Le premier tour de l’élection présidentielle française a démontré la recomposition du paysage politique française, la croissance de la pensée de droite et l’urgence d’une réorganisation de la gauche du pays.
L’élection a confirmé le déclin historique du principal parti social-démocrate – le Parti socialiste (PS), parallèlement à celui de son équivalent historique de centre-droit, de nos jours connu sous le nom Les Républicains (LR).
Les électeurs de centre-droit se sont désormais séparés de LR, les conservateurs modérés se déplaçant vers le parti d’Emmanuel Macron, La République en Marche – qui devient ainsi la force politique dominante qui reflète les intérêts du capital. Les nationalistes se sont eux déplacés vers la droite et le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen.
Ces deux partis du centre et de la droite dominent désormais la scène politique et sont qualifiées pour le second tour. De son côté, le PS échoue à se qualifier au second tour pour la deuxième fois consécutive – la troisième en cinq élections présidentielles.
Cependant, il existe des signes d’une réorganisation de la gauche autour de l’ancien membre du Parti socialiste, Jean-Luc Mélenchon, et de son parti La France insoumise, qui représente plus efficacement la gauche progressiste.
L’histoire des élections présidentielles de ces cinquante dernières années a vu une inversion inéluctable du succès des deux courants politiques dominants avec des organisations aux pensées politiques innovantes.
Tout au long de cette période, le PS a constamment été la force politique dominante à gauche.
De son côté, la droite dominante était représentée par toute une variété d’organisations politiques successives, de l’Union pour la démocratie française (UDF) de Giscard d’Estaing au Rassemblement pour la République (RPR) de Chirac, rebaptisé plus tard Union pour un mouvement populaire (UMP) et plus récemment, la structure existante aujourd’hui, Les Républicains (LR).
En 1974, François Mitterrand, candidat du PS, et Valérie Giscard d’Estaing, future fondateur de l’UDF de centre-droit, obtiennent à eux deux 76 % des voix au premier tour. En 2022, leurs successeurs politiques, Anne Hidalgo pour le PS et Valérie Pécresse pour LR, ont obtenu à deux 6,5 %.
Dans le même temps, les partis identifiables de gauche et de droite, en lice pour le premier tour présidentiel, autres que les deux formations historiquement dominantes, sont passés de 22 % des suffrages au premier tour en 1974 à 93 % des suffrages en 2022.
Le déclin des deux partis a été progressive mais s’est accélérée depuis le début du XXIème siècle. 2002 a d’abord vu le PS échouer la qualification au second tour, battu pour la première fois par le Front national d’extrême droite de Jean-Marie Le Pen. L’ordre a été rétabli en 2007 et 2012, mais le PS a de nouveau perdu en 2017 et 2022 face à En marche de Macron et au Rassemblement national de Le Pen avec moins de 6 % des voix puis moins de 2 %.
Ce déclin du PS se reflète dans les élections à l’Assemblée nationale, qui se tiendront à nouveau dans quelques semaines. En 2017, le PS a obtenu 7,4 % des voix au premier tour.
Le déclin du PS peut être vu dans le contexte d’un déclin à l’échelle européenne de la gauche sociale-démocrate qui coïncide particulièrement avec l’abandon de la politique de lutte des classes qui donnait la priorité aux revenus de la classe ouvrière et au secteur public, un échec à capitaliser sur la crise capitaliste lors du krach bancaire de 2008 et une difficulté à répondre aux attaques de la droite contre les minorités. Des accords avec des intérêts privés ont vu l’aliénation des électeurs de la classe ouvrière. Pour eux, c’était la porte ouverte à soutenir d’autres partis ou à ne pas participer du tout au jeu démocratique.
Au cours de cette période, les sociaux-démocrates en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Irlande et plus notablement en Grèce se sont affaiblis alors qu’ils n’ont pas réussi à contester les attaques économiques punitives contre leur base électorale, tandis que le Parti travailliste est écarté du pouvoir depuis 2010 au Royaume-Uni. Les forces de gauche social-démocrate qui réussissent sont visibles en Espagne et au Portugal, où elles se sont appuyées sur une gauche plus radicale pour exercer le pouvoir, et plus récemment, une victoire serrée pour le SPD allemand après 16 ans de régime conservateur.
