Ancien candidat à l’élection présidentielle en Mauritanie (Juin 2019), Biram Dah Abeid a recueilli près de 20 % des voix. Il est le premier opposant au régime en place depuis des décennies. Il est aussi et avant tout, un défenseur des Droits de l’Homme et a fait de la lutte contre l’esclavage et l’apartheid social, le combat de sa vie.
Depuis la Belgique où il s’est retrouvé « confiné », cet ancien prisonnier politique témoigne de la situation inquiétante des libertés en Mauritanie où les opposants sont arrêtés et emprisonnés pour oser dénoncer le racisme, la corruption et l’exploitation.
Il propose une voie, pacifique, d’évolution du pays pour donner le pouvoir au peuple, majoritairement Noir quand le pouvoir politico-financier est concentré entre les mains de puissants clans de descendance arabo-berbère.
Partage des richesses, souveraineté populaire, égalité des droits, séparation de la religion et de la politique, sont parmi les thèmes forts que défend Biram Dah Abeid.
Extrait de l’interview
L’Authentique : actualité oblige, quel regard jetez-vous sur l’arrestation de l’une des militantes de la première heure du mouvement IRA, en l’occurrence Marièm Cheikh, en détention depuis le 13 avril 2020 ?
Biram Dah Abeid : l’arrestation de Marième Cheikh c’est du déjà-vu. Nous sommes toujours et sans doute les mieux préparés à affronter de telles situations. Hier nous menions la bataille contre la sacralité du code négrier, de l’impunité des esclavagistes et tortionnaires, et de l’esclavage agricole ; en somme, l’expérience de la lutte nous a forgés; le pouvoir ne sortira pas grandi de cette bataille autour du discours de la haine comme il le dit, ou du concept d’Apartheid comme nous disons. Nous cultivons et entretenons la certitude que la vérité et le droit inclinent sans cesse vers nous. Marième Cheikh hérite de cette assurance en l’avenir.
Néanmoins, l’attitude d’hostilité ouverte du pouvoir tranche, non sans paradoxe, sur le sacrifice et à l’effort que nous avons fait depuis la dernière élection présidentielle dont nous fûmes le principal acteur au sein de l’opposition. L’Ira-M et la coalition Rag-Sawab, représentent l’unique bloc de la contre-proposition historique à l’ordre de l’oligarchie militaro-féodale, des tribus et de la ségrégation, en vigueur depuis 40 ans. Nous incarnons, seuls, le choix du peuple s’il lui est donné, un jour, la faculté de décider, dans les urnes, s’il doit vivre dans la misère, l’obscurantisme religieux et les inégalités ou, enfin, oser la rupture. Voici le message que nous portons !
En face de nous, persiste le même ressentiment, malgré le changement de personne à la tête de l’Etat ; la reproduction des méthodes qui avait prévalu contre nous à l’époque de Mohamed Abdel Aziz, l’expliquent assez :
ce n’était pas un homme qui nous réprimait mais des hommes, des femmes, bref un système solidaire dans ses pratiques, atteint de cécité et par-dessus les risques, suicidaire.
L’Authentique : quelle appréciation faites-vous du travail de la Commission nationale des droits de l’homme et celui du Commissariat dans l’ancrage des droits de l’homme et leur amélioration depuis l’avènement du pouvoir de Ghazouni ?
Biram Dah Abeid : Ahmed Salem Ould Bouhoubeïny, une personnalité qui a déjà mis son empreinte dans la défense des droits de l’homme en Mauritanie et le ministre commissaire chargé des droits de l’homme, Mohamed Elhassen Ould Boukhreïs, se distinguent par des qualités personnelles que nous apprécions ; hélas, celle-ci ne produisent d’incidence significative sur la virulence de l’aversion que le système nous voue. Une posture individuelle de franc-tireur ou de cadre autonome du groupe, à l’image des deux précités, ne peut rien changer aux pratiques structurantes de leur employeur, en l’occurrence l’Etat des prébendiers, de la médiocratie et de l’impunité. C’est pourquoi Me Ould Bouhouneiny fut court-circuité, assez vite, par son entourage hélas trop pourri qui l’a devancé au sein de la Commission des droits de l’homme ; là, siège, toujours, maint fraudeur, rôdé aux faux témoignages et à l’espionnage, sous l’injonction de la cupidité.
C’est pourquoi (rires) après notre rencontre avec Ould Bouhouneiny et notre satisfaction de son travail, nous envisagions même de collaborer avec l’institution pour promouvoir, en Mauritanie et devant les forums internationaux, le projet d’une collaboration étroite, sur la voie de l’égalité et de la citoyenneté inclusives. A notre arrivée à Genève, nous fumes surpris de découvrir, que des rapports mensongers contre nous, sont distillés, aux interlocuteurs étrangers, au nom de la Commission des droits de l’homme. Il s’avéra que Me Bouhoubeiny était étranger à la manœuvre de ses proches collaborateurs et ne pouvait rien leur opposer. Je dois noter, aussi à sa décharge, qu’il demeure le premier et l’unique parmi les dirigeants d’institutions officielles, de partis politiques ou d’ongs, à avoir demandé la reconnaissance de notre parti et de notre associations, encore arbitrairement interdits, à ce jour. Désenchantement aussi (rires) envers Ould Boukhreiss après que l’ambassadeur de Mauritanie à Genève a commis, sous sa tutelle, toujours pour la consommation extérieure, une correspondance catastrophique, une lettre digne des époques où fleurissaient la langue de bois et le mensonge ; nous avons pu en prendre connaissance, grâce à nos propres circuits. Conclusion, en Mauritanie, difficile, pour les hommes, de changer leur environnement, y compris mental mais hélas, toujours aisé, pour cet environnement, de transformer les hommes, surtout de les maintenir sous le diktat de la réalité. En dépit de leur volontarisme, Ould Bouhoubeiny et Ould Boukhreiss restent prisonniers de leurs conditions de clercs au service d’une banqueroute ambulante qui fuit l’audit.