Cet article fait partie du dossier de la Révolution citoyenne

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La démocratie ne se meurt que si l’on croit qu’elle est acquise

Il y a de cela 13 ans, les yeux du monde s'ouvraient sur une scène qui allait devenir historique. Le monde arabe s'apprêtait à voir naître sa première démocratie, grâce à la mobilisation populaire historique des Tunisiennes et Tunisiens. Sous le slogan « Dégage », des centaines de milliers de Tunisiens ont pris la rue du sud au nord pour appeler au départ du régime dictatorial et tortionnaire de Ben Ali, qui régna sans partage sur le pays pendant 23 ans.

Ersilia Soudais est députée LFI-NUPES et membre de la Commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale.

L’histoire de Ben Ali prend fin avec la mise en lumière d’un homme qui symbolisait les oubliés de son régime : Mohamed Bouazizi, un vendeur tunisien ambulant qui n’a jamais possédé d’autorisation officielle pour vendre sa marchandise. Pendant sept ans, Bouazizi a subi une police et une administration auxquelles il ne pouvait verser de pots-de-vin. Les agents se servaient donc dans sa caisse, lui appliquaient des amendes ou lui confisquaient sa marchandise, voire sa balance. Sa frustration a touché à son paroxysme le 17 décembre 2010 quand, à 26 ans, le jeune Tunisien s’est immolé par le feu après une énième tentative de confiscation de sa marchandise. Bouazizi est devenu un symbole, et sa colère a contaminé toutes les rues de Sidi Bouzid, puis toutes les villes du Sud au Nord de la Tunisie.

La France, du mauvais côté de l’histoire

Au même moment, alors que Ben Ali commençait à entrevoir les premières failles de son pouvoir autoritaire, le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, lui apportait un ferme soutien. « Ben Ali assassin, Sarkozy complice », chantaient les opposants tunisiens exilés en France, devant l’ambassade tunisienne, avec l’espoir étouffé qu’ils pourraient revenir chez eux et construire une démocratie.

Le premier qui a brisé le silence, c’est le président de la commission des affaires étrangères de l’époque : « La Tunisie était un régime autoritaire, et c’est vrai qu’il y avait une dérive de l’autoritarisme du régime depuis la dernière réélection de Ben Ali que probablement la France n’a pas appréciée à sa juste mesure », a déclaré Axel Poniatowski, n’ayant pas peur de l’euphémisme.

En réalité, la vérité est toute autre : le gouvernement français a soutenu le régime de Ben Ali, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de le faire. Jusqu’à ce que Ben Ali soit dans son avion pour fuir son pays, dans la honte et sous les larmes de joie d’un peuple libre.

Le premier président démocratique de la Tunisie, Moncef Marzouki, l’a rappelé devant les bancs de l’Assemblée Nationale en 2012, alors que la droite avait déserté les bancs : « Une partie de la France officielle à soutenu Ben Ali. »

La Tunisie expérimente et impressionne. Élection d’une assemblée constituante qui aboutit à un régime parlementaire civil, malgré la pression islamiste pour en faire une théocratie. Élections présidentielles, législatives et municipales libres pendant dix ans. Foisonnement d’idées, de projets politiques et de nouveaux médias. « Depuis 2011, la Tunisie vit en ébullition permanente, comme portée par la redécouverte du débat public, trop longtemps confisqué par un parti et un clan », écrivent les chercheurs en science politique du CNRS, Vincent Geisser et Amin Allal, dans l’ouvrage Tunisie : une démocratisation au-dessus de tout soupçon ?

Les luttes féministes s’emparent du débat public jusqu’à ce que la commission parlementaire COLIBE en 2017 se mette à préparer un projet de loi pour l’égalité devant l’héritage. Les premières associations LGBTQIA+ se forment, se structurent et manifestent pour acquérir des droits malgré la pénalisation de l’homosexualité en Tunisie. Les luttes sociales des syndicats pour préserver le patrimoine public face aux recommandations libérales de l’UE et du FMI, les contestations des quartiers populaires contre les abus de la police, les manifestations régulières sur l’avenue Habib Bourguiba pour changer le réel,… La Tunisie était devenue un centre névralgique politique, où les citoyens parlaient et débattaient de la chose publique, dans la rue, dans les cafés, dans les universités et à la maison.

