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Du Mali à la Guinée, Thomas Dietrich revient sur les reconfigurations de la Françafrique

Thomas Dietrich est un ancien haut-fonctionnaire et spécialiste de l'Afrique. Interviewé par Le Vent Se Lève, il revient sur l'actualité tumultueuse du continent africain. Des réélections contestées en Côte d'Ivoire ou en Guinée, un coup d'État au Mali... Il livre ses analyses sur les évolutions et reconfigurations de la Françafrique.

Cet entretien réalisé par Tangi Bihan et Etienne Raiga-Clemenceau pour le média Vent Se Lève. Il a été publié le 2 décembre 2020

Le Vent Se Lève – En Guinée, Alpha Condé semblait être un des symboles de la Françafrique. On sait qu’il était très proche de Bernard Kouchner (ancien ministre des Affaires étrangères) et de Nicolas Sarkozy. Il y a l’exploitation du port de Conakry par Vincent Bolloré, des accords pour exploiter les mines avec d’autres entreprises françaises, etc. Pourtant, sa réélection, survenue après une réforme constitutionnelle très contestée, a été mise en cause par la France qui « partage les interrogations exprimées par l’Union Européenne sur la crédibilité des résultats ». Peut-on dire que cette position de la France signale un basculement dans la Françafrique ?

Thomas Dietrich – Non, parce que la Guinée a toujours été à part. C’est un pays qui a rejeté, par un référendum, la Communauté voulue par le Général de Gaulle. Ce pays est sorti de la Françafrique en 1958 et n’utilise pas le Franc CFA. Son président Sékou Touré – au pouvoir de 1958 à 1984 – était un dictateur sanguinaire, mais s’était opposé aux réseaux de Jacques Foccart – l’homme de la Françafrique – et celui-ci a essayé de le tuer à plusieurs reprises. Alpha Condé, au pouvoir depuis 2010 après plus de 30 ans en exil, était le symbole des opposants africains démocrates, condamnés à mort, qui avaient tout sacrifié pour leur pays. Arrivé au pouvoir avec l’appui du ministre Kouchner et des réseaux socialistes, il a vite déçu. Il se prenait pour Mandela alors qu’il était Bokassa. Très tôt il y eu des répressions terribles, qui ne cessent de s’aggraver.

Alpha Condé, Wikimedia commons

En 2020, il modifie la Constitution pour effectuer un troisième mandat et organise des élections qu’il truque. La France a condamné ce putsch constitutionnel, mais c’est très timide à mon sens. Pourtant, Alpha Condé est finalement peu entouré de Français. Il fait des affaires avec les Russes ou les Chinois, notamment dans la bauxite et le fer. Les Français ne sont pas les plus importants dans cette clique d’affairistes.

Le président, à 82 ans, est prêt à noyer son pays dans le sang, et créer des clivages ethniques pour se maintenir au pouvoir avec l’appui d’un clan qui se remplit les poches avec la bauxite, l’or, le diamant, etc. Ce pays est un scandale géologique, la plus grosse mine de fer d’Afrique est à Simandou et des capitaux immenses en jeu. Suite au trucage des élections et de la répression sanglante de l’opposition, deux plaintes ont été déposées contre lui à la Cour pénale internationale. La Procureure générale Fatou Bensouda, en fin de mandat, s’est dite très préoccupée par ce qui se passe actuellement.

La Françafrique ne ressemble plus à celle de Jacques Foccart. À l’époque, une certaine stratégie gouvernait, même si elle était profondément détestable et machiavélique. De Gaulle avait cet homme et des vassaux partout en Afrique : ces potentats africains permettaient aux entreprises françaises de continuer leurs affaires malgré la fin formelle de la colonisation. Tout ça a tenu un certain temps, avec une césure à la fin du mandat de Jacques Chirac et au début de celui de Nicolas Sarkozy, même si Jacques Foccart meurt bien avant, en 1997.

Le Vent Se Lève – Dans ce cas, comment se reconfigure la Françafrique ?

Thomas Dietrich – Aujourd’hui cette Françafrique-là n’existe plus. Il n’y a plus une Françafrique, mais des Françafriques. Il y a d’abord les réseaux militaires de Jean-Yves le Drian, soutien de nombreux dictateurs dont Idriss Déby au Tchad. Le centre de gravité de la politique française en Afrique est clairement passé des diplomates aux militaires sous Hollande.

Evelyne Decorps, ancienne ambassadrice au Tchad et au Mali, avait critiqué la toute-puissance des militaires, le fait qu’on se concentre sur le tout-sécuritaire, qu’on ne réfléchisse absolument pas, dans la lutte contre les terroristes, aux raisons qui poussent certaines populations à rejoindre les terroristes, l’absence de développement, d’écoles, de routes, d’hôpitaux.

Car c’est la misère et la mauvaise-gouvernance qui précipite les gens dans les bras des djihadistes, eux qui ont des revenus grâce aux trafics. À la suite de sa remise en cause du lobby militaire, Evelyne Decorps a été démise de ses fonctions d’ambassadrice au Mali et envoyée aux Terres Australes.

En plus des réseaux militaires, il y a les réseaux affairistes.

Plusieurs réseaux s’affrontent, ceux de Nicolas Sarkozy, les réseaux socialistes, etc. On peut prendre l’exemple de la Côte d’Ivoire, où une mine d’or était détenue par Alexandre Djouhri et Pascale Perez, celle qui aurait aidé Alexandre Benalla à se cacher avec le fameux coffre que la police n’a pas réussi à retrouver. Ces réseaux s’affrontent avec parfois des intérêts divergents. Par exemple, en 2016, pendant les élections présidentielles au Gabon, les réseaux sarkozystes soutenaient plutôt Ali Bongo alors que d’autres réseaux plus à gauche soutenaient plutôt son opposant Jean Ping.

