Aujourd’hui, en France, Rima Hassan, Mathilde Panot, Jean-Paul Delescaut et de nombreux autres opposants à la guerre à Gaza sont poursuivis pour « apologie du terrorisme ». Pour nous, militants de gauche anti-guerre de Russie, cela provoque un effrayant sentiment de déjà-vu.
Nous connaissons la menace de l’antisémitisme réel, au sein de la gauche comme des milieux de la droite radicale. Nous ne soutenons pas les actes ouvertement terroristes, même s’ils sont menés par les opprimés, parce que cela nuit à toute politique de libération, comme nous le voyons dans le cas des émissaires iraniens, qu’il s’agisse du Hamas, du Hezbollah ou d’autres groupes fondamentalistes. Mais dans notre propre pays l’accusation d’« apologie du terrorisme » est devenue un moyen de se débarrasser des dissidents et opposants et de renforcer la dictature. Aujourd’hui, beaucoup de nos camarades sont en prison suite à cette accusation. Mais la tendance à criminaliser les opposants a commencé il y a longtemps.
Alors que la vague de terrorisme islamiste en Russie s’essoufflait, le nombre de condamnations au titre d' »articles terroristes » a augmenté de manière exponentielle. Entre 2009 et 2011, les tribunaux ont condamné 16 personnes par an, et en 2022, 665 personnes ont été emprisonnées de ce fait. Depuis le retour de Poutine à la présidence en 2012, au moins 4 000 personnes ont été emprisonnées en vertu d’articles « terroristes ». Si les musulmans constituaient initialement la majorité d’entre elles, les militants de gauche et les antifascistes ont pris le dessus au milieu des années 2010. Les discours sur la révolution, les appels à une transformation profonde de la société ou contre les aventures militaires des services spéciaux ont été qualifiés de « renversement violent de l’ordre constitutionnel » ou « justification du terrorisme ». Il n’est pas surprenant qu’après l’invasion de l’Ukraine, toute critique – ou même simple analyse – de la guerre ait été considérée comme une « aide au terrorisme » ou une « justification » de celui-ci.
En février 2024, Boris Kagarlitsky, l’un des intellectuels de gauche les plus populaires de Russie, a été condamné à cinq ans de prison pour avoir commenté la logique des actions de l’armée et des dirigeants politiques ukrainiens. Commenter pour essayer de comprendre. Et dans l’optique de la machine répressive, « comprendre » et « justifier » sont la même chose. Le mathématicien et antifasciste Azat Miftakhov, déjà en prison, a dit à un codétenu qu’il comprenait les motivations d’un anarchiste de 17 ans qui s’était fait exploser dans le centre d’accueil du FSB à Arkhangelsk pour protester contre la répression politique. Il a immédiatement été condamné à une nouvelle peine de quatre ans pour « justification du terrorisme ». La metteuse en scène Zhenya Berkovich est en prison depuis un an pour avoir réalisé un documentaire sur des femmes russes mariées à des combattants de l’EI. Et, bien sûr, pour avoir condamné la guerre en Ukraine.
Nous avons vu comment la « guerre contre le terrorisme » de Poutine est devenue un outil pour créer une dictature inhumaine. Aujourd’hui, à la suite de l’horrible attentat terroriste de Crocus City à Moscou, les médias pro-Kremlin montrent des agents de renseignement coupant l’oreille d’un suspect et électrocutant les parties génitales d’un autre. Les politiciens fidèles à Poutine demandent le rétablissement de la peine de mort. La torture et les exécutions n’aident pas à prévenir les attaques terroristes, mais elles créent efficacement un climat de peur, forçant la société à accepter que quiconque n’est pas d’accord puisse être envoyé dans un camp. De nombreux amis et proches sont tombés sous ce rouleau compresseur. Certains d’entre nous auraient pu être à leur place sans la solidarité et le soutien de nos camarades de la « France insoumise », grâce auxquels nous sommes en sécurité.
Ce qui arrive aujourd’hui à Mathilde Panot ou à Rima Hassan ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qui est arrivé à notre patrie. Les enjeux sont vraiment considérables. Ce n’est pas seulement une question de guerre et de paix quelque part au loin. C’est une question de liberté ici en France. Si on ne les protège pas ici aujourd’hui, on pourrait bien se réveiller demain dans une France poutinienne. A la différence des Russes, les Européens peuvent encore défendre la liberté dans les bureaux de vote, en votant pour l’Union populaire aux élections européennes du 9 juin.
Socialistes russes contre la guerre,
Alexei Sakhnin, politicien, militant d’initiative « Les socialistes russes contre la guerre »
Nika Dubrovskaya, anthropologiste
Dmitri Vilenski, artiste
Andrei Demidov, syndicalist russe, militant d’initiative « Les socialistes russes contre la guerre »
Liza Smirnova, journaliste, poète, militant de gauche et anti-guerre
Elmar Rustamov, militant d’initiative « Les socialistes russes contre la guerre »
Anton Karliner, photojournaliste, Journalists’ and Media Workers Union
Diana Karliner, journaliste, Journalists’ and Media Workers Union