Cet article fait partie du dossier de la Révolution citoyenne

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« Il y a bien du miracle dans cette révolution » estime Saïd Sadi, ancien député algérien

L’image restera sans doute dans l’histoire de la révolution du Sourire. Nous sommes le 19 février 2019 à Khenchela, ville moyenne de l’est algérien. Couvrant la façade des deux étages du siège de la municipalité, la toile géante où figurait un homme grabataire postulant à un cinquième mandat présidentiel est brutalement arrachée par de jeunes manifestants. La plupart d’entre eux n’a connu que le régime de Bouteflika.

Ce texte est l'avant-propos du livre "Révolution du 22 février : un miracle algérien" publié en octobre 2019 par le Docteur Saïd Sadi, ancien député et ancien candidat à l'élection présidentielle en Algérie.

La scène n’est pas sans rappeler certaines fins de règne de dictateurs des temps modernes comme le lynchage de Mussolini ou le saccage de la statue de Saddam Hussein.
Autre symbole fort. Trois jours auparavant, le 16 fevrier, la localité de Kherrata, l’un des sites martyrs de la terrible répression coloniale de mai 1945, manifeste massivement pour rejeter un indécent cinquième mandat et, plus généralement, le système qui a pris en otage le pays depuis l’indépendance.

Les deux événements attestaient d’un basculement politique qui avait gagné l’Algérie profonde, vivier traditionnel de la pieuvre FLN, parti unique ayant servi de vitrine civile à l’armée.
Le 22 février le peuple citoyen se lève fièrement, résolument et pacifiquement dans une unité insoupçonnée. L’aube d’une nouvelle ère apparaissait enfin.

Un miracle. C’est le mot qui m’est spontanément venu à l’esprit quand j’ai vu que les jeunes et les femmes, considérés comme les segments sociaux les plus captifs d’un système inamovible, se sont mis au devant d’une insurrection citoyenne que plus personne n’attendait. Certes, le mot miracle peut paraître quelque peu excessif pour deux raisons au moins. Un miracle est un évènement déjà accompli, ce qui n’est pas le cas du mouvement du 22 février, loin s’en faut. Par ailleurs, le terme pourrait accréditer une certaine rhétorique, fausse et injuste sinon injurieuse pour la mémoire, qui distille l’idée que rien n’a précédé ce moment magique alors que des générations, sans autre bagages que leur foi en la vérité, la liberté et la justice, ont sacrifié temps, biens, liberté et, pour certains, vie. Mais comment ne pas apprécier cette alchimie qui a révélé des années de frustrations par un souffle de fraicheur collective exigeant une rupture politique et institutionnelle radicales dans une société longtemps bridée et qui n’a pas pu engager une action libératrice solidaire et durable.

Nous revenions de loin. A force de museler la parole et de soumettre les consciences, le système algérien a fini par user les énergies les plus vigoureuses et éroder les intelligences les plus aiguisées. Jouant de la culpabilité post coloniale, il s’est acheté le silence universel. Cette complicité internationale implicite ou explicite a considérablement aggravé le désarroi du citoyen. Dans l’agora, la vulgate populiste avait fini par imposer une tétanisante absurdité : la remise en cause d’un ordre politique ayant dévasté le pays était non seulement interdite mais indigne de la nation. Dans l’intimité, personne n’était dupe de la supercherie mais les manifestations générales et unanimes pouvant contester efficacement l’affront ont fait défaut.

Pourtant, les scènes d’arrogance, de mépris et de provocante humiliation n’ont pas manqué. Récemment des Algériens, parmi lesquels certains ont livré bataille contre le colonialisme, ont assisté impuissants à des cérémonies défiant tout entendement. On a vu des files d’affidés faire la queue devant le poster du président candidat pour lui déposer des offrandes.

Les observateurs de la scène algérienne savaient que la colère était vive et que le divorce entre dirigeants et citoyens était consommé de longue date. Dès lors, certains diront qu’il n’y a rien de surprenant dans ce sursaut.
Est-ce si sur ? Peut être pas.

