l'article

Les soutiens de Julian Assange se mobilisent pour sa libération

Des avocats et observateurs ont adressé un courrier à Boris Johnson et aux ministres britanniques rappelant que Julian Assange doit avoir le "droit à un procès équitable", "une pierre angulaire de la démocratie et de l'État de droit". Cette lettre est soutenue par des signataires collectifs et des personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou encore Jeremy Corbyn.

Cette lettre a été rédigée par un collectif d'observateurs juridiques, internationaux et indépendants de l'affaire Julian Assange sur le site lawyersforassange et a été publiée le 14 août 2020.

Lettre ouverte au gouvernement britannique

Le Premier ministre, Boris Johnson,
Le Lord Chancellor et Ministre de la Justice, Robert Buckland QC le Ministre des Affaires Étrangères Dominic Raab,
Le Ministre de l’Intérieur Priti Patel

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Lord Chancellor et Ministre de la Justice, Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères, Monsieur le Ministre de l’intérieur,

14 août 2020

Nous vous écrivons en tant que juristes professionnels et universitaires pour exprimer nos préoccupations collectives concernant les violations des droits humains, civils et politiques fondamentaux de M. Julian Assange et le précédent crée par sa persécution.

Nous vous demandons d’agir dans le respect du droit national et international, des droits de l’homme et de l’État de droit en mettant un terme à la procédure d’extradition en cours et en accordant à M. Assange la liberté qui lui est due de longue date, à savoir le droit de ne pas être soumis à la torture, à la détention arbitraire et à la privation de liberté, ainsi qu’à la persécution politique.

A) L’ILLÉGALITÉ D’UNE ÉVENTUELLE EXTRADITION VERS LES ÉTATS-UNIS

L’extradition de M. Assange du Royaume-Uni vers les États-Unis serait illégale pour les raisons suivantes :

a) Risque d’être soumis à un procès arbitraire aux États-Unis

L’extradition serait illégale en raison de l’incapacité à assurer la protection des droits fondamentaux de M. Assange lors de son procès aux États-Unis. M. Assange est jugé devant le tristement célèbre « Espionage court » du district Est de Virginie, devant lequel aucun accusé pour atteinte à la sécurité nationale n’a jamais eu gain de cause. Il doit y subir une procédure secrète devant un jury choisi parmi une population où la plupart des personnes éligibles à la sélection du jury travaillent pour la CIA, la NSA, le Département de la défense ou le Département de la sécurité intérieure, ou y sont liées.i

En outre, le privilège avocat/client de M. Assange, un droit inscrit dans l’Art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et reconnu depuis longtemps par la loi commune (common law) anglaise, a été grossièrement violé par une surveillance vidéo et audio constante et criminelle à l’ambassade équatorienne, effectuée par la société de sécurité espagnole UC Global. Cette surveillance a été, selon les témoignages, ordonnée par la CIA et a déclenché une enquête sur le propriétaire d’UC Global, David Morales, par la Haute Cour espagnole, l’Audiencia Nacional.ii La surveillance a permis d’enregistrer toutes les réunions et conversations de M. Assange, y compris celles avec ses avocats. Le Conseil des barreaux d’Europe, qui représente plus d’un million d’avocats européens, a exprimé sa crainte que ces enregistrements illégaux ne soient utilisés – ouvertement ou secrètement – dans le cadre de procédures contre M. Assange en cas d’extradition vers les États-Unis. Le Conseil déclare que si les informations étaient simplement portées à la connaissance des procureurs, cela constituerait une violation irrémédiable des droits fondamentaux de M. Assange à un procès équitable en vertu de l’article 6 de la CEDH et à une procédure régulière en vertu de la Constitution américaine.iii En outre, l’État requérant a obtenu la totalité des documents juridiques de M. Assange après leur saisie illégale à l’ambassade. Après avoir appris que le gouvernement équatorien prévoyait de saisir et de remettre aux États-Unis les effets personnels de M. Assange, notamment des documents, des téléphones, des appareils électroniques, des clés USB, etc., le rapporteur spécial des Nations Unies sur la vie privée, Joseph Cannataci, a fait part de sa vive inquiétude au gouvernement équatorien et lui a demandé officiellement à deux reprises de restituer les

