvrant à Mélenchon la possibilité d’accéder au second tour de la présidentielle, pour la première fois de sa carrière après deux tentatives infructueuses.
Tortue électorale
En campagne électorale depuis 15 mois, le chef de file de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, aime à se définir comme une « tortue » électorale, qui a déjà laissé plusieurs « lièvres » en cours de route.
Avec des intentions de vote entre 9 et 13 %, force est de constater qu’il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Pourtant, dans les rangs de France insoumise, la dernière semaine a été teintée d’optimisme, après que Cluster 17 ait publié un premier sondage les plaçant au second tour. Depuis mardi 8 mars, les réseaux sociaux de leurs militants se remplissent d’émoticônes et de « gifs » de tortues, le pas ferme tourné vers le second tour.
Mélenchon est donc le candidat de la gauche le mieux placé dans les sondages, et pourrait donc compter sur le vote utile des électeurs du Parti communiste, des écologistes et du Parti socialiste. Ceux-ci constatent comment leurs candidats dépassent à peine les 5 % d’intention de vote. De plus, selon Guillaume Tricard, de Cluster 17, Jean-Luc Mélenchon a recueilli les intentions de vote des soutiens de la candidature de Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la Justice de François Hollande, représentante d’une gauche sociale-démocrate plus radicale que le Parti socialiste français, qui a dû se retirer face à son incapacité à recueillir les parrainages nécessaires pour se présenter.
« Il lui manque 5-6 % des voix pour atteindre le résultat de 2017 », estime Tricard, quand Mélenchon a obtenu sept millions de voix (19 % de soutiens), à 600 000 voix du second tour. Mais Tricard estime que maintenant il aura du mal à obtenir ces 19 % « parce qu’alors il avait de bons résultats parmi les clusters sociaux-démocrates et progressistes, le cœur du Parti socialiste. Des gens qui défendent le système, qui n’aiment pas la radicalité et qui lui ont tourné le dos aujourd’hui à cause de sa relation avec la Russie. »
De plus, il est, avec Le Pen, celui qui doit le plus s’inquiéter de l’abstention, selon Tricard : « Parce qu’ils ont eu de bons résultats dans des clusters qui, aux dernières élections intermédiaires, ne sont pas allés voter, toutes ces classes pauvres qui faisaient partie des gilets jaunes ». « Vous pouvez aller au second tour », explique Tricard, qui ne souhaite pas donner de pronostic ni de pourcentage de probabilité. Avec Pécresse, Zemmour et Le Pen, Mélenchon fait partie des quatre qui pourront se retrouver en tête à tête avec Macron le 24 avril. Et, parmi eux, conclut Tricard, « on en voit plusieurs qui ont des intentions de vote à la baisse ».