La dernière fois que le pouvoir était aux mains du PS, c’était de 2012 à 2017 sous la présidence de François Hollande. Une période marquée par le reniement de promesses de campagne. Cette dernière avait pourtant adopté une tonalité fortement ancrée à gauche. Une accélération de l’aliénation des électeurs de la classe ouvrière s’en est donc suivie. La réduction de l’âge de la retraite, le développement du logement social et la hausse de l’impôt sur la fortune n’ont pas été appliqués.
Pendant des décennies, il y avait une logique à ce que les petits partis de gauche se présentent au premier tour d’une élection présidentielle, étant établi que le Parti socialiste était assez fort pour se maintenir et représenter la gauche au second tour. Cela s’est traduit par l’échec de Lionel Jospin en 2002, échec répété en 2017 et 2022.
Ces petits partis tentaient d’obtenir une publicité gratuite de leur programme politique, une façon de faire pression sur le courant de gauche dominant pour qu’il accepte une partie de leurs propositions. En échange, c’était un soutien, à contrecœur, des socialistes au second tour.
L’effondrement historique du PS et le processus à deux tours de l’élection présidentielle signifiaient qu’il fallait une unité autour de Mélenchon pour que la gauche atteigne le second tour. Ségolène Royal, candidate du PS non élue à la présidence en 2007, a publiquement condamné Anne Hidalgo et d’autres concurrents de gauche pour s’être présentés cette année. La base électorale historique du PS s’est scindée dans différentes directions, les centristes rejoignant La République en Marche de Macron tandis que Mélenchon incarne le peuple de gauche.
La participation des petits partis de gauche a finalement empêché la gauche d’être représentée au second tour. Parmi ces partis l’on retrouve désormais le PS, mais aussi les écologistes, les communistes et les partis trotskystes – ces derniers s’étant toujours présenté par le passé dans des candidatures de témoignage.
Mélenchon avait proposé une augmentation du salaire minimum national et des salaires du secteur public, la réduction de l’âge de la retraite et l’indexation des pensions sur les salaires. Ajoutez à cela l’introduction de nouveaux contrôles sur les tarifs de l’électricité, du gaz et de l’eau. Sur le logement, il s’est engagé à interdire les expulsions, à réglementer les loyers et à construire 200 000 logements sociaux par an. Sur l’énergie, il a promis une transition vers 100 % d’énergies renouvelables parallèlement à une sortie progressive de l’énergie nucléaire.
Le bilan de Macron en tant que président a été une diminution de la place de l’État-providence et des droits des travailleurs. Ainsi, il a mis en place une réduction de la sécurité sociale accompagnée d’une réduction de la fiscalité pour les plus riches, facilitant l’embauche et le licenciement tout en augmentant l’âge de la retraite. Il a également cédé à la rhétorique et aux politiques racistes de Le Pen en instituant des lois islamophobes interdisant aux femmes musulmanes de porter le foulard dans certaines situations. Un tel programme n’est pas attrayant pour la gauche au second tour.
Néanmoins, la tâche de la gauche est désormais de voter pour le centriste Macron pour vaincre Le Pen. Sans aucune illusion. La présidence de Macron a permis à l’extrême droite de se développer et la gauche s’est montrée indulgente en ne s’accordant pas autour d’un projet politique commun, nécessaire au mode de scrutin présidentiel.
Les élections législatives de l’Assemblée nationale de juin de cette année sont un scrutin complètement différent, mais avec un Macron vainqueur de l’élection présidentielle, la gauche devra maximiser le rapport de force à l’Assemblée pour contester ses attaques attendues contre la classe ouvrière.
Cependant, Macron ne peut pas tenir les électeurs de gauche pour acquis. Il a pour tâche de séduire les 30 % qui ont voté pour les partis de gauche et sont hostiles à son programme, une stratégie que tente également Le Pen. S’il n’y arrive pas, il y a un risque réel que Le Pen entre à l’Élysée dans quelques semaines.