effets personnels de M. Assange à ses avocats, en vain.iv Le modèle de traité d’extradition des Nations Unies interdit l’extradition si la personne n’a pas reçu, ou ne recevrait pas, les garanties minimales dans le cadre d’une procédure pénale, telles que consacrées par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).v

b) La nature politique de l’infraction interdit l’extradition

L’acte d’accusation publié par les États-Unis contre M. Assange le 23 mai 2019 est composé de 18 chefs d’accusation, tous liés uniquement à la publication en 2010 de documents du gouvernement américain. Ces publications, comprenant des informations sur les guerres en Irak et en Afghanistan, des câbles diplomatiques américains et Guantanamo Bay, ont révélé des preuves de crimes de guerre, de corruption et de malversations gouvernementales.vi

Les accusations 1 à 17 sont portées en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917, qui, de par son seul nom, révèle la nature politique et archaïque des accusations.vii En outre, l’essentiel des 18 accusations concerne l’intention présumée de M. Assange d’obtenir ou de divulguer des « secrets d’État » américains d’une manière préjudiciable aux intérêts stratégiques et de sécurité nationale de l’État américain, à la capacité de ses forces armées, au travail des services de sécurité et de renseignement des États-Unis et aux intérêts des États-Unis à l’étranger. Ainsi, la conduite, la motivation et l’objectif attribués à M. Assange confirment le caractère politique des 17 accusations portées en vertu de la loi sur l’espionnage (infractions « purement politiques ») et de l’accusation de piratage informatique (infraction  » partiellement politique »). En outre, plusieurs responsables du gouvernement américain ont à plusieurs reprises attribué à M. Assange, un citoyen australien, des intentions « hostiles » aux États- Unis.viii Le traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis, qui constitue la base même de la demande d’extradition, interdit expressément l’extradition pour des infractions politiques à l’article 4(1). Or, le président du tribunal et le ministère public souhaitent simplement ignorer cet article en se référant à la loi sur l’extradition de 2003 (« EA »), qui ne prévoit pas l’exception pour les infractions politiques. Cela revient à ignorer de manière flagrante le fait que l’EA n’est qu’une loi d’habilitation qui crée les garanties légales minimales, mais n’empêche pas des protections plus fortes contre l’extradition, comme le prévoient expressément les traités ratifiés ultérieurement, tels que le traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis. En outre, il existe un large consensus international sur le fait que les infractions politiques ne devraient pas constituer la base de l’extradition.ix Cela se retrouve dans l’art. 3 de la Convention européenne d’extradition de 1957, l’article 3 de la CEDH, art. 3(a) du modèle de traité d’extradition des Nations Unies, la Constitution d’Interpol et tous les traités bilatéraux ratifiés par les États-Unis depuis plus d’un siècle.

c) Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants aux États-Unis

Le rapporteur des Nations Unies sur la torture a exprimé avec certitude que, s’il est extradé vers les États-Unis, M. Assange sera exposé à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des préoccupations similaires ont également été exprimées par le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, et Amnesty International a récemment réitéré ses préoccupations concernant le risque inacceptable de mauvais traitements.x

Les conditions de détention, et la peine draconienne de 175 ans, dans une prison de sécurité maximale, auxquelles M. Assange est confronté sous l’inculpation des États-Unis, constitueraient un acte de torture ou une autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, selon l’actuel rapporteur des Nations Unies sur la torture et selon l’opinion constamment exprimée par son prédécesseur, ainsi que par les ONG et les autorités judiciaires. xi

