Près de 100 millions de Mexicains étaient appelés aux urnes le dimanche 2 juin dernier, pour ce qui a été présenté comme le plus grand processus électoral de l’histoire du pays. En plus de l’élection présidentielle, les Mexicains devaient élire l’intégralité du Congrès (500 députés et 128 sénateurs), ainsi que plusieurs gouverneurs, maires et conseillers municipaux. Un nombre record de postes (20 708) étaient à pourvoir, alors que les yeux du pays et du monde entier étaient majoritairement rivés sur le scrutin présidentiel, qui opposait deux candidates, fait inédit dans un pays historiquement machiste et conservateur.
Le camp présidentiel a choisi en la personne de Claudia Sheinbaum la consécration dans les urnes d’un projet politique porté par le président sortant AMLO depuis 2018 et qui est aujourd’hui très populaire dans le pays. En effet, le président sortant quitte le palais présidentiel avec 60% de cote de popularité. Cette femme de 61 ans, ancienne maire de Mexico, s’est initiée en politique aux côtés de ses parents, militants de gauche, descendants de juifs européens et communistes, déplacés dans les années 1920 et 1940 par les violences à l’est du continent. L’engagement progressiste est une histoire de famille chez les Sheinbaum. Claudia rejoint rapidement ses propres luttes en étant très impliquée dans le mouvement universitaire mexicain de 1987, défendant l’enseignement universitaire gratuit.
Chercheuse en sciences environnementales, Sheinbaum est appelé en politique en 2000, par le nouveau maire de Mexico, AMLO, qui lui proposa la tête du secrétariat à l’environnement de la capitale. Ayant toujours été fidèle à son mentor, AMLO parraine ensuite sa candidature à la tête de la capitale mexicaine en 2018. L’un élu président et l’autre élue à la tête de la plus importante ville du pays, la victoire de la gauche est retentissante cette année-là, mettant fin à des décennies de domination politique de la droite. Sheinbaum a capitalisé sur son succès en tant que maire de Mexico, pour se lancer ensuite dans la course à la présidentielle.
Elle y affrontait Xochitl Galvez, candidate des principaux partis de droite, réunis en coalition, qui n’ont pas pu se détacher de leur passé de corruption et de mesures antisociales. Sheinbaum a rapidement pris les devants : les sondages la créditaient d’une avance spectaculaire de 20 points à seulement quelques jours du scrutin. En cause ? La magnifique politique sociale d’AMLO ces six dernières années. Il faut dire que neuf millions de personnes ont été sorties de la pauvreté et la proportion de personnes vivant en extrême pauvreté est passée de 14% en 2018 à 12% en 2022. Tout cela grâce à des politiques publiques qui sont parvenues à révolutionner le quotidien des Mexicains les plus pauvres. L’augmentation du salaire minimum et l’instauration d’une « pension universelle » de 160 euros par mois pour les séniors, symbolisent ces six dernières années de transformations sociales. Par ailleurs, le pays est en pleine croissance économique. Face aux attaques récurrentes de la droite qui présageait en 2018 une chute des investissements et de l’attractivité, AMLO a répondu en faisant du pays le premier partenaire commercial des États-Unis. Tout de même, la force électorale de Sheinbaum se construit aussi dans ce qu’elle apporte à la gauche mexicaine.
En effet, la nouvelle présidente garde en elle l’engagement social du président sortant, tout en ayant capitalisé pendant la campagne sur ses idées en matière d’environnement, d’insécurité et de féminisme. Spécialiste de l’environnement, elle a contribué aux travaux du GIEC en 2006 en consacrant sa contribution à l’atténuation du changement climatique. Ce groupe d’experts du GIEC a reçu l’année suivante le Prix Nobel de la paix. Son expertise lui a permis d’agir de façon concrète pour l’environnement dans une ville fortement polluée comme l’est Mexico. Elle est, en effet, à l’origine du second étage du « périphérique » de l’autoroute urbaine, qui avait pour objectif de désengorger le trafic et qui a permis une baisse des émissions. Elle est également à l’origine des premiers couloirs de bus (projet « Métrobus ») et des premières pistes cyclables de la capitale, ainsi que du projet de téléphérique desservant les communes pauvres et reculées de la capitale de façon écologique.