Il y a bien du miracle dans cette révolution. Si les conditions d’une explosion générale étaient largement réunies, la maturité et le calme avec lesquels s’est exprimé le peuple a surpris tout le monde.

Tout se passe comme si une ferveur intime s’était soudainement et simultanément incrustée dans l’esprit des Algériens, les chargeant d’un impérieux devoir de responsabilité corrélé à la pondération, à l’écoute et au respect de l’Autre.

Aspect miraculeux encore car cet élan révolutionnaire, toujours sans organisation hiérarchisée au moment où sont écrites ces lignes, ne s’est pas contenté de rejeter un système autocratique et obsolète. Il a formulé les grands axes d’une perspective démocratique. Et quels axes ! Ceux qui fondent un « Etat civil et non militaire » que revendiquent les citoyens chaque semaine. Ceux-là mêmes qu’une caste oligarchique s’est acharnée à combattre avant de les diaboliser depuis un certain mois d’aout 1957 au Caire. Le groupe populiste du FLN, appuyé par des forces extérieures, avait alors renié le principe de la primauté du politique sur le militaire arrêté au congrès de la Soummam une année auparavant par les délégués des forces combattantes de l’intérieur.

Ce sont les aspirations réprimées 62 ans durant qui animent la rue algérienne. Justice immanente dont il fallait se faire l’écho avant que les rumeurs d’une société toujours dominée par l’oralité et les fureurs d’un régime népotique agonisant mais encore toxique ne viennent en altérer l’acuité et la pertinence.

Le témoignage est un combat, aimait à dire le journaliste Jean Lacouture, grand ami du peuple algérien.

Ces contributions sont des grilles de lecture produites sur le vif, des réflexions avertissant en temps réel sur les risques militaro-populistes qui peuvent, une fois encore, retarder voire bloquer une refondation nationale nécessairement dérangeante pour des potentats coutumiers de la gestion prédatrice. Les mouvements historiques sont rarement similaires mais les risques d’avortement sont toujours patents dans les phases de grandes mutations socio-politiques. Comme en 1957, des forces rétrogrades manoeuvrent pour dévoyer ou dévitaliser la dynamique révolutionnaire. Comme en 1957, on assiste aux intrusions d’interférences étrangères déterminées à maintenir l’Algérie dans leur sphère d’influence pour y consolider le règne des féodalités omnipotentes.

Plus fondamentalement, ces communications décrivent et analysent les différentes phases de ce soulèvement inédit. Elles en ont suivi attentivement les diverses évolutions afin de préserver leurs vérités factuelles. Combien de fois le devenir national a-t-il été contrarié par les mutilations ou les falsifications de l’Histoire ? Ces interventions invitent aussi à discuter autour de propositions organisationnelles devant consacrer toute révolution démocratique. L’imprévoyance politique encouragée par un enthousiasme bon enfant – compréhensible dans une société privée de convivialité mais potentiellement préjudiciable aux nécessaires adaptations des luttes-, la sous-estimation des capacités manœuvrières du pouvoir ou de sa brutalité sont autant de périls sur lesquels il a fallu alerter en permanence quitte à paraître redondant sur certains sujets.

Puissent enfin ces écrits contribuer à éclairer les études qui auront à se pencher, demain, sur ce moment unique, précieux et fragile de la vie de notre jeune nation.

En tout état de cause, la ferveur révolutionnaire du 22 février a déjà marqué son époque. Indépendamment de son issue politique immédiate, elle aura réveillé et mobilisé les ressorts de la citoyenneté. Ce faisant elle a prouvé qu’un consensus national démocratique respectant l’altérité était une réalité dans la société algérienne. Concomitamment, elle a démontré que le système qui a confisqué notre destin individuel et collectif au lendemain de la guerre de libération, s’il peut encore manifester quelques dangereux spasmes , n’empêchera pas la naissance de la nouvelle Algérie.
La gestation démocratique peut être laborieuse et longue avant l’accouchement. Mais dans leur imaginaire collectif les Algériens savent maintenant que l’avènement d’une matrice nationale civile assumant le passé et répondant aux exigences du futur est à l’œuvre.

Le 15 octobre 2019

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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