Dans son ouvrage L’ère du Peuple, publié en 2014, Jean-Luc Mélenchon expliquait le rôle prépondérant qu’a joué la révolution tunisienne dans la réflexion fondatrice des Insoumis. Qu’ils s’en aillent tous, c’est d’abord le dégagisme tunisien qui a repris son pays des mains d’un régime autoritaire, lui permettant de connaître une période de démocratie parlementaire durant plus de dix ans.

Cette période démocratique qu’a connu la Tunisie n’était évidemment pas toute rose : on n’oublie pas un islamisme politique qui a régné sur la scène politique, des partis de gauche qui se sont éparpillés par dizaines de groupuscules, une économie toujours gangrénée par la rente et la corruption, sous le diktat du FMI et des agences de notation, et des attentats qui ont tué des centaines de Tunisiennes et Tunisiens, ainsi que deux de nos camarades de gauche radicale, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi.

En quelques années, la Tunisie a découvert tous les aspects des crises que connaissent les démocraties modernes. Jusqu’au 25 juillet 2021.

Une restauration autoritaire

Le président Kais Saied a décidé, après une interprétation de la constitution pour le moins abusive, d’envoyer l’armée pour fermer le parlement élu. La France « s’inquiète » mais observe tranquillement. De l’Égypte de Sissi dont les prisons sont remplies de milliers de détenus d’opinions à l’Arabie Saoudite qui massacre des opposants, les régimes autoritaires de la région jubilent : c’est la fin de l’expérience démocratique tunisienne, avec un peuple dont la colère a été exploitée et dirigée contre le parlement, les syndicats, la presse et tout ce qui faisait l’exception tunisienne. En bon sarkozyste, Emmanuel Macron s’adapte et finit par adouber le nouveau régime de Kais Saied en l’accueillant en France régulièrement et en fermant les yeux sur les exactions de son gouvernement. Les feux étant au vert, l’an dernier, le président tunisien écrit sa propre constitution et la propose au peuple par référendum, scrutin que les oppositions boycottent massivement.

Le président Kais Saied a décidé, après une interprétation de la constitution pour le moins abusive, d’envoyer l’armée pour fermer le parlement élu. La France « s’inquiète » mais observe tranquillement. De l’Égypte de Sissi dont les prisons sont remplies de milliers de détenus d’opinions à l’Arabie Saoudite qui massacre des opposants, les régimes autoritaires de la région jubilent : c’est la fin de l’expérience démocratique tunisienne, avec un peuple dont la colère a été exploitée et dirigée contre le parlement, les syndicats, la presse et tout ce qui faisait l’exception tunisienne. En bon sarkozyste, Emmanuel Macron s’adapte et finit par adouber le nouveau régime de Kais Saied en l’accueillant en France régulièrement et en fermant les yeux sur les exactions de son gouvernement. Les feux étant au vert, l’an dernier, le président tunisien écrit sa propre constitution et la propose au peuple par référendum, scrutin que les oppositions boycottent massivement.

« Qui traverse la mer, peut traverser un ruisseau », dit un proverbe tunisien. À Tunis, dans chaque manifestation, on retrouve un des derniers opposants encore en liberté : notre camarade Hamma Hammami, qui résiste et qui insiste : « Kaïs Saïed aura le même sort que Ben Ali, qui a affamé le peuple tunisien ! » C’est la faim du peuple tunisien qui a dégagé Ben Ali, et si l’on croit la gauche tunisienne, c’est ce même dégagisme que Kais Saied exploite pour annihiler la démocratie tunisienne qui lui coûtera son régime.

La démocratie ne se meurt que si l’on croit qu’elle est acquise et que la révolution est finie. Le 14 janvier 2011 n’était que le commencement d’une ère historique pour le monde qui vit sa première restauration. Une fois que l’on a goûté à la liberté, peut-on réellement revenir en arrière ? Combien de temps le peuple tunisien pourra-t-il supporter cela ? Quel que soit le pays, une vérité reste universelle : ceux qui réduisent nos libertés, ceux qui confisquent nos droits, finissent toujours par s’en aller. C’est à nous de faire mieux pour les remplacer.

Joyeuse fête de la révolution aux camarades tunisiennes et tunisiens qui résistent !

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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