Si M. Assange est extradé, il sera probablement, de l’aveu même du gouvernement américain, soumis à des mesures administratives spéciales. Ces mesures interdisent aux prisonniers tout contact ou toute communication, à l’exception de quelques individus autorisés, et tout individu autorisé ne serait pas

autorisé à communiquer au public des informations concernant le traitement du prisonnier, protégeant ainsi la torture potentielle de tout regard du public et le gouvernement de toute responsabilité.xii

En vertu du principe de non-refoulement, il n’est pas permis d’extrader une personne vers un pays dans lequel il y a des motifs sérieux de croire qu’elle serait soumise à la torture.Ce principe est inscrit dans la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, en particulier à l’article 33, paragraphe 1, auquel aucune dérogation n’est autorisée. Sont également pertinents l’article 3, paragraphe 1, de la Déclaration des Nations Unies sur l’asile territorial de 1967, l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) et l’article 2 de la Résolution sur l’asile pour les personnes en danger de persécution, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en 1967. En sa qualité d’obligation découlant de l’interdiction de la torture, le principe de non- refoulement dans ce domaine est absolu et prend également le caractère d’une norme impérative du droit international coutumier, c’est-à-dire le jus cogens.xiii

M. Assange, qui a été reconnu en tant qu’asilé politique par le gouvernement équatorien en raison de ce qui s’est avéré être des craintes tout à fait légitimes de persécution politique et de torture aux États-Unis, aurait clairement dû bénéficier de la protection de ce principe, d’abord par l’Équateur et ensuite par le Royaume-Uni. L’Équateur a violé ses obligations en matière de droits de l’homme en annulant sommairement l’asile de M. Assange, en contradiction directe avec la « tradition latino-américaine de l’asile « xiv et avec l’avis consultatif OC-25/18 du 30 mai 2018 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme affirmant le principe de non- refoulement dans le cas de personnes entrées dans une ambassade pour y être protégées.xv L’entrée de la police britannique dans l’ambassade équatorienne et l’arrestation de M. Assange étaient donc fondées sur une révocation illégale de l’asile, qui ne peut être rectifiée que par le respect par le Royaume-Uni de son propre devoir de protéger le principe de non-refoulement en refusant l’extradition vers les États-Unis.

B) LES VIOLATIONS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET DU DROIT DE SAVOIR

Les chefs d’accusation 1 à 17 de la loi sur l’espionnage violent le droit à la liberté d’expression, le droit à la liberté de la presse et le droit de savoir. Ces chefs d’accusation présentent comme criminelles des pratiques journalistiques d’investigation courantes et nécessaires.xvi Ces pratiques consistent notamment à faire savoir que l’on est disposé à recevoir des informations, à indiquer quelles informations sont intéressantes, à encourager la fourniture d’informations, à recevoir des informations à des fins de publication et à publier des informations dans l’intérêt du public. Sous l’accusation de conspiration en vue de commettre une intrusion informatique, l’acte d’accusation initial criminalisait également la tentative présumée de M. Assange d’aider sa source à préserver son anonymat tout en fournissant les documents en question, ce qui relève directement de la pratique journalistique courante et du devoir de protéger la source. Dans le but d’occulter ce fait et de présenter à nouveau M. Assange comme un pirate informatique malveillant, le Département de la Justice américain a publié un nouvel « acte d’accusation de substitution » le 24 juin 2020, sans même le déposer au préalable auprès du tribunal britannique, alléguant le recrutement de pirates informatiques et une entente avec eux pour commettre une intrusion informatique. Le nouvel acte d’accusation a été publié tardivement et de manière injustifiée, il ne repose sur aucune nouvelle information et sur le témoignage de deux sources très peu fiables.

