En 1964, Che Guevara lui a demandé de « lutter contre les travers du capitalisme ». C’est ce que le professeur, député et écrivain suisse Jean Ziegler s’est attelé à faire toute sa vie. Nommé rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, il est aujourd’hui vice-président du comité consultatif des Droits de l’Homme aux Nations-Unies – des fonctions qui l’ont rendu témoin de la pauvreté, de la misère et des inégalités dans le monde.
Dans l’entretien que nous avons réalisé avec lui, il fustige le capitalisme qui est, selon lui, un ordre « cannibale ». En quoi la crise du coronavirus pourrait remettre en cause ce système ? Pourrait-elle rebattre les cartes et mener à une révolution ? Jean Ziegler en est certain…
Clique : Vous avez écrit le livre Le capitalisme expliqué à ma petite fille, en espérant qu’elle en voit la fin. Aujourd’hui, on se rend compte que les sociétés occidentales dépendent de la croissance, du cycle ininterrompu de l’équilibre production-consommation. Est-ce que ce système a déjà été aussi fragilisé qu’en ce moment de confinement ?
Jean Ziegler : Tout d’abord, j’aimerais dire une chose : nous vivons sous la dictature des oligarchies du capitalisme financier qui dominent le monde. Je vous donne un chiffre de la Banque mondiale : l’année dernière, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées, tous secteurs confondus, ont contrôlé 52,8% de toutes les richesses produites sur la planète. Ils dictent leurs lois aux États les plus puissants, qui dépendent d’eux.
Donc oui, cet ordre capitaliste du monde est remis en question gravement et a montré sa fragilité depuis le début de la pandémie actuelle. Tout à coup, le gouvernement français découvre qu’il dépend totalement de puissances périphériques pour des substances qui sont vitales pour la population. Par exemple, le fait qu’il y ait eu une pénurie de masques, le fait qu’il manque des médicaments qui sont déterminants pour combattre le virus, parce qu’ils sont fabriqués en Inde et en Chine. Le capital va toujours là ou il fait un maximum de profit, c’est-à-dire où les frais de production sont les plus bas. Donc le principe de la maximalisation du profit se révèle comme étant un principe meurtrier.
Ce qu’il faut faire, c’est démondialiser le plus rapidement possible le secteur de la santé.
On l’a vu dans le domaine de la santé, mais aussi dans le domaine de l’alimentation. Par exemple, en ce moment, il y de plus en plus de supermarchés qui s’approvisionnent avec des produits français. Et dans le monde, les pays qui vivent sur l’importation de nourriture connaissent des pénuries alimentaires. Est-ce qu’arriver à une autosuffisance nationale des produits de santé et des aliments de base serait une solution ?
Oui. L’État découvre que son pouvoir normatif sur la santé est érodé. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est démondialiser le secteur de la santé, le secteur de l’alimentation et requalifier les salaires de ceux qui assurent le bien-être de la population. Pour nous sortir de cette loi désastreuse de la maximalisation du profit, il faut rapatrier la production. Et enfin, établir des réseaux de solidarité.
Il faut que les rapports avec l’Afrique changent radicalement. Ce sont encore des rapports d’exploitation néo-coloniaux.