Par Christian Rodriguez et Filip Ristic à Mexico
C’est une première historique pour ce mécanisme démocratique prévu par la Constitution mexicaine. Moyennant le rassemblement d’un certain nombre de signatures (2,1 millions de signatures réunies en septembre 2020), la Consultation populaire permet au peuple mexicain d’exprimer son opinion sur des questions ayant trait à la vie politique du pays. L’issue de la consultation engagera les pouvoirs législatifs et judiciaires si la participation atteint 40% du corps électoral inscrit auprès de l’Institut national électoral (INE), ce qui représente près de 38 millions de votants au Mexique.
Pour cette première, l’enjeu est important. Le Mexique a souffert de décennies de gestion gouvernementale calamiteuse, mêlant une corruption généralisée à l’explosion des trafics illicites de drogues, le tout sur fond d’un néolibéralisme brutal ayant considérablement creusé les inégalités. Le résultat, sexennats après sexennats, c’est plus de 370 000 personnes assassinées entre 2001 et 2019. Des chiffres comparables et même supérieurs à ceux de pays en guerre comme l’Afghanistan, qui estime à 165 000 le nombre de victimes après vingt ans de conflit meurtrier.
Toutes ces vies perdues se sont accompagnées d’une exigence profonde de justice parmi les familles et proches des victimes, mais aussi pour la société mexicaine toute entière. Tel a aussi été le sens de l’élection en 2018 du président de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador, dit « AMLO », qui a fait du combat contre la corruption et la fin de l’impunité les axes principaux de sa campagne électorale puis de son mandat.
Ce dimanche, il ne s’agira donc pas de demander au peuple mexicain si la loi doit s’appliquer ou non. Il s’agit d’un véritable exercice de définition d’une mémoire historique. Laisse-t-on les crimes gouvernementaux et leurs auteurs au passé, sans procès aucun, pour tenter de (re)construire un avenir sans impunité, ou exige-t-on que la justice soit enfin rendue pour les centaines de milliers de victimes de décennies de violences d’Etat ? Violences d’un Etat devenu brutalement narco-Etat, sur lequel les narcotrafiquants avaient tellement prise qu’ils finissaient par en élire jusqu’au président. Les Mexicaines et les Mexicains trancheront la question ce dimanche.
Les tenants des anciens partis gouvernementaux sont quant à eux déjà préoccupés par cette consultation, qui pourrait initier un cycle de procès contre des dirigeants politiques influents, y compris des ex-présidents. En témoigne la violence des réactions de Vicente Fox, président du Mexique de 2000 à 2006, qui qualifie la consultation de « farce » et insulte sur son compte Twitter ceux qui iront voter ce dimanche : « nous ne tarderons pas à savoir combien de connards il reste dans le pays, le jour de la consultation, nous aurons les chiffres exacts ». L’impunité a la peau dure au Mexique, pour combien de temps encore ?