A travers plusieurs exemples édifiants, l’article montre que la défaite des Démocrates trouve ses racines dans le choix de courir vainement après l’électorat « républicain modéré » et les thèmes imposés par Donald Trump, au lieu de tenter de reconquérir l’électorat populaire historique du camp Démocrate : revirement sur l’abandon de l’extraction du gaz de schiste, renonciation à la création d’une couverture maladie digne de ce nom, adhésion au discours anti-migrants, soutien revendiqué de Dick Cheney – néoconservateur principal inspirateur de la désastreuse invasion de l’Irak -, quand Trump se présentait fièrement en « candidat de la paix »… La campagne de Kamala Harris a méthodiquement réitéré toutes les erreurs déjà commises par Hillary Clinton lors de la première victoire de Trump en 2016.
« Les Républicains n’accordent aucun crédit aux Démocrates lorsqu’ils deviennent plus conservateurs. Par exemple, M. Trump s’est acharné sur Mme Harris en raison de son soutien antérieur à l’interdiction de la fracturation hydraulique. Il ne l’a pas félicitée d’avoir changé de position, il s’est contenté de dire qu’elle était malhonnête et qu’elle soutenait toujours l’interdiction. Je pense qu’il est plus politique de défendre simplement ses positions plutôt que d’en changer de manière opportuniste. D’expliquer les graves dégâts causés par la fracturation. Mme Harris pensait qu’il était politiquement néfaste de critiquer la fracturation parce qu’elle avait besoin de gagner la Pennsylvanie, mais un rapport du Wall Street Journal a montré que la fracturation n’est en fait pas aussi populaire ou économiquement importante qu’on le dit souvent. Au lieu d’essayer de comprendre ce que vous pensez que l’électeur moyen croit, puis d’insister sur le fait que vous y croyez aussi, essayez de trouver le moyen de transmettre ce que vous croyez en réalité. N’essayez pas de rivaliser avec Trump en vous vantant de pouvoir produire la plus grande quantité de pétrole et de gaz. Au lieu de cela, expliquez le danger que nous fait courir la catastrophe climatique et montrez comment Trump va aggraver le problème.
Rejeter Medicare For All (l’assurance maladie pour tous), par exemple, implique à la fois que vous êtes d’accord avec les Républicains pour dire que Medicare For All c’est mauvais, et donne l’impression que vous ne l’avez soutenue que parce que vous pensiez que c’était un moyen d’obtenir des votes en 2020. Ce n’est pas une bonne chose. Il est préférable d’expliquer les arguments en faveur de Medicare For All, qui sont solides ! Au lieu de cela, les projets de Mme Harris en matière de soins de santé étaient flous et faibles, et ne feraient vraisemblablement pas une grande différence dans les coûts des soins de santé. Par exemple, son projet de rendre les soins de santé « abordables » en renforçant l’Affordable Care Act (loi sur les soins abordables) est risible. L’ACA n’a absolument pas réussi à rendre les soins de santé abordables, et les crédits d’impôt de Biden sur les primes qu’elle aurait pu maintenir constitueraient simplement une nouvelle subvention au secteur privé de l’assurance maladie.
Trump a fait campagne sur une marotte anti-immigrés terrible, diabolisant les Haïtiens comme des mangeurs de chats et promettant un programme d’expulsion de masse. Mme Harris aurait dû répondre par une défense déterminée des immigrants, en soulignant leurs contributions à la vie américaine et en faisant honte à M. Trump pour sa cruauté. Elle aurait dû promettre de résoudre les problèmes de notre système d’immigration par des mesures humaines offrant une voie d’accès à la citoyenneté, plutôt que de s’appuyer sur l’expulsion forcée. Au lieu de cela, elle a refusé de s’engager à soutenir ne serait-ce que les Dreamers (les migrants d’Amérique latine), et j’ai été plutôt surpris lorsque, lors de son débat avec Donald Trump, au lieu de défendre énergiquement les immigrants après sa réplique « ils mangent les animaux domestiques », elle a choisi de se vanter du nombre d’anciens chefs militaires américains qui l’avaient soutenue !
