Quelle que soit la personne qui remporte l’élection présidentielle en France, un homme est déterminé à la marginaliser et à restreindre ses pouvoirs.
Avant même que le résultat ne soit connu demain, Jean-Luc Mélenchon, leader de la gauche radicale qui s’est imposé comme un faiseur de rois surprise, a appelé les électeurs à le nommer Premier ministre à l’issue des élections législatives de juin.
Mélenchon, un fervent opposant à la fois de Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, a promis qu’en cas de succès, il imposerait une « cohabitation » parlementaire inconfortable à celui qui remporterait les clés de l’Élysée demain. Ainsi, il entraverait leurs efforts pour faire passer des réformes auxquelles la gauche s’oppose.
Le leader de La France insoumise (LFI), âgé de 70 ans, qui avait promis de prendre sa retraite après sa troisième candidature présidentielle, a déclaré que le fait donner à son parti la majorité à l’Assemblée nationale ferait de l’élection un « troisième tour ». Cela résoudrait également le dilemme politique pour les électeurs – particulièrement de gauche – qui se sont sentis orphelins par le résultat du premier tour il y a quinze jours. Beaucoup des 7,7 millions de personnes qui ont voté pour Mélenchon ont déclaré qu’elles s’abstiendraient demain.
La semaine dernière, alors que Macron, 44 ans, et Le Pen, 53 ans, traversaient la France pour tenter d’attirer les près de 50 % d’électeurs qui préféraient un autre candidat, LFI était engagé dans des négociations effrénées avec les écologistes et les communistes pour former un bloc uni opposable à l’éventuel vainqueur. Les sondages publiés vendredi suggèrent que Macron est toujours le favori, mais la légitimité de son second mandat sera remise en question s’il n’obtient pas une victoire convaincante.
Le vote aux législatives est traditionnellement tranché via les programmes des partis politiques, mais Mélenchon est déterminé à orienter le récit vers sa personne. « Je demande aux Français de m’élire Premier ministre, d’élire une majorité de députés insoumis. Et j’appelle tous ceux qui veulent rejoindre l’Union Populaire à se joindre à nous pour cette belle bataille. »
Il a rappelé aux électeurs que c’était le Premier ministre et non le président qui avait à signer les décrets gouvernementaux. « Je serai Premier ministre non pas par la grâce ou la faveur de M. Macron ou de Mme Le Pen, mais parce que les Français le veulent », a-t-il déclaré, ajoutant que cela rendrait le président « secondaire ». Il a exclu toute négociation avec le nouveau président.
« Si ça ne convient pas au président alors il peut s’en aller, parce que je ne le ferai pas », a-t-il ajouté dans une interview à BFMTV.
Les ambitions de Mélenchon ont été renforcées après avoir échoué à 421 308 voix de Le Pen au premier tour le 10 avril, un scrutin qui a vu l’effondrement des partis traditionnels de gauche et de droite. Les trois autres candidats de gauche – du Parti écologiste, du Parti communiste et du Parti socialiste (PS) – ont obtenu un total d’un peu plus de 3 millions de voix. Un soutien de sa campagne aurait assuré une place pour la gauche au deuxième tour.
Le résultat a provoqué la colère de nombreux partisans de Mélenchon, notamment les jeunes et ceux des quartiers populaires, entraînant des manifestations dans les universités parisiennes dont la Sorbonne et Sciences Po, même si 41 % des 18-25 ans – plus de 4 millions d’électeurs – se sont abstenus lors du premier tour.
La campagne pour les 577 sièges de la chambre basse française débutera le 10 mai. La République en marche (LREM), parti centriste de Macron, compte actuellement 263 sièges, le parti d’opposition conservateur Les Républicains, 93 ; le MoDem, centriste, 52 ; le PS, 25 et La France insoumise seulement 17.
Mélenchon a insisté sur le fait que son Union Populaire était en tête dans 105 circonscriptions et qu’une majorité de 290 était « possible ». « Si je ne me bats pas pour cette victoire, que dois-je faire : dire ‘allez-y, donnez-leur tout le pouvoir’ ? Je ne veux pas que Mme Le Pen gagne le pays et je ne veux pas que M. Macron garde le pouvoir. Je dis qu’il y a un troisième tour. C’est aux Français de décider qui est le chef du gouvernement », a-t-il déclaré dans une interview la semaine dernière.
Mélenchon aurait besoin du soutien de l’ensemble de l’électorat de gauche français, soit environ 11,8 millions de ceux qui ont voté au premier tour, s’il souhaite avoir une chance d’obtenir la majorité au parlement après les élections des 12 et 19 juin. Mélenchon a pour le moment écarté une alliance avec le PS.
Manon Aubry, députée européenne LFI, a passé la semaine dernière à négocier avec des partis de gauche pour former une alliance pour les législatives. « Il y a des obstacles, mais il y a une volonté commune de créer une union autour d’un programme », a déclaré Aubry à l’Observer du Guardian.
Interrogée sur le PS, elle a ajouté que le parti devrait abandonner sa « position néolibérale ». « Nous avons mis un certain nombre de conditions sur la table et la balle est dans leur camp. La question est, sont-ils prêts à venir vers nous ? ».
Antoine Bristielle est analyste politique et directeur de l’Observatoire d’opinion de la Fondation Jean Jaurès, ancrée à gauche. Il affirme que Mélenchon a réussi un coup de maître politique, tirant la leçon de 2017 lorsqu’il n’avait pas réussi à unir la gauche après l’élection présidentielle.
Selon Bristielle, « après 2017, il n’a pas réussi à traduire son haut niveau de soutien aux élections suivantes. Cette fois, il veut agir différemment ».
« Il essaie de consolider son socle électoral et a réalisé que la façon de le faire est à partir d’une position de force. »
« Il ne s’agit pas tant de savoir combien de députés il obtiendra mais plutôt s’il pourra rallier les écologistes et les communistes avant les législatives, créant ainsi une force politique. Je pense honnêtement qu’il ne veut pas que le PS le rejoigne ; il considère que le parti ne représente désormais plus grand-chose et qu’il mourra de lui-même, donc le greffer serait plus négatif que positif. »
Laurent Joffrin, ancien directeur du journal Libération, a déclaré que les partenaires de LFI seraient perçus comme « des vassaux » plutôt que des alliés, et qu’ils devraient adhérer à la politique de Mélenchon, y compris la sortie de l’Europe.
« Ces positions ne sont pas celles des électeurs de la gauche non mélenchoniste et encore moins d’un électorat plus centriste. »
« C’est l’éternel problème de la gauche radicale : elle a une chance d’accéder au pouvoir mais elle ne veut en aucun cas s’unir pour y parvenir », a écrit Joffrin.