Nous sommes d’accord avec les conclusions du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe selon lesquelles « la nature large et vague des allégations contre Julian Assange, et des infractions énumérées dans l’acte d’accusation, est troublante car beaucoup d’entre elles concernent des activités qui sont au cœur du journalisme d’investigation en Europe et au-delà. »xvii L’extradition sur la base de l’acte d’accusation mettrait gravement en danger la liberté de la presse, pierre angulaire des démocraties européennes consacrée par l’article 10 de la CEDH.xviii

Les États-Unis semblent en outre admettre l’inconstitutionnalité des accusations, ayant déclaré dans

l’une de leurs observations à la Cour que M. Assange sera privé des protections de la liberté d’expression et de la presse garanties par le premier amendement en raison de son statut de ressortissant étranger.xix En outre, l’extradition de M. Assange vers les États-Unis en toute connaissance de la discrimination qu’ils entendent lui faire subir ferait du Royaume-Uni un complice dans un déni flagrant de son droit à la non-discrimination.

L’extradition vers les États-Unis d’un éditeur et d’un journaliste, pour avoir exercé des activités journalistiques alors qu’il se trouvait en Europe, créerait un précédent très dangereux pour l’extraterritorialisation des lois sur le secrets d’État et « inviterait d’autres États à suivre le mouvement, menaçant gravement la capacité des journalistes, des éditeurs et des organisations de défense des droits de l’homme à révéler en toute sécurité des informations sur des questions internationales graves. »xx Ces préoccupations pour la liberté journalistique trouvent un écho dans la profession journalistique – plus d’un millier de journalistes ont signé une lettre ouverte s’opposant à l’extradition de M. Assange.xxi Massimo Moratti, directeur adjoint d’Amnesty International pour l’Europe, a qualifié la poursuite implacable de M. Assange par le gouvernement américain de  » rien de moins qu’une attaque de grande envergure contre le droit à la liberté d’expression » qui pourrait avoir un impact profond sur le droit du public à savoir ce que fait son gouvernement « .xxii

En outre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déclaré dans son appel à l’interdiction de l’extradition et à la libération de M. Assange que les États membres devraient « considérer que la détention et les poursuites pénales de M. Julian Assange constituent un dangereux précédent pour les journalistes, et s’associe à la recommandation du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture ».xxiii

C) LES VIOLATIONS DU DROIT À NE PAS ÊTRE SOUMIS À LA TORTURE, DU DROIT À LA SANTÉ ET DU DROIT À LA VIE

Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« le rapporteur des Nations Unies sur la torture »), le professeur Nils Melzer, dans le cadre de son mandat aux Nations Unies, a fait et continue de faire état du traitement de M. Assange . Les 9 et 10 mai 2019, le professeur Melzer et deux experts médicaux spécialisés dans l’examen des victimes potentielles de torture et autres mauvais traitements ont rendu visite à M. Assange à la prison de Belmarsh (« HMP Belmarsh »). La visite et l’évaluation du groupe ont montré que M. Assange présentait « tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique, y compris un stress extrême, une anxiété chronique et un traumatisme psychologique intense ».xxiv Le rapporteur des Nations Unies sur la torture a conclu que « M. Assange a été délibérément exposé, pendant une période de plusieurs années, à des formes persistantes et progressivement graves de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les effets cumulés ne peuvent être décrits que comme de la torture psychologique ». Le rapporteur des Nations Unies sur la torture a condamné « dans les termes les plus fermes, la nature délibérée, concertée et soutenue des sévices infligés », et a qualifié l’échec du gouvernement britannique et des gouvernements concernés à prendre des mesures pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de M. Assange de « complaisance au mieux et de complicité au pire ».xxv

Ces abus comprennent des persécutions judiciaires systématiques et des violations du droit à un procès équitable dans toutes les juridictions concernées et dans toutes les procédures judiciaires connexes.xxvi Cela a été démontré tout récemment dans le traitement de M. Assange au cours de la procédure d’extradition entendue au tribunal de Woolwich Crown Court, procédure destinée à être tristement célèbre pour la « cabine de verre  » dans laquelle M. Assange a été enfermé comme si lui, journaliste primé et éditeur, était un criminel dangereux et violent.