De nombreuses erreurs commises par Mme Harris sont similaires à celles commises par Hillary Clinton en 2016. Comme Clinton, Harris s’est acoquinée avec des donateurs milliardaires. Mark Cuban, par exemple, a déclaré qu’il était ravi que Harris abandonne les engagements des Démocrates envers les principes progressistes et laisse le monde des affaires proposer les politiques qu’il souhaite. À l’instar de Mme Clinton, Mme Harris et Tim Walz ont fait des événements de campagne démesurés dans des États bien rouges (républicains) comme le Texas et le Kentucky, au lieu de passer les derniers jours à se concentrer sur des batailles cruciales. Comme Clinton, Harris a mis l’accent sur l’appui de célébrités tout en ne réussissant pas à courtiser les syndicats. (Les Teamsters ont notamment refusé de la soutenir après qu’elle a refusé de s’engager à ne pas briser une grève nationale des chemins de fer). Comme Clinton, Harris s’est trop concentrée sur le danger que représente Donald Trump (qui est bien réel) et pas assez sur les raisons pour lesquelles elle serait elle-même une bonne présidente.
Comme Clinton, Harris a finalement opté pour une stratégie consistant à essayer de détourner les électeurs républicains modérés de Trump, estimant que cela n’avait pas d’importance si cela aliénait les électeurs progressistes et la base démocrate. Chuck Schumer, parlant de la stratégie d’Hillary en 2016, promettait tristement : « Pour chaque Démocrate col bleu que nous perdrons dans l’ouest de la Pennsylvanie, nous récupérerons deux Républicains modérés dans la banlieue de Philadelphie. Et vous pouvez répéter cela dans l’Ohio, l’Illinois et le Wisconsin ». En fait, ils ont juste perdu les Démocrates en col bleu et n’ont pas récupéré les Républicains ! En 2024, Mme Harris a elle aussi vanté les mérites des Républicains, promis de nommer un Républicain dans son cabinet (c’était même sa réponse à la question de savoir ce qu’elle aurait fait différemment de Biden) et est allée jusqu’à faire l’éloge de Dick et Liz Cheney ! Cette stratégie a été un échec cuisant. Parce qu’elle voulait amadouer à la fois les Républicains et les électeurs progressistes, Mme Harris a dû se laisser aller à son penchant pour les salades de mots vides de sens, car des prises de position significatives auraient pu aliéner l’un de ces groupes d’électeurs. Trump, qui sait se présenter comme plus anti-guerre que les Démocrates, a fait remarquer à juste titre qu’un soutien de la part des faucons Cheney devrait être une marque de honte, et non d’honneur. (Plus précisément, il a déclaré que M. Cheney était « le roi des guerres interminables et absurdes, qui gâchent des vies et des milliards de dollars, tout comme la camarade Kamala Harris. Je suis le Président de la Paix, et je suis le seul à pouvoir arrêter la Troisième Guerre Mondiale !). Après tout cela, Harris n’a pas réussi à convaincre plus de Républicains que Joe Biden !
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Voilà, nous y sommes, et c’est exaspérant, car nous avons déjà vu cela se produire une fois en 2016. (L’expression « la première fois une tragédie, la deuxième une farce » me vient à l’esprit, sauf que nous en sommes maintenant à trois ou quatre farces). La leçon à tirer par les dirigeants démocrates en 2016 aurait dû être que Bernie Sanders avait raison, que le parti avait trahi les électeurs de la classe ouvrière et qu’il serait condamné s’il ne parvenait pas à contrer efficacement l’attrait pseudo-populiste de Trump par une alternative visionnaire. (Voir l’excellente analyse de Thomas Frank dans Listen, Liberal.) Malheureusement, les leçons n’ont pas été tirées à l’époque, et il ne semble pas qu’elles le seront aujourd’hui non plus ! »
retrouvez l’original en anglais : https://www.currentaffairs.org/news/once-again-democratic-leadership-has-failed-us-all