Mais il n’y a plus de logique. La France a perdu son monopole sur ses anciennes colonies, d’autres acteurs arrivent et notre pays a perdu de son influence. Jacques Foccart était prêt aux pires horreurs, pour préserver du pré-carré français en Afrique, et de puissants intérêts économiques.

Aujourd’hui, je ne suis pas certain que la Françafrique soit dans l’intérêt de la France. Les réseaux se servent eux-mêmes avant de servir la France. Ils s’affrontent, ce qui rend incompréhensible la politique française en Afrique.

La France a perdu son monopole sur ses anciennes colonies, d’autres acteurs arrivent et notre pays a perdu de son influence. Pourtant, ceci n’est pas vrai au Sahel. On parle souvent d’intérêts économiques français au Sahel et au Mali, mais ils ne sont pas importants. Il reste le Niger, avec Orano (l’ancien Areva) qui exploite la mine d’uranium d’Arlit, mais quitte progressivement ce pays pour ouvrir des mines en Asie Centrale et en Mongolie. Ce qui reste pour les militaires français, c’est la notion d’Empire, le souvenir colonial, le fameux pré carré. Comme nous sommes une puissance moyenne, nous nous accrochons à ces quelques pays d’Afrique francophones, quand bien même nous n’y avons plus d’intérêts économiques. Au Mali nous n’avons pas de ressources, ce sont les Canadiens et les Sud-Africains qui exploitent l’or ; les gisements d’uranium au Mali n’ont jamais été exploités car son cours s’est effondré après Fukushima.

Quant aux réseaux : en Libye, Jean-Yves Le Drian sert-il l’État français ou Jean-Yves Le Drian ? Il soutient le maréchal Khalifa Haftar, alors que même les Américains et les Russes se rendent compte qu’il est le mauvais cheval, et par ailleurs il n’est pas reconnu par l’ONU. Khalifa Haftar reste l’homme des Emirats Arabes Unis et de l’Egypte. Certes, Emmanuel Macron a pris ses distances avec lui, mais Jean-Yves Le Drian continue de le soutenir. On se demande si cela va dans l’intérêt de l’influence de la France en Libye et au Sahel.

Vous pouvez lire l’entretien en intégralité sur le site du Vent Se Lève

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Marina Mesure

Syndicalisme international

Marina Mesure is a specialist of social issues. She has worked for several years with organizations defending workers’ rights such as the European Federation of Building and Wood Workers.

She has campaigned against child labor with the International Labor Organization, against social dumping and the criminalization of unionism. As a famous figure in the international trade union world, she considers that the principle of “equal work, equal pay « remain revolutionary: between women and men, between posted and domestic workers, between foreigners and nationals ».

Marina Mesure, especialista en asuntos sociales, ha trabajado durante varios años con organizaciones de derechos de los trabajadores como la Federación Europea de Trabajadores de la Construcción y la Madera.

Llevo varias campañas contra el trabajo infantil con la Organización Internacional del Trabajo, contra el dumping social, y la criminalización del sindicalismo. Es una figura reconocida en el mundo sindical internacional. Considera que el principio de « igual trabajo, igual salario » sigue siendo revolucionario: entre mujeres y hombres, entre trabajadores desplazados y domésticos, entre extranjeros y nacionales « .

Spécialiste des questions sociales, Marina Mesure travaille depuis plusieurs années auprès d’organisations de défense des droits des travailleurs comme la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois.

Elle a mené des campagnes contre le travail des enfants avec l’Organisation internationale du travail, contre le dumping social, la criminalisation du syndicalisme. Figure reconnue dans le monde syndical international, elle considère que le principe de « travail égal, salaire égal » est toujours aussi révolutionnaire : entre les femmes et les hommes, entre les travailleurs détachés et domestiques, entre étrangers et nationaux ».

Sophia Chikirou

Directrice de la publication

Sophia Chikirou is the publisher of Le Monde en commun. Columnist, director of a documentary on the lawfare, she also founded several media such as Le Média TV and the web radio Les Jours Heureux.

Communications advisor and political activist, she has worked and campaigned in several countries. From Ecuador to Spain, via the United States, Mexico, Colombia, but also Mauritania, she has intervened with progressive and humanist movements during presidential or legislative campaigns.

In 2007, she published Ma France laïque (La Martinière Editions).

Sophia Chikirou es directora de la publicación de Le Monde en commun. Columnista, directora de un documental sobre el lawfare, también fundó varios medios de comunicación tal como Le Média TV y la radio web Les Jours Heureux.

Asesora de comunicacion y activista política, ha trabajado y realizado campañas en varios países. Desde Ecuador hasta España, pasando por Estados Unidos, México, Colombia, pero también Mauritania, intervino con movimientos progresistas y humanistas durante campañas presidenciales o legislativas.

En 2007, publicó Ma France laïque por Edicion La Martinière.

Sophia Chikirou est directrice de la publication du Monde en commun. Editorialiste, réalisatrice d’un documentaire sur le lawfare, elle a aussi fondé plusieurs médias comme Le Média TV et la web radio Les Jours Heureux.

Conseillère en communication et militante politique, elle a exercé et milité dans plusieurs pays. De l’Equateur à l’Espagne, en passant par les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, mais aussi la Mauritanie, elle est intervenue auprès de mouvements progressistes et humanistes lors de campagnes présidentielles ou législatives.

En 2007, elle publiait Ma France laïque aux éditions La Martinière.

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