M. Assange a fait l’objet d’une détention arbitraire et d’un isolement oppressant, de harcèlement et de surveillance, alors qu’il était confiné à l’ambassade équatoriennexxvii et continue à être ainsi soumis en tant que détenu à la prison de Belmarsh. À Belmarsh, M. Assange a purgé la peine irrégulière et disproportionnée de 50 semainesxxviii pour une prétendue violation de la liberté sous caution. De

manière perverse, l’allégation, l’accusation et la condamnation résultent du fait que M. Assange a légitimement demandé et obtenu l’asile diplomatique par le gouvernement équatorien, qui a reconnu comme fondée la crainte de M. Assange d’une extradition à caractère politique et d’un traitement inhumain aux États-Unis.xxix Bien que M. Assange ait déjà purgé sa peine, il reste emprisonné sans condamnation ni base légale dans le but d’une extradition politique, et donc illégale, vers les États- Unis. En outre, il est emprisonné en pleine pandémie de coronavirus, malgré ce qui précède et malgré sa vulnérabilité au virus en raison d’une affection pulmonaire sous-jacente exacerbée par des années d’emprisonnement et des antécédents de torture psychologique. Il est particulièrement inquiétant qu’en raison de son état de santé et des circonstances médicales, il n’ait même pas pu participer par liaison vidéo aux récentes audiences, alors qu’on lui a refusé la liberté sous caution.xxx

Les autorités britanniques ont violé le droit à la santé de M. Assange alors qu’il était privé de sa liberté à l’ambassade équatorienne en lui refusant l’accès à un diagnostic et à des soins médicaux urgents.xxxi Les deux experts médicaux qui ont accompagné le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture lors de sa visite de mai 2019 au HMP Belmarsh ont averti que si la pression exercée sur M. Assange n’était pas rapidement relâchée, son état de santé entrerait dans une spirale de déclin pouvant entraîner sa mort.xxxii Le père de M. Assange, M. John Shipton, a rapporté que son fils avait été soumis à des tortures physiques en étant placé dans une « cabine chaude ».xxxiii Le 1er novembre 2019, le rapporteur des Nations Unies sur la torture a déclaré « A moins que le Royaume-Uni ne change de cap de toute urgence et n’allège sa situation inhumaine, l’exposition continue de M. Assange à l’arbitraire et aux abus pourrait bientôt lui coûter la vie ».xxxiv Peu après, le 22 novembre 2019, plus de 60 médecins du monde entier ont exprimé leur inquiétude quant à l’état précaire de la santé physique et mentale de M. Assange, craignant notamment pour sa vie, et ont demandé son transfert vers un hôpital correctement équipé et doté du personnel nécessaire pour son diagnostic et son traitement.xxxv

En outre, les employés d’UC Global, qui travaillaient à l’ambassade équatorienne, ont révélé que la CIA avait activement étudié et envisagé l’enlèvement ou l’empoisonnement de M. Assange.xxxvi Cela témoigne d’un mépris choquant pour son droit à la vie et pour la procédure légale du gouvernement même qui demande son extradition.

Nous tenons à rappeler au gouvernement britannique :