Par ailleurs, dans un pays gangrené par la violence du narcotrafic, qui enregistre en moyenne 80 assassinats par jour, Sheinbaum entend changer la donne et se démarquer du bilan très mitigé d’AMLO. Pendant la campagne, elle s’est félicitée d’avoir réduit l’insécurité à Mexico « grâce à une stratégie intégrale de traitement des causes, plus et mieux de police, du renseignement, des enquêtes et de la coordination », comme le rapporte le journal Le Monde. Elle compte donc appliquer la même stratégie, mais cette fois-ci au niveau national. D’autant plus que de ces 80 assassinats enregistrés en moyenne par jour, 10 d’entre eux sont des féminicides. Il faut le dire, l’engagement de Sheinbaum est ouvertement féministe, dans un pays historiquement machiste. Elle promet ainsi d’inscrire la lutte contre l’impunité et les violences sexistes et sexuelles au cœur de sa politique, en lançant une réforme constitutionnelle visant à reconnaître l’égalité réelle des femmes et le droit à une vie sans violence pour celles-ci.
Les premiers résultats montrent que le peuple mexicain a choisi un Congrès à majorité qualifiée absolue pour la gauche, ce qui va permettre à Claudia Sheinbaum de gouverner sans encombre et de faire passer toute réforme qu’elle jugera nécessaire.
A plusieurs milliers de kilomètres, cette victoire est importante pour la gauche radicale française. La France insoumise a soutenu le président AMLO dès le début de son aventure politique et nous nous réjouissons aujourd’hui de voir ses idées se concrétiser. La victoire populaire d’AMLO au Mexique a ouvert la voie à une réelle transformation d’une des sociétés les plus inégalitaires d’Amérique latine. C’est la révolution citoyenne qui s’est imposée en 2018 par les urnes au Mexique et qui a coupé de court les ailes des droites héritières de l’ordre colonial qui ne faisaient que maltraiter les travailleurs à coups de lois et de réformes toujours plus antisociales et néolibérales. Désormais, cette révolution citoyenne se poursuit aujourd’hui avec Sheinbaum et continue de transformer la société mexicaine suivant la volonté du peuple. Avec Claudia Sheinbaum, le pays entre dans une ère féministe et écologiste. La France insoumise doit poursuivre l’approfondissement de ses relations avec la gauche mexicaine et s’inspirer des victoires de cette dernière pour préparer notre propre révolution citoyenne. Le Mexique nous montre aujourd’hui que cela est bien possible. La députée LFI de la 6e circonscription de Paris Sophia Chikirou, présidente du groupe d’amitié France-Mexique à l’Assemblée nationale, s’est d’ailleurs empressée de féliciter la nouvelle présidente sur X, rappelant les liens liant les deux mouvements. Par ailleurs, Chikirou a rappelé qu’elle avait créé aux côtés de Sheinbaum « l’Internationaliste Féministe pour un féminisme populaire et radical » en 2023.
Après des élections au Salvador et en Argentine qui avait vu l’extrême droite victorieuse, le vent de la gauche ressouffle en Amérique latine. Le penchant progressiste de ses peuples se confirme aujourd’hui grâce à la victoire de Sheinbaum, qui s’inscrit dans la continuité de la victoire d’AMLO en 2018, mais également de Petro en Colombie, de Lula au Brésil et de Boric au Chili. La riposte de la caste médiatique et politique de droite sera féroce, mais le peuple latino-américain uni saura y faire face.
Reprenant la phrase emblématique d’AMLO et de Sheinbaum : « ¡Primero los pobres! ».