Le 1er décembre 2018, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) était élu président de la république du Mexique avec 54% des voix. Une victoire implacable puisque le candidat conservateur était arrivé loin derrière, avec 22% des voix, et le candidat du PRI qui a gouverné le pays pendant 70 ans s’en était tiré avec un piteux 16%. Un basculement à gauche historique pour le pays qui partage 3500 km de frontières avec les Etats-Unis.
L’ampleur du triomphe d’AMLO fut totale. Il a été élu malgré la propagande du parti médiatique : le New York Times disait qu’AMLO « représentait une menace pour l’industrie du pétrole », le Wall Street Journal arguait qu’il était « un populiste démagogue qui utilise la rue pour accéder au pouvoir », les médias locaux insistaient sur « l’agressivité du candidat », sur « ses liens avec le Venezuela et Cuba »… bref, le menu classique sans imagination mis en place par l’oligarchie quand elle se sent en danger. Ça n’a pas fonctionné. Les gens n’ont pas été dupes, c’était la 3e fois que ça arrivait.
Et face à la brutalité du libéralisme, face à la fraude, face à la répression violente et parfois meurtrière, le peuple est parvenu à rétablir la démocratie. « La voie des urnes est la seule retenue par des citoyens qui rejettent la violence dont ils sont les premières victimes », avait dit Jean-Luc Mélenchon lors d’une conférence internationale organisée par Morena (le mouvement politique créé par AMLO) en décembre 2020, à l’occasion de célébrations des deux ans au pouvoir du président mexicain. Le sujet de cette conférence : « Les défis d’un monde post-néolibéral. »
Plusieurs personnalités d’Amérique latine et d’Europe avaient échangé leurs analyses et exprimé leur volonté d’agir de façon solidaire et coordonnée pour sortir de l’ère néolibérale. Jean-Luc Mélenchon avait mis l’accent sur l’impact de ces démonstrations pacifiques et l’accession au pouvoir de notre camp politique : pour le théoricien de l’ère du peuple, il s’agit de « révolutions citoyennes » qui prennent appui sur l’expérience et la détermination. Il considère que l’une des forces de la mouvance humaniste réside dans l’absolue nécessité de l’entraide pour surmonter les défis écologiques du 21ème siècle ainsi que les défis liés à la multitude humaine.
Les dirigeants politiques progressistes latino-américains et européens avaient alors salué la voie ouverte par le Mexique, qui compte parmi les pays les plus inégalitaires du monde : plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté pendant qu’une poignée de milliardaires s’enrichit toujours plus. Le Mexique a été le cobaye du lire-échangisme agressif, notamment depuis la signature de l’ALENA, accord de libre-échange avec les Etats-Unis dont l’agriculture industrielle a détruit l’agriculture paysanne mexicaine. En 1994, le Mexique était autosuffisant pour son alimentation et dépend aujourd’hui des Etats-Unis pour 40% de ses besoins ! Bref, l’ouverture totale du Mexique au capital états-unien a créé de la pauvreté et des vagues d’exil forcé aux Etats-Unis. L’élection de AMLO avait envoyé un signal puissant à tous les nôtres dans tout le continent : « La bataille n’est pas perdue, nous pouvons infliger des défaites à l’oligarchie et à sa patrie universelle : les Etats-Unis », comme l’avait écrit Jean-Luc Mélenchon dans une note de blog.
Et depuis son élection, AMLO n’a eu de cesse de constituer un horizon d’espoir et un exemple en terme de conquête de droits sociaux et de souveraineté alimentaire : il a fait interdire le glyphosate et le maïs transgénique par un décret qui entrera en vigueur en 2023. En 2021, la plus haute juridiction du Mexique a voté à l’unanimité la dépénalisation de l’avortement. Et le 10 avril 2022, le président a remporté son référendum révocatoire, le premier dans le pays et l’une des promesses de son parti Morena. La question qui fut posée au peuple mexicain : « Êtes-vous d’accord pour que le président des États-Unis mexicains, Andrés Manuel López Obrador, soit révoqué de son mandat pour perte de confiance ou qu’il poursuive comme président de la République jusqu’à la fin de son mandat ? ». Les Mexicains ont massivement voté en faveur de la continuation du mandat d’AMLO avec 91,86% des voix. Malgré une forte abstention, expliquée en partie par l’appel au boycott du référendum par les partis historiques du pays ainsi que par les institutions accusées d’avoir réduit le nombre de bureaux de vote disponibles, il reste que ce référendum constitue une pratique démocratique nouvelle. AMLO a créé un précédent : une façon de redynamiser la participation citoyenne dans un pays où les électeurs ont été dégoûtés par des décennies d’explosion des inégalités au bénéfice de quelques-uns, sans outils démocratiques mis à disposition des citoyens pour réagir. Dorénavant, cet outil existe.
Le référendum révocatoire est un élément clé du programme l’Avenir en Commun. Jean-Luc Mélenchon se rend au Mexique afin de voir « sa mise en œuvre concrète et en détails ». Au Honduras, c’est l’Assemblée constituante que souhaite convoquer le nouveau pouvoir en place qui l’intéresse. Et en Colombie, c’est le programme de Gustavo Petro, articulé autour de l’écologie, qu’il souhaite étudier.
C’est comme ça. C’est en Amérique latine, une fois de plus, « que ça se passe ». La région, géographiquement proche des Etats-Unis, connaît actuellement une vague de gauche populaire historique. AMLO au Mexique, Boric au Chili, Castro au Honduras, Petro en Colombie, Castillo au Pérou, Luis Arce en Bolivie et très certainement Lula au Brésil cette année. C’est dans cette région du monde que le néolibéralisme est né, c’est ici, donc, que des nouvelles formes d’organisations politiques, sociales et économiques sont inventées.
Nous terminerons cet article par les mots d’AMLO prononcés lors de son discours au Zocalo en décembre 2021 devant 250 000 personnes réunis-là pour célébrer la 3e année de son mandat : « Le plus important est que nous ayons jeté les bases de la transformation du pays. Au cours de ces trois années, nous avons changé la mentalité du peuple comme jamais auparavant, avec la révolution des consciences. Le changement de mentalité est ce qui nous a conduit à l’essentiel. Ils peuvent revenir en arrière sur des choses matérielles, mais pas sur la conscience du peuple mexicain ».