  • son devoir de protéger le droit à la vie de M. Assange, qui est le droit de l’homme le plus fondamental inscrit dans l’art. 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art. 2 de la CEDH et l’art. 2 de la loi sur les droits de l’homme (HRA) ;
  • que l’interdiction de la torture est une norme du droit coutumier international et constitue le jus cogens. L’interdiction est absolue et il ne peut donc y avoir de dérogation en aucune circonstance, y compris en cas de guerre, d’urgence publique ou de menace terroriste. Elle est également consacrée par l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), les articles 7 et 10 du PIDCP, la CCT et l’article 3 de la CEDH ;
  • de son obligation inconditionnelle, en vertu de l’article 12 de la Convention contre la torture, de veiller à ce que ses autorités compétentes procèdent à une enquête rapide et impartiale sur les cas de torture signalés, ce qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent ; et
  • qu’il est un État membre de l’Organisation mondiale de la santé, dont la Constitution stipule « La jouissance du meilleur état de santé qu’il est possible d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient ses opinions politiques. Chacun devrait avoir accès aux services de santé dont il a besoin, quand et où il en a besoin ». Nous demandons au gouvernement britannique de prendre des mesures immédiates pour mettre fin à la torture infligée à M. Assange, pour mettre fin à sa détention arbitraire et illégale, et pour lui permettre d’avoir accès à un diagnostic médical indépendant et à un traitement dans un cadre hospitalier approprié. Le fait que les médecins, dont les préoccupations antérieures ont été ignorées, doivent demander aux gouvernements de « mettre fin à la torture et à la négligence médicale de Julian Assange » dans The Lancet est extrêmement préoccupant.

E) LES VIOLATIONS DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE

Nous condamnons le déni du droit de M. Assange à un procès équitable devant les tribunaux britanniques. Ce droit a été dénié comme suit.

a) Conflits d’intérêts judiciaires

La juge de district principale (Magistrates’ Courts) Emma Arbuthnot, qui, en tant que magistrat en chef, supervise la procédure d’extradition de M. Assange, a démontré qu’elle avait des liens financiers avec des institutions et des personnes dont les méfaits ont été exposés par WikiLeaks, l’organisation que M. Assange a fondée.xxxviii Ce conflit d’intérêts apparemment évident n’a cependant pas été révélé par la juge de district. La juge de district Arbuthnot ne s’est pas récusée et a été autorisée à rendre des décisions au détriment de M. Assange, malgré le manque apparent d’impartialité et d’indépendance judiciaire. Le juge de district (Magistrates’ Courts) Michael Snow a en outre fait preuve de partialité et de manque de professionnalisme en participant à la diffamation de la personnalité de M. Assange, en qualifiant l’éditeur d’intérêt public plusieurs fois primé et candidat au prix Nobel de la paix de « narcissique qui ne peut pas aller au-delà de ses propres intérêts égoïstes » en réponse, ironiquement, à l’équipe juridique de M. Assange qui a soulevé des préoccupations manifestement légitimes concernant la partialité de la procédure.xxxix

b) Inégalité des moyens

M. Assange s’est vu refuser le temps et les moyens de préparer sa défense, en violation du principe de l’égalité des moyens qui est inhérent à la présomption d’innocence et à l’État de droit.

Après son arrestation, la police britannique n’a pas autorisé M. Assange à venir chercher et emporter ses affaires.xl Par la suite, M. Assange a été privé de ses lunettes de lecture pendant plusieurs semaines.xli Jusqu’à la fin juin 2020, il s’est également vu refuser l’accès à un ordinateur. Bien qu’un ordinateur ait maintenant été mis à sa disposition, il n’a pas d’accès à Internet et est en lecture seule, ce qui empêche M. Assange de saisir des notes et ne lui permet donc pas de préparer sa défense. En outre, M. Assange s’est vu refuser l’accès à l’acte d’accusation lui-même pendant plusieurs semaines après sa présentation, alors que son accès à d’autres documents juridiques reste limité à ce jour en raison de la bureaucratie et du manque de confidentialité de la correspondance de la prison. En outre, malgré la complexité de l’affaire et la sévérité de la peine à laquelle M. Assange serait confronté s’il était extradé pour être jugé aux États-Unis, les autorités pénitentiaires ne veillent pas à ce que M. Assange puisse consulter correctement son équipe juridique et préparer sa défense, en limitant considérablement tant la fréquence que la durée de ses visites. Depuis la mi-mars 2020, M. Assange n’a plus été en mesure de rencontrer ses avocats en personne.

Les effets de la torture subie par M. Assange ont encore limité sa capacité à préparer sa défense et même, à certains moments de la procédure, à répondre à des questions élémentaires, telles que des questions sur son nom et sa date de naissance.xlii Bien que de nouvelles audiences aient été reportées jusqu’en septembre, il n’est pas certain que cela permettra à M. Assange de disposer du temps et des ressources nécessaires pour préparer sa défense, étant donné qu’il ne peut pas communiquer avec ses avocats (en raison de son emprisonnement pendant la pandémie), à part pour bénéficier de quelques concessions limitées dans le temps, c’est-à-dire des appels téléphoniques limités à 10 minutes.

c) Déni de la capacité du défendeur à suivre correctement la procédure et à diriger son équipe juridique

M. Assange et ses avocats ont informé à plusieurs reprises la Cour de son incapacité à suivre correctement la procédure, à consulter ses avocats de manière confidentielle et à leur donner des instructions appropriées pour la présentation de sa défense, en raison de son incapacité à s’asseoir avec

eux et de son confinement dans une cabine de verre blindée. Cet agencement a obligé M. Assange à faire signe pour attirer l’attention du juge ou des personnes assises dans la tribune du public, afin d’alerter ses avocats qui assis dans la salle d’audience en lui tournant le dos. Bien que la juge de district Vanessa Baraitser ait reconnu que la décision de permettre à M. Assange de s’asseoir avec ses avocats relevait de ses pouvoirs, elle a refusé d’exercer son pouvoir en faveur de M. Assange, bien que l’accusation n’ait fait aucune objection à la demande. Amnesty International s’est inquiétée du fait que si des mesures adéquates n’étaient pas mises en place lors des prochaines audiences pour garantir la participation effective de M. Assange à la procédure et, par conséquent à l’équité de celle-ci, cela porterait préjudice.xliii

d) Refus d’aborder la question des mauvais traitements infligés au défendeur

Les avocats de M. Assange ont informé la Cour qu’en une seule journée, le 22 février, les autorités pénitentiaires l’ont menotté à 11 reprises, l’ont transféré dans 5 cellules différentes, l’ont fouillé à deux reprises et lui ont confisqué ses documents juridiques privilégiés. Supervisant la procédure, le juge de district Vanessa Baraitser a explicitement refusé d’intervenir auprès des autorités pénitentiaires, affirmant qu’elle n’avait aucune compétence sur ses conditions de détention. Ce traitement oppressif a été condamné à juste titre par l’Institut des droits de l’homme de l’Association internationale du barreau.xliv La coprésidente, Anne Ramberg Dr jur hc, a qualifié ce traitement de « grave atteinte à l’application régulière de la loi et à l’État de droit ».xlv De plus, des psychiatres et des psychologues internationaux ont cité ce traitement comme preuve supplémentaire de torture psychologique.xlvi

Nous rappelons au gouvernement britannique que le droit à un procès équitable est une pierre angulaire de la démocratie et de l’État de droit. Il s’agit d’un droit humain fondamental consacré par l’article 10 de la DUDH, l’article 14 du PIDCP, l’article 6 de la CEDH et l’article 6 de la LDE. Ces dispositions, ainsi que les principes de longue date de la common law, exigent un procès équitable et public devant un tribunal indépendant et impartial, la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire, le droit d’être informé rapidement et en détail de la nature et de la cause des accusations, le droit de disposer du temps et des moyens nécessaires à la préparation de sa défense, et le droit de pouvoir communiquer avec son avocat.

Pour toutes ces raisons, nous demandons respectueusement au gouvernement britannique de mettre fin à la procédure d’extradition américaine contre M. Assange et d’assurer sa libération immédiate.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués,

Lawyers for Assange (Avocats pour Assange)

Retrouvez la lettre sur lawyersforassange

En ce moment sur Le Monde en Commun

Les vidéos

Partagez !

Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.